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attribué une portée absolument exagérée sous le rapport chronologique et n'en avait pas abusé comme moyen d'interprétation étymologique.

C'est ainsi que Schwob fait remonter au Jargon les termes Lorcefé (pour La Force, nom de prison) et linspré (pour prince). Or, pas une édition de ce livre, même la plus récente, ne contient ces mots. On trouve Lorcefé pour la première fois dans les Mémoires de Vidocq de 18281, et linspré pour la première fois dans son vocabulaire de 1837. De même, lanterne (pour vanterne, fenêtre) ne se rencontre pas avant 1829, et c'est à tort qu'on le fait remonter à Granval (1725); largue ou larque (pour marque, prostituée) est dans Vidocq (1837), et lousse (pour pousse, gendarme), qui manque dans ce dernier, figure dans le Nouveau Dictionnaire d'argot de 1829 2.

C'est à tort que Schwob voit dans lorgne l'anagramme de borgne; dans milogère, chambrière (Jargon, 1628), celui de limogère, id. (Vie, 1596); dans zerver, pleurer (Vie, 1596), celui de verser (des larmes), qu'on ne rencontre nulle part. Dans

1. Cf. vol. II, p. 286: « Tu sais bien qu'à la Lorcefé les murs ont des oreilles »; vol. III, p. 185: « Je lui portai la pagne à la Lorcefé. »

2. Ajoutons laumir, perdre (Jargon, 1836), en rapport avec chaumir, id. (Vidocq), à l'exemple du mod. laune, agent de police, déformé de jaune, id. (d'après la couleur de ses buffleteries); loupel, pouilleux (« termes de floueurs parisiens, » Vidocq), etc.

tous ces cas, il s'agit de mots d'origine différente. « Il est facile de voir, ajoute-t-il, que tabar est l'anagramme complet du mot rabat, qui s'em ployait également pour manteau au xv° siècle. » La chronologie nous enseigne le contraire : tandis que tabar se trouve dans l'édition du Jargon de 1628, rabat ne paraît que dans celle de 1690; d'ailleurs, tabar est un mot ancien français qui remonte au XIIe siècle. Remarquons encore que loffe 1, imbécile (d'où loffitude, bêtise, Vidocq) et son dérivé ultérieur loufoque (Delesalle) n'ont aucun rapport avec fol (dont ils seraient la transposition) loffe est inséparable de louffe, vesse, louffiat, grossier, goujat (Larchey crapuleux, propr. péteur) ce sont des emprunts faits au provençal 2. De même, nibergue, rien, n'est pas l'anagramme de bernique (comme le pense Larchey), mais une amplification de nibe, id., répondant au fourbesque niba, niberta, non, rien du tout.

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Est-ce à dire que le procédé transpositif3 est étranger à l'argot en général? Nullement, mais

1. Cf. Rat, 1790 : « Crois-tu que je suis si loffe que de débiner.......? » Mémoires d'un forban philosophe, Paris, 1829, p. 92: « Faut-il que les hommes soient loffes de se faire emballer... »

2. L'argot vénitien a loffio, pauvre (cf. it. loffia, vesse, terme originaire de la Haute-Italie).

3. Dans le cant, ce procédé s'appelle back-slang (p. ex. yennep pour penny) et il est surtout employé par les revendeurs.

il y joue un rôle tout à fait secondaire. Dans la germania, il est un peu plus fréquent (chepo = esp. pecho, poitrine; greno = esp. negro, nègre; grito = esp. trigo, blé; toba = esp. bota, botte), ainsi que dans l'argot savoyard connu sous le nom de mourmé ou ménédigne. Voici quelques exemples de ce dernier brachanna (chambre), ceplanna (planche), chiclò (clocher), goflin (flingot, «fusil »), tessan (santé), tiebé (bête), treca (quatre), trevan (ventre), etc.

Quoi qu'il en soit, le procédé en question est complètement étranger aux parlers populaires, comme d'ailleurs à l'ancien argot.

