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du Latran ne représente ni Sophocle | autorise, en outre, les habitants de

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DES SAVANTS.

MAI-JUIN 1922.

ARLES GRECQUE ET ROMAINE.

L.-A. CONSTANS, Arles antique, un vol. in-8 de xvI-426 p. et 16 planches. Paris, de Boccard, 1921.

:

Ce livre est autre chose que la monographie d'une ville de Gaule le rôle qu'Arles joua dans l'antiquité, la manière large dont M. Constans reconstitue son histoire font du présent volume un trésor d'enseignements sur les destinées générales de notre pays.

I

Arles, dans les temps gaulois, c'est-à-dire aussi loin qu'on peut pénétrer son passé, faisait partie de la peuplade ou de la confédération celto-ligure des Salyens. Cette peuplade s'étendait depuis la Durance jusqu'à la mer et depuis le Rhône jusqu'aux îles d'Hyères et aux monts des Maures. Elle correspondait, plus ou moins, à la

(4) Ceci n'est qu'approximatif : car il est bien rare que les rivières, si larges soient-elles, aient servi de limite entre des cités gauloises. D'une part le domaine des Salyens a dû dépasser le Rhône du côté d'Arles, à qui dès le haut moyen âge appartinrent la terre d'Argence et même Beaucaire sur la rive droite (Beaucaire a dû être enlevée

SAVANTS.

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à Nîmes, de qui elle dépendait primitivement). D'autre part, les Salyens allaient largement au nord de la Durance du côté de Pertuis; et en revanche, j'incline toujours à croire, malgré les objections développées par M. Constans dans son livre, que les Cavares du Vaucluse venaient jusqu'aux Alpines.

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Provence. Et voici déjà que se marque quelque chose de très important pour ce que j'appellerai les annales profondes de la France c'est que dès la première lueur perçue sur ses origines, nous trouvons chez elle l'ébauche à demi prête de ses régions intérieures, de ses provinces la Provence est issue tout naturellement d'une entente entre des tribus gauloises.

Dans cette civitas (comme dirent les Romains), dans cette cité des Salyens, deux lieux essentiels apparaissent presque aussitôt que nous l'avons entrevue elle-même : Aix et Arles, et j'appelle ici Aix, pour plus de commodité, le vieil oppidum celtique d'Entremont, dont on peut visiter aujourd'hui les tristes et arides vestiges à quelques kilomètres de la ville moderne d'Aix. Aix n'a fait, sous la domination romaine, que remplacer Entremont et continuer son rôle en Provence.

Ce qu'a été ce rôle d'Aix, je l'ai dit ici même ". Aix est le centre naturel de la Provence, le carrefour de ses deux grandes voies : celle qui du port de Marseille monte vers l'intérieur pour rejoindre la Durance; celle qui de l'ouest à l'est, vient du Rhône et conduit au littoral de Fréjus, en suivant les dépressions quasi providentielles marquées par la Crau au bas des Alpines, et par les triples vallées de la Touloubre, de l'Arc et de l'Argens. Notons bien cette seconde voie et son importance: elle est en quelque façon la chaîne par laquelle la Provence tient à la France, elle l'attache, si je peux dire, le long du Rhône. C'est donc au milieu de cette voie qu'Aix ou Entremont s'est placé, comme oppidum central, lieu principal de refuge, de marché ou de culte, de la cité salyenne, ancêtre de la Provence, tout ainsi que Bibracte, au milieu du Morvan, fut la métropole des Eduens de Bourgogne, et Gergovie, à la lisière des Puys, celle des Arvernes d'Auvergne. Et voilà pourquoi, aujourd'hui encore, tant de choses font d'Aix la capitale de la Provence son archevêque, sa Cour, son Université, et l'air particulier de ses hôtels et de ses habitants.

Mais un des caractères les plus constants de ces fédérations, de ces grandes cités gauloises, est qu'elles tendirent toutes, à côté de leur ville médiane, à avoir quelque part, à leur extrémité, sur fleuve

() Voyez le Journal des Savants de 1907, p. 151 et suiv.

