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abrégérent le bon accueil qu'il rece yoit de moi: non que je lui euffe dit que je l'aimois j'avois été plus modefte, fans être pourtant moins claire, & j'en avois gliffé l'aveu fous des plaintes affez empreffées de fon ab

fence.

On nous interrompit donc ; j'allai recevoir la compagnie qui venoit, & avec laquelle il fortit trois heures après.

J'oubliois à te dire que fon rival en étoit, de cette compagnie; fa préfence écarta, fans les renvoyer, les fentimens de préference que j'avois pour le premier de ces deux adorateurs. Rifquer d'en perdre un, par trop de naïveté pour l'autre, c'étoit jouer un trop gros jeu, & je n'étois pas d'humeur à ruiner les plaifirs de ma vanité, en faveur de ceux de

mon amour.

D'ailleurs, j'étois un peu fâchée que ce jeune homme préféré m'eût fait un larcin de mon fecret, quand il m'avoit furprise; & comme il n'entroit pas dans mes petites maximes que fa certitude lui durât long-tems, je me déterminai, tout d'un coup,

à le dérouter, en fêtant fon rival, Trois ou quatre minauderies, tant en geftes qu'en paroles, corrigerent le premier de fa fécurité, & firent. germer l'efpoir dans le coeur du fecond: de-là, je vis naître des muages fur le vifage de l'un, & la férénité fur le vifage de l'autre.

La paix en fouffrit; le favorifé railloit le malheureux, il abufoit infolemment de fa fortune; & le malheureux répandoit un efprit d'envie fur tout ce qu'il répondoit: mais d'une envie douloureufe, plus humiliée que brufque.

Cela me toucha; l'amour dans mon cœur plaida fa cause, & la & la gagna; mais fi adroitement que j'avois déja foulagé la douleur de ce pauvre garçon, quand je croyois en être enco re à décider du parti que je devois prendre.

Voilà les furprifes de l'amour: mais t'avouerai-je toutes mes folies? Ce foir-là, je fis & défis plufieurs fois la même chofe, tombant tour à tour d'un acte de pur amour, dans un acte de vanité; je ne crois pas qu'il y ait rien de fi divertiffant,

Cependant l'heure de, fe retirer vint, & mes deux amans fortirent plus piqués, & plus incertains que jamais de leur destinée. Quand je les vis partir, j'étois bien tentée de finir la fcene à la fatisfaction de mon amour; il n'étoit queftion que d'un petit tour de gibeciere, du moindre petit clin d'œil, fait en cachette & reçû de même. Je ne fçais pas comment je m'en abftins, en voyant l'air mortifié de celui que j'aimois; mais je regardai ailleurs par un efprit de ménage fur mes plaifirs. Je me dis qu'il falloit en réferver pour le lendemain, & que, fi mon amant partoit confolé, je m'ôtois la douceur de jouir plus au long de fon inquiétude, & de l'effet de mes bontés.

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Je paffai la nuit à merveille; il y avoit long-tems que je ne m'occupois plus à rêver éveillée, j'avois pris de cet amufement-là jufqu'à fatiété, & je n'y trouvois plus rien de piquant; en effet il n'eft bon qu'à des filles novices. Devines qui me rendit visite le lendemain. L'amant de Couvent mon infidele. Devines encore ce qu'il m'arriva, quand on me l'annonça : t'y attendrois-tu ? Le coeur me battit.

Mais, mon enfant, je fonge qu'il fe fait tard, dit-elle, en s'interrompant; on peut nous attendre pour dîner; remettons le refte à tantôt.

Et Vous

mon cher, vous voulez bien que je m'interrompe auffi, avec promeffe de vous dire la fuite, à condition que je l'apprendrai.

J

Suite de la Lettre de M. M***

E vais enfin vous rapporter le der

nier entretien des deux Dames en queftion. Je fors actuellement de ma niche, & elles du cabinet d'où je les ai entenduës: vous vous fouvenez fans doute de la différence de leur caractere.

L'une eft une coquette badine, qui, quand un amant lui plaît, n'y fçait d'autre façon que de l'aimer, que de l'oublier fans y tâcher, quand il l'oublie; & quand il eft abfent, que de fe divertir, en l'attendant, des cœurs étrangers qui lui viennent; & d'employer, dans cet agréable exercice de coquetterie, le tems qu'une autre don

neroit au défir impatient de revoir ce qu'elle aimeroit.

C'eft une femme dont le cœur, en amour, eft fermé à toute impreffion fâcheufe, acceffible à toute impreffion agréable autant de fois que le hazard le veut; un cœur enfin qui tire parti de tout, qui devenu tendre pour un objet, ne renonce pas pour cela aux autres; mais qui retient pour fa vanité ceux dont fon penchant ne s'accommode pas, & qui fouvent même dans le même jour, fe trouve fenfible autant de fois qu'il eft coquet.

La compagne de la Dame que je viens de peindre, eft d'un caractere tout oppofé; c'est une femme dont le cœur eft plus fage & plus neuf, & qui paroît avoir toujours regardé l'amour comme un péril, dont elle avoit honte de s'approcher; mais le péril apparemment l'a pourfuivie, & comme on fuit avec pareffe ce que l'on fuit à contre-coeur, le péril l'a furpri fe; elle aime.

Oh! vous fçavez que plus une femme a craint l'amour, plus fcrupu leusement le fert-elle, quand les forces lui ont manqué, & qu'elle ne peut

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