Le deuxième procédé, l'abréviation, est également familier au seul argot moderne. Fr.-Michel allègue (Introd., p. xxix) que « l'apocope est de toutes les figures de grammaire celle que l'argot affectionne le plus ». L'argot ancien l'ignore1 et, chez Vidocq, on ne trouve que les exemples sui vants: Achar (acharnement), affe (affaire), autor (autorité), cabe (cabot, «chien», à côté de cleb, clabaud), come (commerce), couillé (couillon), dauffe, pince (dauphin, déjà Rat, 1790, p. 14: un dauffe

1. On lit dans la Vie Genereuse le mot vironne, province (ripaudier de la vironne, gouverneur de la province), propr. environs, alentours; mais cette forme abrégée remonte à l'ancien français (cf. auj., Mayenne, viron, environ).

sous son frusque; cf. Chauffeurs, 1800: doffe, coutre), dégui (déguisement), délige (diligence), es (escroc), mac (maquereau; fém. maqua), maqui (maquillage), méchi (= meschief, malheur), perpète (perpétuité), rata (ratatouille), redam (= rédemption, grâce).

Passons sur l'accident de l'article agglutiné (également familier à la langue littéraire), dans des mots tels que lance (= l'ance, eau), larton (= l'arton, pain), etc., pour nous arrêter un instant sur l'alternance des finales gne et gue. Le plus ancien exemple est sorgue, nuit (Jargon, 1628), qui figure comme sorgne (dans l'édition de 1728), de l'anc. fr. sorne. nuit 1; de même, signe2, louis (Chauffeurs, 1800), devenu signe, cigue (Vidocq), amplifié en cigale, pièce d'or; et lorgue, as, pour lorgne (cf. borgne, as), etc.

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La plupart des suffixes argotiques sont étrangers à la langue littéraire, mais ils sont familiers aux patois. Tels sont :

AFFE (à côté de afle): grenaffe, ferme (Chauf

1. Halbert enregistre à la fois : sorgue, la rue (pour la nuit), sorge, la nuit, et sorne, noir.

2. Delesalle transcrit erronément cygne, pièce de vingt francs. L'Argot ancien.

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feurs, 1800), et grenafle, grange (Jargon, 1628; Vidocq: garnafle, ferme), dérivé de grenue, farine (Jargon, 1628); —IF : batif, neuf (Vidocq), propr. battant (cf. Jargon, 1628: battouse toute battante, de la toile neuve), abrégé dans l'argot moderne en bath, beau (= neuf); - OFFE: aristoffe, maladie vénérienne (Fr.-Michel), de aristo, aristocrate1.

AQUE: momaque, enfant (Vidocq), de môme, id. (Id.); -EQUE altèque, beau (Id.; propr. altier); -IQUE mouchique 2, laid, vilain (Id.), de mouche, id. (Halbert); — OQUE: boutoque, boutique (Vidocq); de même UCHE: arguche, sot (de argot), dabuche, roi (Jargon, 1628), de dabe, id.; baluchon, paquet (Vidocq), de balle, id. 3.

ANCHE (à côté de ange): boutanche, boutique (Jargon, 1628), molanche, laine (Ibid. ; cf. en français, molleton), portanche, portier (Vidocq), à côté de cocange, coquille (Id.; tocange, chez Halbert), fertange. paille (Id.; Jargon, 1628: fertille); et les verbes brodancher, broder (Vidocq), pictancher, boire (Jargon, 1628, et picter, id.), à côté de

:

1. Fr.-Michel voit dans aristoffe l'italien arista, épine.

2. L'homonyme mouchique, chandelle (Chauffeurs, 1800) est tiré de mouche, action de moucher les chandelles.

3. Terme passé dans le langage populaire et dans les patois : Poitou baluchon, mobilier de peu de valeur; Pas-de-Calais baluchon, paquet d'effets ou de linge («<< n'est usité que depuis la construction du chemin de fer, » Edmont).

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