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pas indifcrets & fcandaleux ne verroit-on pas ! que de dévots reconnus pour hypocrites après leur mort! eux, dont la bonne odeur ne fubfifte qu'à la faveur du fecret qui dérobe leurs foibleffes. Que de meres détrompées de l'innocence de leurs filles ! que de maris crédules, & qui ne pourroient plus l'être que de vieilles femmes ridicu ! lifées, en ceffant de vivre! mais grace à Dieu, nous n'avons rien à craindre de tout cela. La nature plus fage que vous, mon ami, ne donne pas à l'amour un fi grand crédit fur les cœurs; le pouvoir qu'elle lui laisse va tout à l'avantage du genre humain; & loin d'être homicide, il n'eft dangereux que par le contraire. On pleure l'inconftance de fon amant ou de fa maîtreffe, on la foupire; voilà le plus grand inconvénient d'un amour trahi; encore ne voit-on paffer par ces peines qué ceux dont la nature a manqué le cœur ; je veux dire, que c'eft un vice dans fon ouvrage, que cet excès de fenfibilité qu'elle y laiffe. Sa regle générale eft plus douce, & les amans abandonnés, en font quittes pour quelques chagrins que le moindre amufe

ment écarte, & qui ne s'apperçoit que dans ceux qui ne veulent pas fe gêner; je ne fçais même fi le plus grand nombre n'en eft pas quitte à moins : quoiqu'il en foit, pour payer votre petite histoire par une autre, je vais vous raporter un exemple fur lequel vous pouvez, prefque à coup fur, tirer l'horofcope de votre maîtreffe, en cas que vous deveniez infidele,

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J'étois il y a quelques jours à la campagne, chez un de mes amis ; nombre de Dames & de Cavaliers s'y étoient raffemblés. Il me prit fantaisie, un matin, d'aller me promener feul dans le bois de la maifon : je m'enfon çois déja dans les routes les plus obfcures, quand la pluye me furprit; pour l'éviter, je courus vers un cabinet que je vis affez près de moi. J'allois y entrer, quand j'entendis parler : je prêtai l'oreille; c'étoient deux Dames de notre compagnie,qui s'y étoient apparemment refugiées avant moi. L'une d'elles, un moment après, pouffa quelques foupirs qui me donnerent la curiofité d'en apprendre la caufe. Je fuis jeune, ces foupirs me préfageoient de Famour,je crus qu'il feroit bon de voir

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Comment ces deux femmes en traiteroient à cœur ouvert : j'en pouvois tirer des conféquences générales, & m'inftruire moi-même, en cas d'acci dent, du plus ou moins de fûreté qui fe trouvoit dans les petites façons extérieures du fexe. Hélas! ma chere, dit la Dame; qui me fembloit avoir foupiré, ne me reproche point ma mélancolie; ne fçais-tu pas que Pyra me eft abfent, & que je ne le verrai de fix mois. Ah! répondit l'autre, en éclatant de rire, gageons que ton cœur a pillé ce ton-là dans Cléopatre. Que tu es folle à contre-tems, dit l'affligée, fi tu étois à ma place, tu n'au rois pas le mot pour rire. Ne te fache pas, ma bonne, repliqua l'autre ; je t'avoue que j'ai ri d'étonnement: tu ne dois voir ton amant de fix mois; tu te prépares, ce me femble, à gémir autant de tems; il n'eft pas jufqu'au fon de ta voix que tu n'ayes mis en deiiil: cela m'a paru fingulier. Je connois bien cette efpece d'amour languiffant & tous fes devoirs, mais fran→ chement je n'ai pas eru que ce fut celui dont le cœur fe fervît dans l'occafion. Je l'ai pris pour cet amour qu'on

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imprime, dont on remplit de gros VO lumes de Romans:& tu te joues à mourir de fatigue, fi tu veux imiter ces amantes que ce fou de la Calprenede a faites avec une plume & de l'encre. Il faut s'imaginer, ma chere, qu'un cœur romanefque fournit plus d'amour lui tout feul, que n'en fourniroit tout Paris ensemble. Ne prens pas ce que je te dis pour un manque d'expérience; nous fommes feules. Au mo→ ment où je te parle, j'aime, mon amant eft abfent, non pas abfent comme le tien, qui n'eft allé que chez fon pere; il est à l'Armée; le voilà bien en rifque; il pleuroit en me quittant; je pleurai de même, & les larmes m'en viennent encore aux yeux. Tout cela eft à fa place; mais, ajoûta-t-elle, en riant, je veux dire, en mariant une folie plaifante avec fes pleurs, je verfe des larmes, & n'en fuis pas plus trifte; bien au contraire, ma chere,je ne pleure que parce que je m'attendris; mais mon attendriffement me fait plaifir, & les larmes qu'il ame ne, fort en vérité des larmes que je répands avec goût. Je ne fçais pas fi tu comprens comment cela s'ajufte; je

fuis tendre autant qu'on peut l'être. Je tremble pour mon amant fans inquiétude, je le défire ardemment fans impatience; je gémis même fans être affligée, & tous ces mouvemens ne me font point à charge; fouvent je les réveille, de peur d'être oifive; ils me fuivent où je vais ; ils se mêlent à mes plaifirs; ils ne les rendent que plus touchans; c'est comme une provision toute faite de réflexions douces, qui ne m'en tiennent que plus difpofée à la joye, quand j'en trouve. Je me dis à moi-même; je fais la paffion d'un homme aimable; cette idée me flatte, c'est une preuve de mérite, je m'en eftime avec plus de fûreté de confcience, & je ne fuis pas fâchée de trouver alors fur mon chemin un hommage de petits foins : je m'en amuse fans fcrupule; ils me répetent ce que je vaux : je les encourage quelquefois par un coup d'œil, un gefte, un fouris, & je te jure enfin, que mon amant ne m'eft jamais plus cher, que quand je me fuis prouvé, qu'il ne tient qu'à moi de lui donner des rivaux. A leur égard, je ne les aime point, ce me femble; cependant ils me plaifent;

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