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employé intéresse seule. Une simple liste des mots relevés dans les comédies de Molière ne donnerait pas l'idée de ce qui est véritablement original dans sa langue, et quelques archaïsmes, quelques bizarreries y attireraient trop l'attention. Molière se sert des mots les plus simples, les moins recherchés1, mais il a le secret de les associer entre eux de mille manières ingénieuses et imprévues. On a dû s'attacher à relever ces alliances de mots, et c'est pourquoi certains articles de ce Lexique sont assez longs.

On ne pouvait, sans altérer le style de Molière, citer ses phrases par fragments trop écourtés. Aujourd'hui les phrases de la Comédie sont hachées par de nombreuses suspensions; les répliques se suivent d'un mouvement pressé; l'allure du style rappelle la vie fièvreuse du temps. Bon nombre des personnages de Molière au contraire sont volontiers discoureurs, ils aiment à s'expliquer tout à leur aise; ils n'en ont pas moins la patience d'écouter tout le développement des réponses qu'on leur fait; dans ces longs entretiens, malgré la gaieté du ton et le comique des détails, le langage prend une certaine ampleur. Molière a gardé quelque chose du ton oratoire, du style classique de son époque. Les phrases sont construites de façon à porter jusqu'au fond de la salle de spectacle; elles sont très rythmées, assez sonores pour dominer les rires du parterre, assez pleines pour qu'un détail mal entendu n'empêche pas de bien saisir l'ensemble du sens. Par là s'explique le fait qu'une idée, exprimée d'abord avec concision, est souvent répétée sous une forme plus développée, la seconde partie de la phrase étant comme le commentaire de la première, et le sens d'un premier mot étant précisé par l'emploi d'un second ou d'un troisième. Il était difficile de reproduire ces longues phrases à l'article de chacun des mots qu'elles contiennent, mais des renvois indiquent l'article principal où elles ont été données en entier. Le lecteur ne perdra donc pas sa peine en se reportant d'une page du Lexique à l'autre, quand il y sera invité par un simple suivi d'un mot imprimé en petites capitales.

«

Voyez

כל

A la suite des exemples de certains adjectifs ou de certains verbes, on trouvera un renvoi à une série de substantifs; cela suffit pour avertir que ces substantifs ont été associés par Molière à l'adjectif

1. De quelques termes nouveaux qu'il a gaiement hasardés on peut dire qu'ils étaient virtuellement dans la langue, tant la dérivation en a été naturelle.

2. On a le sentiment que Molière, en écrivant, entendait déjà l'acteur qui aurait à faire valoir sur la scène sa prose ou ses vers il ne lui demandait pas de faire un sort à chaque mot; quelques parties de phrases, sans être des remplissages ou des chevilles, sont surtout utiles pour l'harmonie générale et la belle ordonnance de la période; elles empêchent la voix de tomber tout à fait entre deux mots importants; elles laissent à l'auditeur un temps de repos, sans lui donner l'impression d'un débit haletant, d'un souffle trop court. l'acteur aussi de faire passer quelques petites négligences, quelques mots répétés, quelques syllabes un peu heurtées.

ou au verbe dont on vient de lire l'article; si maintenant on parcourt les articles de ces substantifs, on y trouvera toute la série des adjectifs qui leur ont été appliqués, des verbes qui ont formé locution avec eux. On verra là réunis les éléments d'une étude intéressante sur les expressions à peu près synonymes, et cependant variées de mille manières, que Molière sait créer avec une inépuisable fertilité d'invention, avec une verve toute rabelaisienne. Plus d'une expression prise isolément paraîtrait assez ordinaire, qui prend une valeur nouvelle par le rapprochement de celles qu'elle rappelle et dont elle diffère cependant. Il y a tel critique qui aurait moins vite condamné le style de Molière, s'il avait eu sous les yeux tous les exemples ici rassemblés et s'il avait mieux pu voir des intentions de satire là où il voyait du mauvais goût ou de l'affectation. Car il paraît bien que ce n'est pas seulement dans les Précieuses ridicules que Molière a montré le plaisir qu'il prenait à parodier un certain style; ce n'est pas sans ironie qu'il a continué des métaphores jusque dans le dernier détail des images qu'elles contiennent, et tourné tant de phrases amoureuses sur les cœurs enflammés et les âmes embrasées d'amour, sur les cœurs qui prennent feu ou que leurs feux consument, sur les yeux dont les feux réduisent un cœur en cendres, sur les ardeurs, les feux et les flammes qui s'allument et s'éteignent ou dont on brûle, ou encore sur cette glace qui fond en partie après avoir résisté à toutes les ardeurs de l'amour.

