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de tout travail spécial sur le patois marseillais, et notamment sur l'argot local, est une lacune des plus fâcheuses dans cet ordre de recherches; et force nous sera de faire état, à cet égard, exclusivement des indications éparses qu'on trouve dans le Trésor de Mistral.

C'est ainsi que artoun désigne encore aujourd'hui, en provençal, le pain, et spécialement le pain grossier, comme le lyonnais arton, pain (« on le rencontre encore à Lyon », Puitspelu). Sans le faire remonter à la fondation de Marseille, dont artoun serait contemporain (suivant J.-J. Ampère), on peut croire qu'il a été importé au XIV° siècle du byzantin, mais il est plus probable que le terme lyonnais et provençal vient simplement de l'argot. En effet, l'ancien provençal l'ignore et en bas-latin, artona a exclusivement le sens religieux de « pain béni », comme d'ailleurs dans le grec moderne (oui, pain, et pros, hostie).

Les expressions arton et crie1, ainsi que ornie, appartiennent en propre à l'argot et leur origine paraît être purement livresque. Les auteurs de

1. On rencontre également ce terme dans la rédaction bas-allemande du Liber Vagatorum (1510 crew, fleisch, Kluge, p. 76); mais, comme le montrent quelques autres traces de ce vocabulaire (sur lesquelles nous reviendrons), il paraît remonter à l'argot français.

cette nomenclature seraient, dans cette hypothèse, les escoliers de l'Argot, ces fameux Archisuppôts auxquels on est redevable des transformations successives du vocabulaire argotique 1.

Le bas-latin possède, en revanche, limas, au sens de vêtement : « Une maniere de vestemens qui est dez le ventre jusqu'aux piés, comme de vantier à cuisiniers ou à femmes » (Glossaire latin-français); et l'argot marseillais connaît limaço, chemise (Mistral).

Ce qui donne un certain poids à la conjecture que nous avons présentée sur le rôle de la Provence comme facteur intermédiaire entre les divers argots romans, c'est le stock de mots que le provençal a fournis à la fois à l'argot, au fourbesque et à la germania, à commencer par le nom que le langage des malfaiteurs porte dans ces deux derniers (gergo, xerga, v. p. 30). Voici cette seconde série d'éléments communs à l'argot et à ses équivalents du sud de l'Europe :

BAZIR, tuer (Coquill., 1455: bazir ung homme, c'est tuer), et bazisseur, meurtrier (Ibid. : ung bazisseur est aussi un muldrier), à côté de bezarder, mourir (Bouchet, III, 131: bezarder, c'est mou

1. Dans l'argot slovène (plintovska spraha, propr. langage des aveugles), figure aussi arton, pain (v. Jagic, étude citée, p. 33), mais on en ignore la chronologie et les intermédiaires: Jagic le fait venir directement du grec moderne.

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rir, il est bezardé, c'est-à-dire il est mort), basourdir, tuer (Jargon, 1628), et esbasir, assassiner (Vidocq); fourb. basire, tuer, mourir, et germ. vasir, id. (« morir », vasido, muerto, Hidalgo); — provençal basir, basi, mourir (en parlant des animaux), défaillir (en parlant des hommes): basi de fam, mourir de faim, périr d'inanition, basi de rire, crever de rire, l'argent basis entre si man, l'argent fond entre ses mains; basi, basido, défaillant, défait, mort; abasourdi, esbasourdi, étourdir.

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BIRBE1, vieillard (Vidocq), propr. vieux birbe ou mendiant (et puis birbe tout seul au sens de vieux), même mot que bribè, pain mendié (Vie, 1596, p. 35: Quand toutes leurs bribes sont assemblées, ils ont de quoy faire un chenastre banquet), d'où briber, mendier; fourb. birba, aumône (Val Soana barbir, manger birbar), et germ. bribia (« arte y modo de enganar halagando con buenas razones »), bribion (« ladron que halaga con buenas palabras para enganar », Hidalgo); provençal birbe, birbo, bribo, pain mendié, gueux, coquin, canaille; birba, briba, mendier, gueuser; birbant, bribant, mendiant; birbandeja, bribandeja, mendier (embirba, duper).

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SORNE 2, nuit (Apôtres, 1460: Ou brouent ilz à

1. Le lyonnais bibon, vieillard, est l'argot bibon (Fr.-Michel), pour birbon, id.

2. Cf. bellau seugni, nuit (= argot sorgne, id.).

present sur la sorne?), à côté de sorgne (Jargon, 1700) et de sorgue (Jargon, 1628, d'où sorgueux, voleur de nuit, p. 48 : jamais je ne fus ni sorgueux ni doubleux); germ. sorna, nuit (calò : sommeil, calao berceau), et sornar, dormir ; provençal sorn, obscure, sombre, et sourno, id. (es sourno, il fait noir).

Passons maintenant aux autres sources des termes du fonds commun, en tâchant de discerner les éléments indigènes de ceux qui ont été simplement importés.

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On a déjà mentionné l'action que les divers argots romans ont exercée les uns sur les autres. Il s'agit maintenant d'examiner de plus près ces influences mutuelles et d'en relever les résultats. Les voici d'après l'ordre de leur importance et de leur action chronologique.

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en dérive certainement: ansia, eau, propr.

torture (l'eau étant un instrument de torture fort

employé autrefois), et ansias, galère, primitive.ment terme de procédure criminelle1.

Un autre terme boule, foire

en dérive

également bola, propr. boule, appliquée familièrement soit à la terre entière, au globe terrestre, soit à une de ses portions, foire ou marché.

Un troisième marque, femme- paraît avoir la même origine marca est fréquent dans les jacaras ou romances argotiques du xvr° siècle ; la présence pourtant du mot déjà dans les ballades de Villon indiquerait plutôt une origine française, une forme abstraite de marquise (en français, dès le xur° siècle).

C'est de la même source que l'ancien argot a tiré les termes suivants :

-

germ.

GODIN, riche (Coquill., 1455: ung godin, c'est ung riche homme), et godiz 2, id. (Ibid. : ung godiz est un homme qui a argent et est riche); godo, godizo, id. (« rico, principal », Hidalgo), à côté de godeno, id., de l'esp. godo, Goth et nom donné au moyen âge, en Espagne, aux membres de la noblesse issus du mélange des Goths et des Ibères (ser godo, être d'ancienne noblesse). On rencontre fréquemment, dans les jacaras ou romances

1. Cf. Salillas, p. 268: « La representacion es de origen esencialmente procesal... La pena de galera, por complirse navegando, equivale a un segundo tormento de agua. »

2. Salillas (p. 40) voit, dans godizo (dérivé de godo, de même que godeno), un composé de godo et de iza, prostituée.

L'Argot ancien.

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