Et qui n'eft pas peut-être à tel point effroyable Que vous vous étes figuré. PSICHE.
Vous,Seigneur, vous feriez ce monftre dont l'Oracle A menacé mes triftes jours, Vous qui femblez plûtôt un Dieu qui par miracle Daigne venir lui-même à mon fecours ! L'AMOUR.
Quel befoin de fecours au milieu d'un Empire, Où tout ce qui refpire
N'attend que vos regards pour en prendre la loi, Où vous n'avez à craindre autre monftre que moi ? PSICHE'.
Qu'un monftre tel que vous infpire peu de crainte} Et que s'il a quelque poifon, Une ame auroit peu de raifon De hazarder la moindre plainte, Contre une favorable atteinte
Dont tout le cœur craindroit la guerifon! A peine je vous voi que mes frayeurs ceflées. Laiffent évanouir l'image du trépas, Et que je fens couler dans mes veines glacées Un je ne fçai quel feu que je ne connoi pas. J'ai fenti de l'eftime & de la complaifance,
De l'amitié, de la reconnoiffance, De la compaffion les chagrins innocens M'en ont fait fentir la puiffance,
Mais je n'ai point encor fenti ce que je fens, Je ne fçar ce que c'eft, mais je fçai qu'il me charme Que je n'en conçoi point d'alarme;
Plus j'ai les yeux fur vous, plus je m'en fens char
Tout ce que j'ai fenti n'agifloit point de même, Etje dirois que je vous aime,
Seigneur, fi je fçavois ce que c'eft que d'aimer. Ne les detournez point, ces yeux qui m'empoifon
Ces yeux tendres,ces yeux perçans, mais amoureux Qui femblent partager le trouble qu'ils me don
Helas! plus ils font dangereux, Plus je me plais à m'attacher fur eux. Par quel ordre du Ciel que je ne puis comprendre Bbbb 7
Vous di-je plus que je ne doi,
Moi de qui la pudeur devroit du moins attendre Que vous m'expliquaffiez le trouble où je vous voi? Vous foûpirez, Seigneur, ainfi que je foû pire, Vos fens comme les miens paroiffent interdits, C'est à moi de m'en taire, à vous de me le dire, Et cependant c'est moi qui vous le dis.
Vous avez eu, Pfiché, l'ame toûjours fi dure, Qu'il ne faut pas vous étonner,
Si pour en reparer l'injure
L'Amour en ce moment fe paye avec ufure. "De ceux qu'elle a dû lui donner.
Ce moment eft venu qu'il faut que vôtre bouche Exhale des foûpirs fi long-temps retenus,
Et qu'en vous arrachant à cette humeur farouche, Unamas de tranfports auffi doux qu'inconnus Auffi fenfiblement tout à la fois vous touche, Qu'ils ont dû vous roucher durant tant de beaux jours,
Dont cette ame infenfible a profané le cours.
N'aimer point, c'est donc un grand crime? L'AMOUR.
En fouffrez-vous un rude châtiment ? PSICHE.
C'eft punir affez doucement.
L'AMOUR.
C'eft lui choifir fa peine legitime,
Et fe faire juftice en ce glorieux jour
D'un manquement d'amour, par un excés d'amour. PSICHE'.
Que n'ai-je été plûtôt punie!
J'y mets le bonheur de ma vie,
Je devrois en rougir, ou le dire plus bas Mais le fupplice a trop d'appas:
Permettez que tout haut je le die & redie; Je le dirois cent fois & n'en rougirois pas. Ce n'eft point moi qui parle, & de vôtre prefence L'empire furprenant, T'aimable violence, Dés que je veux parler, s'empare de ma voix. C'eft en vain qu'en fecret ma pudeur s'en offense, Que le fexe & la bienfeance
Ofent me faire d'autres loix;
Vos yeux de ma réponse eux-mêmes font le choix. Et ma bouche affer vie à leur toute-puiflance Ne me confulte plus fur ce que je me dois. L'AMOUR.
Croyez, belle Pfiché, croyez ce qu'ils vous difent, Ces yeux, qui ne font point jaloux, Qu'à l'envy les vôtres m'inftruisent De tout ce qui fe paffe en vous. Croyez-en ce cœur qui foûpire,
Et qui tant que le vôtre y voudra répartir, Vous dira bien plus d'un foûpir Que cent regards ne peuvent dire, C'eft le langage le plus doux;
C'eft le plus fort, c'eft le plus feur de tous. PSICHE'.
L'intelligence en étoit dûë Anos cœurs pour les rendre également contens: J'ai foûpiré, vous m'avez entenduë; Vous foûpirez, je vous entens,
Mais ne me laiffez plus en doute, Seigneur, & dites-moi fi par la même route Aprés moi le Zephire ici vous a rendu Pour me dire ce que j'écoute.
