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répondit-il; mais une fi belle main, & mon âge me l'ont donnée; & je n'ai pas cru que ce fut un mal que de les en croire. Pour moi, ma Mere, répondis-je, je n'ai pas eu le tems d'arrêter Monfieur. Allez-vous en, Mademoi felle, me repartit-elle Vêpres fonnent; vous ferez mieux de vous y rendre.

Je fis alors une révérence, où, à travers beaucoup de modeftic, j'enveloppai je ne fçais quel air content de mon amant, qu'il dut comprendre, & je me retirai plus curieufe qu'inquiette des fuites de l'aventure; & dans une impatience extrême de lire mon billet; il me parut charmant, peut-être l'étoit-il je le gardai comme un trẻfor, où je puifois dans mille momens. du jour une agréable vanité : je me regardois comme une perfonne importante; je n'avois befoin que de le toucher pour m'estimer, & pour treffaillir de joye. On veilla deflors mes actions de plus près; mais au bout de quelque tems je me vis libre par la mort de ma foeur. On me vint repren dre au Couvent: mon amant eut la li berté de me voir; ma nouvelle fitua

tion me ravit au point que j'en étois comme étourdie : les moindres vifites étoient pour moi des plaifirs férieux; un rien m'étoit beaucoup, ou quelque chose; ; mon amour même augmenta à proportion; la journée ne fuffifoit pas à fentir ma fatisfaction.

Voilà quelle j'étois, quand les empreffemens de mon amant baifferent, & quand enfin j'appris qu'il les portoit ailleurs. Je te l'avoue, ma chere, le jour où l'on m'en confirma la nouvelle, je fus bien une bonne heure où il me fembla que tout étoit défert dans le monde, & que tout m'avoit abandonnée. Dans cette détreffe,il me vint compagnie; le monde à mes yeux fe repeupla; mon chagrin s'affoiblit; je me crus moins délaiffée; deux jeunes gens me firent des mines que je trouvai finceres ; je me fentis réconfortée, & je pris tant de courage dans cette foirée, que lorfque la compagnie fortit, je me félicitai de mes nouvelles conquêtes, fans me reffouvenir que, trois heures avant, je regrettois la perte d'une... Cette dame en étoit la de fon difcours, quand je fis par mé-garde un petit bruit qui la fit taire, Re

mettons le reste, dit-elle, à une autre fois, il te divertira. Je me fauvai làdeffus, avec deffein de guetter l'occafion de fçavoir la fuite de l'hiftoire ; je l'ai fçûe; &comme cette lettre eft déja très longue, ce que j'ai appris fera le fujet d'une autre. Bon jour.

N

Suite de la Lettre de M. M***.

que

On, mon cher, je ne vous manquerai point de parole; je vous ai promis la fuite de l'hiftoire en queftion; vous fouhaitez que j'entre d'abord en matiere, & je commence. Je vous ai dit qu'un petit bruit je fis, avoit interrompu la Dame qui parloit, & qu'elle étoit fortie du cabinet avec fa tendre compagne, dans le deffein den continuer une autre fois fon difcours. Le lendemain je les épiai fi bien toutes deux, que je les vis fur le foir fe prendre fous le bras, & fe retirer dans le cabinet, d'où j'avois tout entendu la veille; je me gliffai donc à ma place, & je crois être obligé de vous conter la nouvelle converfation qu'elles eurent enfemble, avant que

la Dame, qui avoit commencé fon hif toire, la pourfuivît.

Hé bien, ma chere, dit la Dame folâtre à fon amie, comment as-tu paffé la nuit ? Mon Dieu! répondit l'autre, j'ai honte de te le dire. Ah! j'entends, reprit l'amie; je fçais ta nuit par cœur ; je la lûs hier en me couchant. Tu l'as lûe ? tu rêves, dit l'autre. Non, je te dis vrai, repartit-elle; je lifois hier Caffandre; l'Auteur fuppofe fon amant abfent, & j'en étois aux agitations qui tourmentoient fon coeur pendant la nuit ; ainfi tu vois bien que je dois fçavoir l'hiftoire du tien; car apparemment il n'a pas dérogé, & l'exercice de toutes ces nuits-là eft uniforme. Tiens,je te dirois de la tiens ne le commencement, le milieu & la fin, par

, par ordre alphabétique: gageons que c'est d'abord une réflexion cruelle qui produit un foupir douloureux, ON bien, fitu le veux, c'eft le foupir qui précede la réflexion; car les coeurs de ton efpece foupirent fouvent d'a vance, en attendant de fçavoir pourquoi..

Il en est d'eux là-deffus, comme: de ces Poëtes qui font la rime avant

que d'avoir trouvé la raison; mais d'ordinaire, c'eft la réflexion qui pro duit le foupir; le foupir à fon tour eft le pere d'une apoftrophe à l'amant abfent: cher Pyrame! quand le Ciel permettra-t-il que je te revoye? En voi là Pexorde: après, on fe parle à foimême; ô fille, ou femme infortunée ! &c. enfuite, il y a des poses, je veux dire, qu'on fe taît, qu'on parle, qu'on s'agite; une famille de nouveaux fou pirs naît encore de tout cela; ils ont auffi pour enfans de nouvelles apoftrophes à la nuit, au lit où l'on repofe, à la chambre où l'on eft; car dans cet état le cœur fait inventaire de tout: dis-moi la vérité; voilà la généalogie des actions de ta nuit; voilà du moins comment l'original en eft dans Caffandre. A la pointe du jour tu t'es endormie d'abbatement, & je gage encore que ton fommeil étoit orageux, nuifible à l'eftomac,par la quantité des fou pirs qui l'ont gonflé.

Après tant de railleries, répondit l'autre Dame en fouriant, (ear fans la voir, je devinois par fon ton qu'elle fourioit,) tu ne merites pas que je te confie ce que j'ai fenti cette nuit. Ah!

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