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« Je ne puis, écrivait le général Forey, vous exprimer la douleur dans laquelle me plonge ce malheur.

celui qui est si glorieusement et si fatalement tombé sous les murs de Sébastopol.

Au mois d'octobre 1841, sa brillante conduite lors du second ravitaillement de Milianah, lui valut sa première citation à l'ordre de l'armée; dans le même mois, le combat des Oliviers inscrivait une seconde fois son nom dans un bulletin glorieux.

L'année suivante le général Bugeaud entreprenait une grande expédition dans l'est de la province d'Alger, le capitaine de Lourmel en faisait partie, et le rapport du général cite la bravoure et l'élan du jeune capitaine. Dans un combat sanglant contre les Kabyles, le 30 octobre 1842, sa valeureuse intrépidité le fit désigner pour chef de bataillon. Quelques mois après, ne laissant jamais languir la plume qui inscrivait son nom sur le registre d'honneur, il était cité à l'ordre du jour par le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud, et par le gouverneur de l'Algérie. Le 4 mars, dans le combat livré contre une tribu arabe, l'ordre de l'armée citait encore le nom du chef de bataillon de Lourmel. Il était encore à l'ordre du jour pour l'enlèvement des crêtes du pic de l'Ouarenseniz, il l'était aussi en 1845, pour sa conduite dans l'expédition des Beni-Tighrin.

Nommé lieutenant-colonel en 1847, on le retrouve, en 1849, au siége de Zaatcha; il commande une des colonnes d'attaque, et se lance à l'assaut avec cette ardeur qui l'avait jeté tant de fois au plus fort du danger. Il fut très-grièvement blessé d'un coup de feu.

Il fit, comme colonel, partie de la glorieuse campagne de Kabylie en 1850. Au combat livré le 21 mai, le général de Barral, dont le nom est resté comme un des plus beaux souvenirs de nos guerres d'Afrique, venait d'être frappé mortellement, le colonel de Lourmel prit le commandement de la brigade, et acheva victorieusement ce difficile combat. Son intelligence militaire, son courage à toute épreuve, appelèrent encore sur lui l'attention de ses chefs, et une dernière citation à l'ordre de l'armée. Nommé pour ce fait officier de la Légion d'honneur, commandeur du même ordre en 1851, il fut appelé aux fonctions d'aide de camp du prince président.

En 1852, le colonel de Lourmel fut élevé au grade de général de brigade. Lorsque l'armée d'Orient s'organisa, aide de camp de l'Empereur, il sollicita vivement l'honneur de faire partie du corps d'armée expéditionnaire, et reçut le commandement de la 1re brigade de la 4a division, sous les ordres du général Forey.

Avoir retracé la vie du général, c'est dire les regrets profonds qui ont accompagné sa mort.

L'armée perd un général dont la bravoure chevaleresque ne connaissait aucun obstacle, et un chef auquel semblaient réservées de hautes destinées. »

Cet événement produisit une profonde sensation par la perte même que faisait l'armée, par la sympathie qui entourait ce jeune et bouillant courage, et puis encore, parce que c'était le premier général frappé à mort sur le champ de bataille de Crimée, qui devait bientôt voir couler de part et d'autre un sang si noble et si géné

reux.

Depuis, bien des noms sont venus se joindre au sien, bien des tombes se sont ouvertes et fermées sur d'éternels regrets.

CHAPITRE IV.

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LV. Certes, un des plus tristes et des plus poignants spectacles qui se puissent voir, c'est un champ de bataille, lorsqu'un morne silence a remplacé le bruit du combat et que la nuit vient jeter son ombre et ses pâles couleurs sur les terrains jonchés de morts. Pendant toute la nuit qui suivit la bataille d'Inkermann, des hommes avec des litières parcouraient le champ de bataille, cherchant au milieu des corps étendus pêlemêle ceux qui respiraient encore; des soldats munis de lanternes s'efforçaient de reconnaître dans cette

foule inanimée les officiers qui avaient manqué à l'appel. Parfois les nuages sombres qui obscurcissaient le ciel s'entr'ouvraient tout à coup, et la lune resplendissait sur tous ces pâles visages, dont quelques-uns semblaient endormis, tandis que d'autres avaient conservé, même après la mort, une expression farouche et menaçante. Le vent qui, par intervalles, arrivait en rafales violentes, soulevait des lambeaux de vêtements et agitait les hautes broussailles. C'était un sinistre tableau; mais l'amertume et le deuil de la pensée trouvent une large compensation dans les faits éclatants qu'enregistre l'histoire, dans la gloire du drapeau, dans la patrie reconnaissante et dans le triomphe de la cause pour laquelle on combat (1).