En général, parmi plusieurs exemples semblables, on s'est contenté d'en choisir et d'en citer un ou deux; pour permettre cependant au lecteur de se rendre compte que l'expression signalée est assez fréquente chez Molière, on a indiqué les passages où elle se retrouve. On s'est alors servi des abréviations « Cf. » ou « Voy. », suivies de chiffres romains et arabes qui indiquent, les premiers le tome et la page où l'on renvoie, les autres l'acte et la scène de la pièce citée1 (par exemple : Cf. V, 307, Am. méd. I, 1); pour les pièces en vers, on n'a donné ni la page, ni l'acte et la scène, mais seulement le numéro du tome et celui du vers (par exemple: Voy. V, Mis. 1125). Le mot « note », venant après ces renvois, avertit qu'une explication a été donnée dans le commentaire et qu'elle ne sera pas reproduite au Lexique.

Le lecteur excusera l'aspect de quelques lignes remplies de chiffres et de renvois; grâce à ces indications sommaires, il a été possible de ne pas étendre outre mesure ce travail et de faciliter au lecteur le

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1. Les abréviations du nom des pièces sont assez claires pour qu'il ait paru superflu d'en donner la liste; on pourrait seulement hésiter pour G. D., qui veut dire Georges Dandin, et Crit., qui veut dire Critique de l'École des femmes. Dans le cas où un mot appartient moins à la langue de Molière qu'au jargon précieux, bourgeois, paysan or bouffon, on a fait précéder la phrase citée du nom du personnage qui la prononce (par exemple: SGAN. pour SGANARELLE).

rapprochement de choses qu'il y avait intérêt à ne pas répartir seulement au hasard de l'ordre alphabétique.

Quant à l'Introduction grammaticale, elle contient aussi des renvois d'un paragraphe à l'autre; le lecteur trouvera facilement le sens de ces indications en chiffres romains ou arabes, en lettres majuscules et minuscules, s'il veut bien parcourir la Table des chapitres qu'il trouvera aux pages ccxxv à ccxxxi.

Dans le relevé des phrases plus particulièrement intéressantes pour l'étude de la syntaxe, non plus que dans le relevé des mots du vocabulaire de Molière, on n'a voulu se restreindre aux tournures qui ont vieilli. Il ne fallait pas donner au lecteur une impression fausse et présenter cette syntaxe comme celle d'un auteur qui aurait cessé d'être un moderne ; car, si l'on y relève quelques tours de phrase plus ou moins abandonnés depuis le dix-septième siècle, dans l'ensemble c'est bien déjà la syntaxe qui régit aujourd'hui notre langue. Parfois, il est vrai, on sent que le poète comédien n'a pas voulu remettre vingt fois sur le métier son ouvrage, et qu'il a noté, dans toute leur fantaisie et leur naturel, les tournures un peu capricieuses, mais toujours bien françaises, de la langue parlée. Jamais pourtant la logique, le bon sens, la clarté n'ont souffert d'une certaine liberté dans l'allure de la phrase.

INTRODUCTION GRAMMATICALE

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I

ARTICLE

Voir au chapitre II (SUBSTANTIF) l'emploi ou le non-emploi des articles devant adjectifs ou autres mots pris substantivement.

A.

I. ARTICLE DÉFINI.

Article défini ayant un sens démonstratif.

1o Article défini, avec un sens démonstratif, employé devant un nom, sans autre détermination.

Tiens encor ton couteau; la pièce est riche et rare! (I, Dép. a. 1430.) (... Cela se pourroit bien.) Le doute est mieux fondé (I, Dép. a. 16). Là, signez donc, mon frère :

L'honneur vous appartient (II, Éc. d. m. 1032). L'honneur de signer (le premier).

On m'a fait voir une nécessité pour moi d'être imprimé, ou d'avoir un procès; et le dernier mal est encore pire que le premier (II, 48, Préc. Préf.).

C'est toi... qui m'as bu mon vin..., et qui as été cause que j'ai tant querellé la servante, croyant que c'étoit elle qui m'avoit fait le tour? (VIII, 445, Scap. II, 1.)

Je ne vous assurerai point que je me réjouis du dessein où vous pourriez être de devenir ma belle-mère. Le compliment, je vous l'avoue, est trop difficile pour moi (VII, 145, Av. III, vn).

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De moment en moment.... Vous voyez le supplice (I, Dép. a. 1521).
GR.-RENÉ. Il est jaloux....

MARIN. De Valère? Ah! vraiment la pensée est bien belle! (I, Dép. a.
CID. Abaissons-nous, ma sœur, à faire des avances....

AGL. J'approuve la pensée... (VIII, Psy. 302).

(105.)

Que la plaisanterie est de mauvaise grâce (V, Mis. 33; cf. 509; IX.

