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Les réserves ennemies, massées en arrière, apparaissent et garnissent les remparts qui vomissent le fer et le feu.

Bientôt notre imprudente colonne est forcée de se replier devant des forces considérables qui marchent droit sur notre attaque du centre. La redoute Kamchatka ne pouvait offrir encore aucun abri contre le retour des Russes; une explosion subite l'avait encombrée de poutres, de planches, de cordages enflammés, et ce point important, si vaillamment enlevé par nos troupes, et sur lequel avait flotté l'aigle de la France, est de nouveau occupé par les Russes.

Nos bataillons, décimés et désunis, se rallient en arrière du mamelon; le 50°, qui a déjà perdu son intrépide colonel de Braucion, a vu tomber aussi son lieutenant-colonel Leblanc, vaillant soldat que le feu trouvait toujours le premier à son appel (1).

Le général Bosquet a suivi le mouvement avec une anxiété croissante; aussitôt qu'il a vu les troupes dépasser dans leur élan le but qui leur avait été assigné, il a compris la gravité de la situation. Pendant que le général Camou fait immédiatement sortir des tran

(1)

LE LIEUTENANT-COLONEL LEBLANC.

Élève de l'école spéciale militaire, le lieutenant-colonel Leblanc entra au service en 1834, toute sa carrière militaire s'est passée en Afrique, où il était resté 11 ans. Il s'était plusieurs fois brillamment distingué dans différentes expéditions, et avait été blessé en 1839. Energique, plein d'entrain, il avait, le jour du combat, sur ses soldats, l'ascendant que donne toujours l'énergie et le courage. C'est en s'élançant, un des premiers à l'attaque du mamelon Vert, qu'il fut tué à la tête de son régiment, le 50° de ligne.

chées sa 2o brigade, il envoie à la 5a division l'ordre de se porter en toute hâte en avant, au secours de la brigade Wimpffen qui menace d'être écrasée. — Cet ordre est énergiquement exécuté par le général Brunet. La 1re brigade vient occuper les parallèles en arrière du mamelon que les Russes menacent d'envahir; la 2 appuie à gauche, en profitant d'un pli de terrain qui la protége contre les feux ennemis.

Le général Vergé gravissait déjà la pente, en battant la charge et ralliait à sa brigade celle du général Wimpffen.

Ce fut un spectacle imposant et qui fit frissonner tous les cœurs, de voir ces belles troupes opérer leurs mouvements avec un ensemble calme et résolu sous le feu qui les accablait. Les nouvelles colonnes s'élancent avec un élan et une ardeur que doublent les dangers qu'elles bravent en quelques instants la terrible redoute est entourée, les parapets sont franchis, les Russes sont une seconde fois repoussés, et le général en chef voit de nouveau flotter triomphalement notre drapeau sur ce mamelon qui nous est définitivement acquis.

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Il était sept heures et demie; à l'horizon lointain le soleil se couchait dans les flots de la mer, et éclairait cette scène de combat de ses derniers rayons.

LIII. Nos alliés s'étaient emparés, de leur côté, de la position (dite des Carrières), en avant du grand Redan, dont l'occupation complétait la ligne de défense enlevée aux Russes.

Aussitôt que les colonnes d'attaque furent sorties des tranchées françaises, les troupes anglaises, composées de détachements de la division légère et de la 2o, avaient marché sur l'ouvrage des Carrières. Avec cette calme intrépidité qui les distingue, elles envahissent l'intérieur de la redoute que défendent les Russes avec une énergique ténacité; mais là, comme au mamelon Vert, comme aux redoutes de la droite, ceux-ci sont refoulés. C'était au moment où nos soldats, descendant le ravin qui sépare le bastion Malakoff de la redoute du mamelon Vert, s'élançaient follement à l'assaut de ce redoutable bastion; nos alliés ne voulurent pas rester en arrière de bravoure et d'audace imprudente, et s'élancèrent, eux aussi, sur le grand Redan, à travers un terrible feu de mitraille; mais, malheureusement, ils furent repoussés, et laissèrent sur ce terrain, qu'ils n'auraient pas dù franchir, une large ligne de morts, parmi lesquels on comptait de braves et regrettables officiers.