Cette journée fut appelée la victoire des soldats, et jamais nom ne fut plus héroïquement, plus noblement mérité.

LVI. De tous côtés, des rapports venaient apprendre que des officiers et soldats blessés dans

(1) Le costume des soldats russes se compose d'une tunique d'un gris jaunâtre et d'un pantalon vert noir; ils portent une casquette en drap bleu foncé avec une bande rouge. Ils ont, assez généralement, des demi-bottes; leur uniforme ne porte qu'une contre-épaulette, sur laquelle se trouve inscrit le numéro de la division à laquelle ils appartiennent. Leur type est très-franchement accusé, front large, figure plate, pommettes saillantes, cheveux blonds.

Un filet d'or ou d'argent, placé sur l'épaule des capotes grises des officiers, les fait seul reconnaître.

Les fusils des soldats russes sont assez semblables à nos fusils, modèle 42, les platines sont à chaînettes, les garnitures en cuivre; ils tirent des balles cylindriques : beaucoup ont des carabines de précision à longue portée; leurs balles sont cylindro-coniques.

cette sanglante journée avaient été achevés avec barbarie par les Russes.

On disait, que c'était ainsi que le général Cathcart et le colonel Seymour son aide de camp avaient reçu la mort. On allait même jusqu'à citer un major russe qui poussait ses soldats à achever les blessés (1). Ces assertions, que des récits faits par des témoins oculaires semblaient malheureusement confirmer, jetèrent dans les armées alliées un sentiment profond d'amertume. La guerre, hélas! porte en soi de sanglants épisodes, qu'un voile profond devrait toujours couvrir. Le caractère russe, la bravoure éprouvée des officiers,

(1) Bien des bruits de toute nature ont circulé à ce sujet; on parlait même aussi de condamnation prononcée.

L'auteur, pendant son long séjour à l'armée de Crimée, a pris sur ce fait tous les renseignements possibles au grand quartier général anglais. Voici, d'après ses recherches et les récits des personnes qui étaient à portée de tout savoir, ce qui s'est passé :

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En effet, des officiers et des soldats anglais assuraient qu'ils avaient vu et entendu un major russe encourager du geste et de la voix ses soldats à porter les derniers coups aux blessés étendus à terre. Ce major, gravement blessé lui-même, fut fait prisonnier par les Anglais. Emporté sur un cacolet français, il fut d'abord transporté à l'ambulance française, où pour le soustraire aux sentiments d'indignation soulevés contre lui, on le fit porter à Kamiesch, dans le but de l'embarquer sans retard. Mais on vint le réclamer de la part du général en chef de l'armée anglaise, et avec une telle instance, que l'on ne put se refuser de le rendre aux Anglais, dont il était le prisonnier. Cet officier subit plusieurs interrogatoires au sujet des différentes dépositions écrites qui le signalaient comme coupable de cette lâche cruauté; mais, bien que de fortes présomptions l'accusassent, cependant nulle preuve matérielle ne le condamnait. Aussi, à la suite de ces interrogatoires, aucune décision ne put être prise, et il fut envoyé à Malte, où les diverses pièces du procès furent transportées. Cet officier mourut des suites de ses blessures.

dont la valeur souvent héroïque ne pouvait s'allier à de tels sentiments, repoussaient une pareille imputation. Les faits isolés d'indigne barbarie peuvent se produire au milieu des mêlées sanglantes, mais ne sauraient entacher l'honneur d'une nation. Certes nous n'aurions pas donné dans ce récit une place à ces tristes souvenirs, si le retentissement qu'ils ont eu, après la bataille d'Inkermann, ne nous empêchait de les passer sous silence.

Ces bruits prirent tant de consistance, surtout dans l'armée anglaise, des rapports si nombreux, si détaillés, parvinrent aux chefs de corps, que, tout en repoussant la pensée de faire remonter plus loin qu'à leurs auteurs la responsabilité des actes qui avaient été signalés, les généraux en chef des armées alliées crurent devoir adresser au prince Menschikoff une lettre collective; cette lettre, où respire la franche énergie des plus nobles sentiments, est un document précieux, la voici :

<< 7 novembre 1854.

Général,

LVII.

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<< Nous venons dénoncer à votre loyale indignation des faits odieux, qui sont sans exemple dans les guerres de notre temps; nous nous sommes longtemps refusés à les croire vrais, bien que des témoins dignes de foi nous les eussent affirmés; aujourd'hui, des preuves irrécusables ne nous permettent pas de douter de leur triste réalité.

« Des soldats russes achèvent avec l'arme qu'ils ont entre les mains ceux de nos officiers et de nos soldats

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