ou sur mer, un port servant de débouché et d'entrepôt. Les lois économiques des groupements humains sont éternelles. Elles s'imposent aujourd'hui aux domaines coloniaux des Européens d'Afrique et aux nouveaux États de l'Europe centrale; elles s'imposaient autrefois aux provinces naissantes de la Gaule française. Les Allemands mirent tout en œuvre, il y a dix ans, pour que le Cameroun eût son port sur le Congo; nous voulûmes jadis, aux heures de Fachoda, avoir pour notre Afrique une porte sur le Nil; et la Pologne a le droit de réclamer que la Baltique lui soit ouverte. De la même manière, voilà vingt-cinq siècles, les Eduens, partis du Morvan, et les Allobroges, partis du Dauphiné, se disputèrent à qui aurait, au confluent du Rhône et de la Saône, la colline et le port de Fourvières lyonnaise; et de même, les Carnutes, dont le centre était à Chartres, installèrent sur la Loire leur port de Génabum ou d'Orléans et s'insinuèrent même jusqu'à la Seine, du côté de Mantes et de Meulan. Une cité gauloise, bien constituée, a toujours deux éléments essentiels la capitale sur un sommet central, le port souverain sur une rive de lisière. Et ce furent, pour les Eduens, Bibracte et Chalon, pour les Allobroges, l'énigmatique Solonium et Vienne, et pour les Salyens, Aix et Arles. Le point de départ d'Arles, dans l'histoire de la Provence, est d'avoir été son port indigène, à l'entrée de sa route maîtresse, au débouché du fleuve qui longeait son flanc. Mais il est arrivé ceci, en Provence, qu'il y a eu deux ports différents, et par leur situation, et par leur origine. Marseille, au temps où les Salyens s'organisèrent, était déjà entre les mains des Grecs. Dès le jour de sa naissance, Arles trouva, comme port, une concurrente redoutable; et dès lors se fixa une des lois, une des tristesses de son histoire.

II

Il semblerait, au premier abord, que la lutte était singulièrement inégale entre Marseille, avec un port profond et merveilleusement abrité, faisant face à toutes les routes de la mer, et Arles, sur son fleuve capricieux, aux embouchures lointaines et dangereuses. Et qui regarde les choses de maintenant, Arles réduite à la vie d'un marché agricole et Marseille dominatrice de la Méditerranée occi

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dentale, et qui compare ces choses à celles de l'origine, d'avant l'ère chrétienne, Marseille déjà métropole de nos rivages et Arles végétant dans l'oubli, aura peine à comprendre qu'il ait pu y avoir concurrence et conflit, et que Marseille ait été longtemps la vaincue. Pourtant, à examiner la situation de très près, et telle qu'elle se présentait au début, elle n'était pas aussi défavorable à Arles qu'elle pourrait nous paraître. D'abord, la marine ne comportait que des navires de faible tonnage, et à aucun d'eux le Rhône n'était inaccessible et le port d'Arles inabordable. Le fleuve, qui vient de se diviser devant Arles, n'y offre pas les mêmes inconvénients qu'à Tarascon, je l'y ai rarement entendu gronder. A Arles, la grande route de l'intérieur est tout autrement longue et facile que celle qui, par Septèmes et le Plan de Campagne, met Marseille en rapport avec les hautes terres, et celle-là, la voie d'Arles, traverse une contrée infiniment plus riche et plus variée à vrai dire, Marseille, à demi bloquée par ses rudes montagnes, semble tourner le dos à la Provence, tandis que celle-ci s'ouvre tout entière, largement et joyeusement, au pied du mamelon d'Arles. La question de l'arrière-pays, qui a une si grande importance pour un port, pourrait être tranchée en faveur d'Arles de Marseille ne part aucun chemin universel et naturel vers le centre de la Gaule; et Arles a en face de soi la ligne du Languedoc, qui conduit à l'Espagne et à l'Atlantique, et à sa droite la ligne du Rhône, qui conduit où l'on veut en France, sans parler, derrière elle, de la ligne de la Durance, qui dessert l'Italie. Je sais bien que le site et l'ambiance d'Arles sont tristes et médiocres un mamelon bordé de ces abominables marécages, contre lesquels ont lutté d'innombrables générations de vidangeurs, plus loin la Crau et ses pierres, la Camargue et ses moustiques. Mais que l'on fasse attention: Marseille a ses collines dénudées, la rareté du terrain cultivable ailleurs que dans la vallée de l'Huveaune, laquelle est bien peu de chose; et Arles a à sa portée les splendides cultures du bas des Alpines, de Saint-Rémy, de la plaine de Barbentane, aujourd'hui encore le plus beau verger, le plus beau fleuriste de la France. Je ne crois pas que les forêts aient été dès lors très garnies aux abords de Marseille; et Arles avait, très près d'elle, les bois des Alpines, et Sylveréal, et Sylvegodesque, et Malmont, et bien d'autres forêts que nous permettent de reconstituer aujourd'hui les noms de

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