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LIV. —Le point important, c'était de s'établir assez solidement dans les ouvrages conquis du mamelon Vert et du mont Sapoun, pour être à même de repousser les tentatives de l'ennemi pendant la nuit. Les travailleurs du génie se mettent aussitôt à l'œuvre au milieu de la fusillade et des bombes; chacun rivalise d'ardeur, d'énergie et de courage; les compagnies placées en éclaireurs protégent le travail et surveillent les mouvements des Russes dans le ravin.

En effet, des bataillons se sont formés dans l'ombre, et, soutenus par de fortes réserves qui contournent le ravin de Karabelnaïa, s'avancent sur les travailleurs; mais ils nous trouvent prêts à combattre et sont vigoureusement repoussés à la baïonnette. Trois fois ils tentent par des efforts désespérés de reprendre ces importantes positions, et trois fois, reçus par une vive fusillade, ils voient tout à coup apparaître, sur les parapets, des remparts vivants qu'ils ne peuvent entamer, et contre lesquels viennent se briser leurs efforts impuissants.

Les résultats de cette brillante journée furent grands, et produisirent un immense effet moral; les Russes perdaient ainsi leur première ligne de défense.

Ce premier et important rempart, que leur prévoyante activité avait élevé en avant de Malakoff pour nous menacer et nous arrêter sans cesse dans nos travaux d'approche, était tombé en quelques heures en notre pouvoir, et nous avait avancés, sur toute notre ligne d'attaque, de 300 à 400 mètres environ. Sans l'ardeur héroïque, mais inconsidérée des troupes qui avaient dépassé les ordres formels que leurs chefs avaient reçus, cette importante position ne nous eût coûté que des pertes peu sensibles (1).

(1) Le général Pélissier, tout en appréciant le courage héroïque qui avait entraîné les troupes jusqu'au bastion Malakoff, devait déplorer les pertes inutiles qui en avaient été les tristes conséquences; il rappela énergiquement, par un ordre du jour, la nécessité impérieuse de ne pas dépasser les limites prescrites dans les attaques, comme cela était arrivé le 7 juin.

« Soldats, disait cet ordre du jour, un entraînement toujours dé

502 prisonniers et 73 bouches à feu étaient en notre

pouvoir.

Dès le lendemain les Russes avaient évacué la batterie du 2 Mai, dont nous nous étions aussi emparés, mais que nous n'avions pas cru devoir conserver (1).

« L'ennemi, écrivait le général en chef, en date du 9 juin, n'a fait contre les ouvrages conquis que des démonstrations sans résultat. Il a abandonné la batterie dite du 2 Mai, il nous abandonne aussi complétement

plorable, puisqu'il aboutit à répandre inutilement un sang généreux, vous a emportés plus loin que vous n'eussiez dû le faire, et bon nombre en ont été cruellement punis.

<< Il est de mon devoir aujourd'hui de vous renouveler les recommandations faites tant de fois déjà. Aussi, répéterai-je aux officiers généraux, aux chefs de corps, aux commandants de compagnie, de faire bien sentir aux hommes qui leur sont confiés, la nécessité de leur réunion et de leur formation régulière après toute action de guerre, et surtout après un assaut non-seulement le succès de l'opération, mais encore l'honneur de l'armée et leur propre salut individuel dépendent de la rapidité avec laquelle ils se sont reformés et mis en mesure de repousser toute attaque de l'ennemi, de vaincre toute résistance qui serait encore à renverser, jusqu'à ce qu'il soit tout à fait réduit à l'impuissance.

« J'attends de votre dévouement à l'Empereur, de votre amour du devoir, la stricte exécution de cet ordre. Trouvez-y les paroles d'un père, jaloux de votre conservation, et d'un chef qui a le droit de vous demander tout pour le succès de nos armes, l'honneur du souverain et la gloire de la France.

« Le général en chef, PÉLISSIER. »

(1) Nous avions quitté cette batterie après en avoir encloué les canons, parce que, se trouvant à 500 mètres environ de l'ouvrage du 22 Février, le plus éloigné de nos lignes, elle était placée sous la triple protection des batteries de terre, des forts du Nord, de la rade et des bâtiments russes, et leurs feux croisés en rendaient la position fort dangereuse. Les Russes, de leur côté, après l'avoir réoccupée, se sentirent trop en l'air, détruisirent la batterie, et l'abandonnèrent complétement.

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