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plus s'en défendre; c'eft en aimant de tout fon cœur qu'elle fe délaffe de la fatigue qu'elle a foufferte en combattant; mais elle aime,comme un autre remplit un devoir, je veux,dire avec une exactitude de fentimens, qui n'eft jamais un défaut, & dont elle fe fait comme une obligation religieufe.

L'amant eft-il abfent pour un demi jour? il faut y rêver folitairement, fuir ou défier toute occafion qui oferoit réjouir.

Revoit-on cet amant? il faut un épanchement modefte de tendreffe ; mais cependant plus tendre que ne pourroit être une joye libertine:il faut foupçonner cet amant de n'avoir eu ni l'air, ni le coeur affez mortifié pendant fa courte abfence, & perdre fes foupçons, après avoir eu le plaifir de fa juftification; lui jurer après, cent fois, qu'on l'aimera toujours; car cette répétition de fermens n'eft que dans les paroles; mais le fentiment en eft toujours nouveau.

Enfin il entre dans la tendreffe d'une femme de ce caractere une infinité d'autres petites formalités, qui font de l'invention des coeurs qui By

étoient fages & timides avant que d'ê tre tendres.

Telle eft donc la Dame à qui fa compagne a déja raconté une partie de fes avantures: elles prirent enfemble le chemin du cabinet, & moi celui de mon bofquet.

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Quel livre as-tu dans ta poche, dit coquette, en ouvrant la converfation? c'eft Pharamond, répondit-elle: Pharamond s'écria l'autre ! quoi! pendant que je travaille à ta converfion, & qu'elle eft plus d'à moitié achevée, tu lis encore des livres hérétiques! Donne-moi ce livre ; je te défends d'en lire de pareils, fous peine de ma colere; donne, te dis-je : tu n'as pas encore la tête affez forte pour foutenir l'air dangereux qu'on y refpire.

Il me femble que fi, répondit l'autre, & je t'affure que ce matin mon coeur a déja critiqué dans les amans de Pharamond, des lenteurs, des timidités des fiertés, qui autrefois étoient toutà-fait de mon goût. J'ai trouvé que ces gens-là s'amufoient trop à fe ref pecter, à fe fâcher, ou à fe plaindre que les meilleures occafions péris

&

foient entre leurs mains: tu vois bien que de pareilles remarques ne menacent pas de rechûte.

Ta critique eft judicieuse, reprit l'autre effectivement, fi toutes ces folies étoient d'ufage, & fi les amans d'aujourd'hui fe balottoient comme ceux-là, le mariage feroit affez inu tile; car on ne feroit d'accord qu'après quatre-vingt ans de martyre.

Abrege tes réflexions, dit fa compagne, pour m'achever ta vie, je ne fuis venue ici que pour l'entendre: tes coquetteries m'ont d'abord fait peur; mais à préfent la comédie m'en plaît.

Je te la donne aujourd'hui, reprit l'autre : mais j'efpere que tu la joueras bientôt toi-même:achevons mes avantures, puifque tu le veux: il ne m'en refte pas beaucoup : mais je travaille tous les jours à les augmenter.

J'en étois, je pense, à mon amant de Couvent, qui s'avifa de me rendre vifite, quand je ne fongeois plus à lui.

Le petit infidele avoit entendu parler de mes conquêtes. Le don de mon cœur autrefois lui avoit paru plus agréa e qu'important: il en avoit oublié la tendreffe; mais il avoit oublié

de l'eftimer; & franchement, quelque aimé que foit un amant, quelque amour qu'il ait lui-même, s'il n'eft glorieux d'avoir acquis le nôtre, c'est un amant manqué.

Ce n'eft pas affez qu'il foit glorieux de nous paroître aimable; il faut qu'il le foit de nous l'avoir paru plus que d'autres, qui aspirent à le paroître auffi bien que lui. Ses rivaux, en lui exagérant ce qu'il vaut, quand il en triomphe, l'avertiffent de ce que nous valons nous-mêmes : cette derniere leçon tient fon amour en respect, & fon orgueil en haleine : il a eu l'honneur de la préférence; cela ne lui fufpas; il refte que cette préférence

fit

lui foit continuée.

Il ne s'étoit rien paffé de semblable avec mon inconftant, quand nous nous étions aimés; mais on ne lui eut pas plûtôt dit que j'avois deux efclaves à ma fuite, & que mes appas étoient en haute réputation, qu'il jugea que c'étoit un beau coup à faire s'il pouvoit ratraper les droits qu'il avoit eus fur mon coeur; mais il avoit eu ces droits fur un coeur brute, fur un cœur enfant.

Dans le Couvent j'avois regardé fon amour comme un effet étonnant de mon mérite; & le retour que j'avois eu pour lui, n'étoit qu'une admiration de moi-même, qui m'échauffoit à quoi s'étoit jointe une curiofité puérile d'effayer mes yeux fur un homme, & de voir ce qu'il en arriveroit; de forte que je n'aurois jamais eu d'amour pour lui, fans l'envie que j'avois euë d'en avoir pour qui que ce fût, pour fçavoir ce que c'étoit; mais mes deux dernieres conquêtes, & je ne fçais combien de petits amours momentanés, qui naiffoient autour de moi, par-tout où j'étois, m'avoient guerie de ces enfances; je n'étois plus furprise d'être aimée, & je l'aurois été de ne l'être pas.

Ainfi mon infidele étoit bien loin de fon compte ; & comme tu vois, de pareilles difpofitions ne lui faifoient pas beau jeu.

Cependant je t'ai dit que le coeur me battit, quand on me l'annonça; mais ce n'étoit qu'émotion d'orgueil; encore cet orgueil ne le regardoit-il pas. Il revient, me dis-je auffi-tôt ; fans doute c'est le bruit que je fais qui

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