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La ville souffrait beaucoup, et divers rapports nous apprenaient que les pertes de ses défenseurs étaient énormes.

X.-L'impatience dévorait l'armée; chacun, n'écoutant que son courage, eût voulu qu'on lançât les colonnes d'assaut. Le général en chef, lui-même, appelait ce jour de tous ses vœux; il épiait les occasions, préparait dans l'ombre ses moyens d'attaque, pour ne pas laisser échapper le moment propice; mais il sentait son ardeur maîtrisée par la responsabilité qui pesait sur lui, et par cette loi suprême qui commande au chef d'une armée de ne pas verser inutilement le sang précieux de ses soldats. Souvent le matin, lorsque les premières clartés du jour ne pouvaient pas encore dévoiler son approche, il partait en reconnaissance, accompagné d'un ou de deux officiers de son état-major, et s'avançait le plus près possible de la place, pour explorer luimême le terrain et chercher des points favorables pour les colonnes d'attaque.

XI. Pendant que les faits que nous venons de raconter se passaient sur notre gauche, le corps d'observation, commandé par le général Bosquet, et les divisions anglaises qui tenaient les hauteurs d'Inkermann et les positions de Balaclava, étaient sans cesse sous les armes par des alertes continuelles, qui certes indiquaient le projet bien arrêté des Russes de tenter bientôt quelque action sérieuse de ce côté.

L'armée du prince Menschikoff s'était reconstituée; des renforts considérables lui étaient arrivés.

Dès le 23, des têtes de colonnes ennemies sont signalées du côté d'Inkermann.

Dans la journée du 24, un gros de troupes est aperçu dans la partie supérieure de la vallée de la Tchernaïa : c'est le corps du général Liprandi qui prend ses positions et reconnaît le terrain pour une attaque projetée le lendemain. « La partie apparente de ses forces, dit le journal du siége, « était d'environ 15 bataillons, 3 à 400 hommes de cavalerie et de l'artillerie. »

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En effet, le général en chef de l'armée russe avait ordonné au général Liprandi, chef de la 12 division d'infanterie, de tenter une entreprise vigoureuse sur Balaclava dans la journée du 25 octobre.

XII. Dès le matin, les troupes placées sous son commandement sortirent du village de Tchorgoun par deux défilés.

Le premier but de l'armée ennemie était d'enlever les quatre petites redoutes élevées à la hâte pour protéger les hauteurs, dont la chaîne peu élevée s'étend à travers la plaine de la Tchernaïa; ces redoutes, trèséloignées de tout secours, offraient des ouvrages incomplets et d'un relief insuffisant contre une attaque sérieuse; des troupes turques gardaient chacune de ces positions, dont trois étaient armées de canon.

« Le seul régiment qui fût dans la plaine, dit lord Raglan dans son rapport, était le 93 highlanders. »

La première attaque de l'ennemi se porta sur la redoute, près le village de Kamara, après une faible résistance, il s'en empara; ce ne fut pas cependant sans un combat honorable pour les Turcs, car le rapport du général russe dit : « Dans cette redoute, la perte de l'ennemi, rien qu'en morts, a été de plus de 170 hommes. »

Les Russes ne tardèrent pas à s'emparer également des trois autres ouvrages contigus que les Turcs ne purent défendre, vu l'infériorité de leur nombre et le peu d'appui qu'offraient pour la défense ces ouvrages inachevés. L'ennemi occupa les redoutes 1, 2, 3, mais abandonna la redoute 4 qu'il trouva trop avancée. « Cette redoute, ajoute le général Liprandi, fut immédiatement rasée; les canons furent encloués, les roues et les affûts brisés, et les pièces jetées au bas de la montagne.

Enhardie par ce premier succès, la cavalerie russe s'avança immédiatement en très-grand nombre, appuyée par son artillerie, qui, disséminée sur la ligne de bataille, labourait de ses projectiles le versant de la montagne occupé par les highlanders. Déjà les troupes turques qui avaient abandonné les redoutes, s'étaient rangées à droite et à gauche du régiment anglais; les boulets et les bombes balayaient le mamelon et causaient aux bataillons, massés sur ce point, des pertes sensibles. Aussi pendant que les batteries anglaises, établies sur les collines, envoyaient avec succès leurs boulets sur les colonnes ennemies, sir Colin Campbell fit placer son régiment et les Turcs derrière une éminence favo

rable qui dérobait les troupes aux feux meurtriers de

l'artillerie ennemie.

XIII. Tout à coup un gros de 400 cavaliers environ, se détachant du corps qui s'avançait dans la plaine, sur l'emplacement même où campait la cavalerie légère anglaise, se porta brusquement sur la gauche, pour attaquer à la fois les highlanders de front et sur leur flanc droit. Ce brave régiment, sur l'ordre du lieutenant-colonel Ainslie, qui le commandait, attendit en ligne avec un intrépide sang-froid l'arrivée de l'ennemi. Lorsque celui-ci fut approché à petite distance, les Écossais se dressèrent sur l'éminence au versant de laquelle ils s'étaient appuyés, et reçurent les cavaliers russes par une décharge à bout portant qui mit le désordre dans leurs rangs. Une seconde fois, ils revinrent à la charge sur le flanc droit des highlanders; mais ils trouvèrent devant eux la même muraille humaine, immobile, inébranlable, et le même feu les accueillit. Les cavaliers tournèrent bride et disparurent bientôt, semblables à ces nuages passagers qui renferment l'orage dans leur sein et s'éloignent dans le ciel d'un vol rapide.

XIV. Le second corps de cavalerie, beaucoup plus nombreux que celui qui avait attaqué le 93 highlanders, descendait vers la plaine, où la grosse cavalerie anglaise, sous les ordres du brigadier général Scarlett, après avoir, depuis près de deux heures, et sous un feu con

tinuel de l'ennemi, protégé par des changements de position la retraite des troupes ottomanes, s'était réunie sur ses deux colonnes de brigade, près l'emplacement du camp de la cavalerie légère. Elle venait de recevoir de lord Lucan, commandant en chef la cavalerie, l'ordre de se ranger à la gauche des Écossais, lorsque la tête de colonne russe se montra sur les hauteurs en arrière, descendant le flanc de la colline. Pour faire front à l'ennemi, la brigade Scarlett (Scots Greys et dragons d'Enniskillen) dut traverser à la hâte le camp de la cavalerie légère, dont toutes les tentes n'étaient point encore levées. Le terrain sur lequel marchaient les escadrons était en cet endroit planté de vignes; les chevaux ne pouvaient avancer que lentement au milieu des obstacles qu'ils rencontraient à chaque pas, et qui ne permettaient point aux cavaliers de se former en deux lignes directes.

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Déjà les Russes avaient atteint la plaine; ils s'étaient déployés sur chaque flanc et attendaient de pied ferme la cavalerie anglaise, qui, ayant dépassé les vignes, s'avançait à leur rencontre; une distance de quelques pas séparait seulement les deux cavaleries, dont le choc devait être terrible.

Il y eut alors un instant d'arrêt, deux ou trois secondes peut-être; tout à coup les officiers anglais levèrent leurs sabres; on entendit quelques coups de pistolet; puis les lignes se rompirent, Anglais et Russes étaient mêlés, confondus: c'était un tumulte de voix d'hommes, de hennissements de chevaux, de sabres qui s'abat

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