Quand j'y fuis arrivée, étiez-vous attendu ? Et quand vous lui parlez, étes-vous entendu ? L'AMOUR.
J'ai dans ce doux climat un fouverain empire, Comme vous l'avez fur mon cœur : L'Amour m'eft favorable, & c'eft en la faveur Qu'à mes ordres Eole a foûmis le Zephire. C'est l'Amour qui pour voir mes feux recompen- fez,
Lui-même a dicté cet Oracle,
Par qui vos beaux jours menacez D'une foule d'amans fe font débaraflez, Et qui m'a delivré de l'éternel obftacie De tant de loupirs empreffez
Qui ne meritoient pas de vous être adreflez. Ne me demandez point quelle eft cette Province, Ni le nom de fon Prince,
Vous le fçaurez quand il en fera temps:
Je veux vous acquerir, mais c'eft par mes fervices,
Par des foins affidus, & par des voeux conftans, Par les amoureux facrifices
De tout ce que je fuis,
De tout ce que je puis,
Sans que l'éclat du rang pour moi vous follicite ; Sans que de mon pouvoir je me faffe un merite; Et bien que Souverain dans cet heureux féjour, Je ne vous veux, Pfiché, devoir qu'à mon amou Venez en admirer avec moi les merveilles, Princeffe, & préparez vos yeux & vos oreilles A ce qu'il a d'enchantemens. Vous y verrez des bois & des prairies Contester fur les agrémens
Avec l'or & les pierreries,
Vous n'entendrez que des concerts charmans, De cent beautez vous y ferez fervie, Qui vous adoreront fans vous porter envie, Etbrigueront à tous momens
D'une ame foûmife & ravie L'honneur de vos commandemens. PSICHE'.
Mes volontez fuivent les vôtres, Je n'en fçaurois plus avoir d'autres Mais votre Oracle enfin vient de me feparer De deux fours & du Roi mon pere, Que mon trépas imaginaire
Reduit tous trois à me pleurer.
Pour diffiper l'erreur dont leur ame accablée De mortels déplaisirs fe voit pour moi comblée, Souffrez que mes foeurs foient témoins Et de ma gloire & de vos foins. Prêtez-leur comme à moi les aîles du Zephire, Qui leur puiffe de vôtre Empire
Ainfi qu'à moi faciliter l'accés ; Faites-leur voir en quels lieux je refpire, Faites-leur de ma perte admirer le fuccés. L'AMOUR.
Vous ne me donnez pas, Pfiché, toute vôtre ame; Ce tendre fouvenir d'un pere & de deux fœurs Me vole une part des douceurs
Que je veux toutes pour ma flâme.
N'ayez d'yeux que pour moi qui n'en ai que pour
Ne fongez qu'à m'aimer, ne fongez qu'à me plaire, Et quand de tels foucis ofent vous en diftraire.... PSICHE.
Des tendreffes du fang peut-on être jaloux ? L'AMOUR.
Jele fuis, ma Pfiché, de toute la nature. Les rayons du Soleil vous baifent trop fouvent, Vos cheveux fouffrent trop de careffes du vent, Dés qu'il les flate j'en murmure: L'air même que vous refpirez.
Avec trop de plaifir paffe par vôtre bouche, Vôtre habit de trop prés vous touche, Et fi-tôt que vous foûpirez,
Je ne fçai quoi qui m'effarouche,
Craint parmi vos foûpirs des foû pirs égarez. Mais vous voulez vos feurs, allez, partez, Zephire, Pfiché le veut, je ne l'en puis dédire. Le Zephire s'envole.
Quand vous leur ferez voir ce bienheureux séjour, De ces tréfors faites leur cent large fles, Prodiguez-leur careffes fur careffes,
Et du fang, s'il fe peut, épuifez les tendreffes, Pour vous rendre toute à l'Amour. Je n'y mêlerai point d'importune présence. Mais ne leur faites pas de fi longs entretiens; Vous ne fçauriez pour eux avoir de complaifance, Que vous ne dérobiez aux micns.
PSICHE.
Vôtre amour me fait une grace Dont je n'abuferai jamais. L'AMOU R.
Allons voir cependant ces jardins, ce palais, Où vous ne verrez rien que vôtre éclat n'efface. Et vous, petits Amours, & vous, jeunes Zephirs, Qui pour ames n'avez que de tendres foûpirs, Montrez tous à l'envi ce qu'à voir ma Princefle Vous avez fenti d'allegreffe.
TROISIEME INTERMEDE.
IL Se fait une entrée de ballet de quatre amours & de quatre Zephirs, interrompue deux fois par un dialogue chanté par un Amour & un Zephir.
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