F. sav. 654, 834; I, Dép. a. 587, 841).

J'entends à demi-mot où va la raillerie (II, Sgan. 173).

Avec peine, Marquis, je te fais la prière (III, Fách. 267).

(Sans vous faire outrage,) Peut-on lever le masque et voir votre visage? (I, Ét. 1224.) Ce masque que vous portez.

Allez quitter l'habit et graisser votre dos (I, Ét. 1634).

A l'heure même encor nous avons eu querelle... (I, Ét. 303).

Parbleu! si grande joie à l'heure me transporte... (II, Sgan. 482).
Enfin, après cent tours, ayant de la manière

[De la SORTE.

Sur ce qui n'en peut mais déchargé sa colère... (III, Éc. d. f. 1164). CI.
Est-ce de la façon que vous voulez l'entendre? (Éc. d. f. 1124.) Cf. FACON.

LEX. DE M.

A

2° Article défini, avec un sens démonstratif, employé devant un nom expliqué par une pròposition relative ou conjonctive.

Voy., aux PRONOMS DEMONSTRATIFS, des emplois analogues de CE, et voy. à CONSTRUCTION (XXI, F 5o).

(Votre conduite) Madame, eut le malheur qu'on ne la loua pas (V, Mis. 888; cf. IX, F. sav. 1027, 1028).

Je te pardonne à la charge que tu mourras (VIII, 516, Scap. III, xш11). ER. Pourg Luc. Par la raison que nous rompons ensemble (I, Dép. a. 1393; cf. V, Mis. 1446).

Comparez la phrase suivante: « Les dépenses que je vous vois faire pour moi in'inquiètent par deux raisons : l'une, qu'elles m'engagent plus que je ne voudrois; et l'autre, que je suis sûre... que vous ne les faites point que vous ne yous incommodiez » (VIII, 152, Bourg. g. III, xv).

Par la même raison que les véritables savants... ne se sont point encore avisés de s'offenser du Docteur de la comédie,... aussi les véritables précieuses auroient tort... (II, 51, Préc. Préf.).

...

Cependant me ferez-vous la grace

Que je puisse lui dire un seul mot en secret? (I, Ét. 1544, 1545.)

Voyez à RÉGIME des substantifs (XVIII, A).

3° Article défini employé devant un nom expliqué par une proposition

...

infinitive.

Des parents le bien et la naissance

M'ôtent tout le pouvoir d'en casser l'alliance (II, Sgan. 643).

... Ce n'est pas le temps,

Madame, comme on sait, d'être prude à vingt ans (V, Mis. 983).

4° Article défini employé devant un nom désignant un objet bien connu des interlocuteurs, ou dont l'idée est présente à leur esprit.

...

Parmi cent objets d'une beauté touchante,

Le Dieu porte au respect, et n'a rien qui n'enchante....

(Rien) Qui ne présente à l'œil une divinité (IX, Val-de-Gr. 320).

Dans cet exemple, Molière parle d'un Dieu le Père peint à fresque par Mignard. La vérité de l'affaire est qu'on n'y gagne rien de bon (VI, 541, G. D. II, 1).

Connois-tu bien Grimpant le bourreau de la ville? (Dép. a. 1106.) Voy. à QUARTIER, à PLACE.

Pour la langue, on verra dans peu nos règlements (IX, F. sav. 899).

Le remords est bien près de la solennité (I, Ét. 1474). De la cérémonie du mariage

... Rentrez, Lucile, et me faites venir

Le précepteur je veux un peu l'entretenir (I, Dép. a. 650).

Cependant un amant plairoit fort à la dame (Mis. 865; cf. Fach. 568).
Mais voici le fils qui me vient rendre réponse (IV, 61, Mar. f. viii).
Il faut que quelque chose ait brouillé sa cervelle;

Mais le frère sur-le-champ

Finira cette querelle (VI, Amph. 1069).

Pour moi, si je n'avois qu'à former des desirs,

La cousine Éliante auroit tous mes soupirs (V, Mis. 244).

Dans ce dernier vers, l'édition de 1682 porte « sa cousine... ».

Avec Piarrot, le fils de la voisine Simonette (V, 117, D. Juan, II, 11). Cf. La Marinette, la chère Marinette (I, Dép. a. 246, 1777).

Est-ce qu'à l'exemple du maître

Tu veux dire qu'ici tu n'es pas revenu? (VI, Amph. 1101.)

Il me faut de ce pas aller faire mes plaintes au père et à la mère, et les rendre témoins... (VI, 515, G. D. I, 1; cf. VI, 538, 554, 585).

Ah! la voilà; mais le mari est avec elle (VI, 545, G. D. II, 11).

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