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ma fille, je m'y perds; qu'est-ce donc que sagesse! qu'est-ce que l'amitié? les a-t-on jamais vues sous de telles figures? on dit qu'il aime son château, je n'en crois rien; qu'il aime le Chevalier, je n'en crois rien si ce n'est, comme vous dites, qu'il aime le Che-" valier comme son château, et qu'il ne les aime point tous deux; mais qu'aime-t-il donc? Voilà une si monstrueuse pensée, que je suis à mille lieues de la concevoir : ditesm'en la suite, ne s'évanouira-t-elle point, comme celle du mariage (1)? Pour moi, je ne crois point qu'il y ait un homme assez hardi pour songer à acheter cette Terre: maia ja ne finirois point; je veux seulement vous dire encore un mot de la dispute qui est entre vous. Il me paroît que vous êtes avec une douzaine de Comtesses de Fiesque: vous savez qu'elle ne comptoit pour rien les

(1) On a déjà vu que le mariage de M. de la Garde Antoine Escalin des Aimars) ne s'étoit point fait. Madame de Sévigné espère qu'il en sera de même de la vente du Marquisat de la Garde, qui réellement ne fut point vendu. Cette Terre appartint ensuite à Mademoiselle de Castellane, petite-fille de Pauline de Grignan, Marquise de Simiane, qui fut légataire universelle de M. de la Garde (son oncle à la mode de Bretagne), mort en 1713.

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petites terres, où il ne vient que du blé, et croyoit avoir fait une affaire admirable de l'avoir vitement donnée, pour avoir des miroirs d'argent et autres marchandises. Messieurs de la Balustrade, voilà comme vous êtes; cette comparaison décide, et je n'emploirai pas ma raison simple et droite, à vous persuader que de l'or vaut mieux que du vif-argent, et que Madame de Sarson, bonne fermière, est plus solide qu'un papillon! je ne puis laisser ma lettre à un plus bel endroit. Je vais voir les bons Chaulnes.

M. de Pommereuil sort d'ici : il m'a si bien instruite sur Brest, qu'encore que Vous en sachiez peut-être autant que moi, je veux vous le redire. M. le Maréchal d'Estrées étoit embarqué dans son vaisseau, tous ses ordres donnés, plus rien sur terre; il a reçu un ordre du Roi de revenir à Brest, et d'y demeurer à cause de l'importance de la place, et du besoin de sa présence. M. de Seignelai est embarqué; il est chargé de l'exécution de toute cette grande affaire; Château - Renaud (1) est avec lui; ils attendent le Che

(1) François-Louis Rousselet, Comte de ChâteauRenaud, depuis Vice-Amiral et Maréchal de France.

valier de Tourville (1), qui doit se joindre à eux, et qui doit composer les soixante vaisseaux qui font notre puissance; mais il y a plus de soixante vaisseaux anglois et hollandois dans une isle nommée Ouessant, à huit lieues de Belle-Isle, qui veulent empêcher la jonction vous jugez bien, ma fille, de quelle importance est cette affaire. M. de Seignelai me paroît comme Bacchus, jeune et heureux, qui va conquérir les Indes. On dit que le pape est bien malade. M. de Lavardin est arrivé à Paris; il craint de s'en retourner; et moi je crains autre chose (2) ma chère enfant, il faut être préparée à tout; Dieu donne et ôte, comme il lui plaît.

Jeudi.

Ces bons Gouverneurs m'ont reçue à bras ouverts : nous soupâmes hier chez M. de Pommereuil avec quelques femmes, et Revel, et d'autres; nous y dînons encore au'jourd'hui; ainsi l'a ordonné M. le Commis

(1) Aune-Hilarion de Cotentin, Chevalier, puis Comte de Tourville, Vice-Amiral et Maréchal de France.

(2) On sait pourquoi Madame de Sévigné craignoit la restitution du Comtat Venaissin.

saire du Roi : Madame de Chaulnes appelle cela un arrêt du Conseil d'en haut. Elle m'a parlé de vous, et dit aussi que vous ne voulez pas que je sois aux Rochers: croyez cependant que, hors l'hiver, rien ne m'est si agréable, ni si bon pour ma santé : c'est ici un dérangement, un bruit, un tracas qui m'importunent. Je suis bien aise de venir voir ces Chaulnes pour quelques jours; j'y viendrai toujours avec joie; mais il faut que l'espérance de retourner dans mon repos, me soutienne. Ce n'est pas ce bruit-ci qui me plaît; c'est un bruit qui est à moi, comme celui de l'hôtel de Carnavalet, ou celui du château de Grignan : si je suis jamais assez heureuse pour l'entendre; j'avoue pour celui-là, que je le souhaite passionnément. Cette Duchesse vous dit mille douceurs, M. de Chaulnes m'a conté mille bonnes ou mauvaises plaisanteries telles qu'elles sont, je vous conjure d'y répondre; vous m'aimez trop pour ne pas m'aider à payer dės gens qui ont tant d'amitié pour moi. M. de Chaulnes aime bien aussi ce qu'il vous a mandé : c'est un voyage à Rome, c'est aller à Grignan, c'est le Roi d'Espagne........ j'avois si chaud, que je n'entendois pas à demi. Il ne

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séparera pas encore sitôt cette noblesse; il a reçu des ordres de la laisser encore sur pied, sans aucun besoin je la vis hier en escadron; elle a assez bonne mine. Mon fils en est bien fatigué: il n'a pas le tems de vous écrire; il vous fait mille sortes d'amitiés de vos souvenirs. Je ne quitte point de vue ma chère Comtesse, ni son château, ni tous ses habitans; faites-leur bien tous mes complimens, à chacun, selon l'amitié qu'il a pour moi; vous saurez varier les phrases: mais je vous conjure d'embrasser ma chère Pauline; je lui attire souvent de ces sortes de grâces; aimez-la sur ma parole. Je suis toute à vous, mon aimable enfant : voilà un compliment où il n'y a point d'exagération, non plus qu'à tout ce que je pourrois vous dire de ma tendresse : vous me rendez trop savante sur ce sujet, pour croire que de certaines gens en aiment d'autres, quand je vois des effets qui ressemblent à la haine.

J'ai parlé confidemment à Madame de Marbœuf de ce mémoire (1); elle ne laisse pas de trouver le parti fort bon; elle a rai

son..

(1) Voyez la lettre du-17 Juillet.

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