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& qui finiroit par devenir un vrai » monftre, s'il réuffiffoit [i]! «La belle chimère, Monfieur, que celle de notre foi-difant Philofophe! S'il eft ici quelque chofe de monstrueux, c'est à coup fûr fon raifonnement. Vous ne fçauriez douter que fous ce nom de dévor il ne comprenne ici tout Chrétien qui afpire à la perfection Evangélique. Or je dis qu'il n'y a qu'un impudent calomniateur qui puiffe accufer l'Evangile d'exiger qu'on fe tourmente comme un forcené, pour ne rien defirer, ne rien aimer, ne rien fentir. Se propofer l'anéantiffement de toutes les paffions, c'est délire, c'est fanatifme. La Religion Chrétienne ne demande pas qu'on les anéantiffe, mais qu'on en retranche ce qu'elles ont de vicieux,& qu'on les dirige au bien. Toute la Religion n'et elle-même que defir, amour & fentiment. Notre Adverfaire ofera til nier cette vérité? Et s'il lui eft impoffible de la nier, que veut-il dite, & que prouve-t-il? Je fuis, &c..

LETTRE

VIII.

Illufions de l'Auteur touchant la per fection de la vertu.

C

E qui fait l'objet de mon eftime dans un homme, dit l'Auteur

[i] Ibid, Penfée V

des PENSE'ES PHILOSOPHIQUES, » pourroit-il être l'objet de mes mépris » dans un autre ? Non fans doute. Le » vrai, indépendant de mes caprices,

doit être la règle de mes jugemens; » & je ne ferai point un crime à celui

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ci de ce que j'admirerai dans celui là » comme une vertu. Croirai-je qu'il étoit » refervé à quelques uns de pratiquer » des actes de perfection que la Nature » & la Religion doivent ordonner in» différemment à tous ? Encore moins. » Car d'où leur viendroit ce privilége » exclufif. Si Pacôme a bien fait de rom"pre avec le genre humain pour s'en» terrer dans une folitude, il ne m'est » pas défendu de l'imiter: en l'imitant, je ferai tout auffi vertueux que lui, » & je ne devine pas pourquoi cent autres » n'auroient pas le même droit que moi. » Cependant i feroit beau voir une » Province entière effrayée des dangers » de la fociété, fe difperfer dans les fo»rêts, fes habitans vivre en bêtes farou»ches pour le fanctifier, mille colonnes » élevées fur les ruines de toutes affec» tions fociales; un nouveau peuple de Stylites le dépouiller par religion des » fentimens de la nature, ceffer d'être » hommes, & faire les ftatues pour être

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» vrais Chrétiens [a]. « Voilà donc, Monfieur, une Penfée prétendue philofophique ; & c'est ains que la Philo fophie de nos jours fe plaît à contredire les vues les plus fublimes de la perfec tion Chrétienne.

1o. Je conviendrai certainement de ce principe que je ne puis faire un crime à celui-ci de ce que j'admirerai dans celui-là comme une vertu. En fait de vertu, tous les hommes font au même niveau. Si je dois être jufte envers mon Souverain, il doit l'être envers moi. Mais la différence des conditions de la vie civile, fans en mettre aucune dans les principes de l'équité, en met beaucoup dans leur application; & dèslors ce qui dans mon Souverain est une vertu, feroit un crime en moi. S'il m'obéiffoit, il feroit un imbécille; je ferois un rebelle, fi j'ofois lui commander. Il en est de même de toutes les autres conditions, & de tous les devoirs qui leur font relatifs. C'eft donc en raison de la différence des états, qu'il faut juger de leurs devoirs. Cùm duo faciunt idem, non tamen eft idem. Cet axiome de Morale eft incontestable. Non-feulement la différence des états, mais encore

[4] Penfée Philof. Penf. VI.

celle des intentions, celle des circonftances, celle de la manière d'agir, toutes ces différences, dis-je, différencient les actions. Ce fera bien de part & d'autre la même action phyfique ; mais il s'agit ici de l'action morale. L'Auteur devoit donc nous montrer que cette diverfité d'états qui fe trouve dans la fociété & qui eft fi conforme à l'efprit de la Religion, eft cependant oppofée à la Raifon. Mais il ne dit pas un mot qui tende à le prouver. Que fignifie donc cette interrogation: Croirai-je qu'il étoit réfervé à quelques-uns de pratiquer des actes de perfection que la Nature & la Religion doivent ordonner indifférem-. ment à tous? Je lui répons qu'il part d'une fuppofition fauffe. Il ne peut en effet prétendre que tous les devoirs font égaux, qu'en fuppofant que tous les états le font auffi. Vous concevez par-là, Monfieur, combien il eft ridicule de nous demander d'où viendroit ce privilége exclufif? Nous ne reconnoiffons nullement une pareille exclufion. Nous difons feulement que chacun doit embraffer l'état qui lui convient & en remplir les devoirs. Il se peut donc que Pacôme ait très-bienfait de rompre avec le genre humain pour s'enterrer dans une folitude, & que néanmoins il foit défendu

à notre Auteur de l'imiter. Ce qui fut pour ce faint Solitaire un acte de vertu, feroit un crime pour tout homme qui ne feroit point appellé au même état. Conféquemment une Province entière ne fçauroit fuivre par vertu l'exemple d'un Pacôme, fans être bien certaine que Dieu le lui commande, & il ne paroît pas que Dieu qui généralement parlant veut que tous les hommes vivenɛ en fociété, en ait jamais intimé un pareil à toute une Province.

2o. L'Auteur prétend, Monfieur, que prendre le parti de la folitude, c'est vivre en bêtes farouches pour fe fanctifier; & il vous dit ailleurs qu'il eft Chrétien [b]. Qu'entend il encore par ces mille colonnes élevées fur les ruines de toutes affections fociales, par ce nouveau peuple de Stylites qui fe dépouilleroient par Religion des fentimens de la nature, cefferoient d'être hommes, & feroient les ftatues pour être vrais Chrétiens? La Religion Chrétienne, Monfieur, ne connoît point de pareils monftres. Il n'eft aucun de ces Solitaires, foit anciens, foit modernes, qui ne faffe marcher l'obligation d'aimer fon prochain immédiatement après celle d'ai

[b] Ibid. Penf, LVIL

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