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sent pas fait ceste entreprise si les François n'eussent point esté empeschez chez eux, parce que leur coustume est de ne dire mot lorsque leurs voisins ont la paix et de monstrer de l'audace et de la témérité quand ils voyent qu'ils ont des affaires domestiques. Or, les Espagnols, pour establir leur usurpation, ont trouvé moyen de diviser les trois ligues et de séparer la ligue Grise des deux autres, et dès lors ont commencé à traiter impérieusement les peuples, et à tesmoigner leur orgueil et leur arrogance de fait et parelles, tant en la Rhétie qu'en la Valteline. Cependant tous les Roys et princes de l'Europe, touchez de ceste invasion, se plaignent de l'Espagnol comme d'un usurpateur; l'Espagnol dit pour s'excuser qu'ils a pris la protection des Valtelins pour les maintenir en l'exercice de la religion catholique, dont il prétend que les protestans procurent la ruine, et promet de restablir toutes choses en leur premier estat dans peu de temps; mais le Roy Louys-leJuste, estant justement esmėu des prières de tant de princes et de peuples, n'a peu moins faire que de se joindre à eux en ceste occasion, qui le regardoit plus que personne. C'est pourquoy il s'est employé pour remettre en liberté ceste province qui plioit sous le joug de la tyrannie espagnole, employ digne de Sa Majesté, parce que la meilleure action que puisse faire un prince est de soulager les affligez; et il n'y a pas tant de gloire d'avoir sceu tousjours mener un mesme train de vie, et de s'estre maintenu en une perpétuelle prospérité, que de n'avoir pas abandonné ses amis en leur mauvaise fortune, et l'on ne fait pas tant d'estat de ceux qui ont suivi le vent de la faveur, et qui se sont attachez d'affection avec les grands, que de ceux qui ont donné la main aux misérables. Ainsi le Roy très chrestien en

voye en Espagne monsieur de Bassompierre, mareschal de France, qui, faisant paroistre l'excellence de son esprit en ceste négociation, oblige l'Espagnol de promettre pour la seconde fois la restitution de la Valteline; mais en mesme temps arriva la mort de Philippes III, Roy d'Espagne, laquelle différa l'exécution de ceste parolle. Cependant la Rhétie et la Valteline voyent respandre en divers combats le sang de leurs citoyens qui, devenus sages à leurs despens, réunissent la ligue Grise avec les deux autres et renoncent à la faction espagnole. Comme les affaires estoient en cest estat, monsieur le mareschal de Bassompierre trouve moyen de les accommoder, et par le traité qu'il fait en la ville de Madrit (1), au nom du Roy Louys-le-Juste, avec le Roy d'Espagne, il est accordé que la Valteline sera rendue aux Grisons, à la caution des ligues catholiques des Suisses; qu'aucun autre prince que le Roy très chrestien ne pourra avoir passage par la Valteline, et qu'en ceste province il y aura exercice de la religion catholique et romaine en toute liberté. Mais les Suisses catholiques, gagnez et déceuz par les Espagnols, négligent de ratifier ce traitté, et d'autre part les Espagnols refusent de sortir de la Valteline; les Grisons se plaignent de ce manquement de foy et s'efforcent de remettre les rebelles Valtelins en leur

(1) Cet accord fut signé à Madrid le 25 avril 1621. Le 3 mai de l'année suivante, un second traité vint modifier les articles du premier dans un sens favorablé aux intérêts de l'Espagne; mais, dit l'auteur de la vie de Richelieu que nous avons cité précédemment, «Sa Majesté Chrestienne n'eut garde de le ratifier et désadvoua nettement son ambassadeur, le sieur de Fargis, comte de la Rochepot, qui l'avoit signé sans en avoir le pouvoir et sans ordre, et qui s'estoit laissé prendre en un entretien familier par le comte d'Olivarez, premier ministre et chef du conseil d'Estat d'Espagne.»>

devoir. Le gouvernement de Milan vient au-devant d'eux et se saisit du comté de Chiavene, de Poschiane, de Bergalle et de tous les autres passages des Grisons en Italie, et establit partout des garnisons; et en mesme temps Léopold, archiduc d'Austriche, se rend maistre par force de la ligue des Prevostez, comme il estoit convenu entre les Espagnols et luy; et pour avoir un prétexte, se couvre du traité de Lindaue, qui avoit esté extorqué des Grisons avec violence. Cependant la France estoit affligée de guerres civiles, et le Roy Louys-le-Juste, désirant appaiser les mouvemens de son Estat pour donner ordre aux affaires estrangères, accorde la paix à ses subjets rebelles, et, estant sur le poinct de retourner à Paris, donne jusques à Avignon, où il est receu avec une joye incroyable et un infiny applaudissement du peuple. Là se treuvent le sérénissime duc de Savoye et les ambassadeurs des Vénitiens et des Grisons, qui, joignant leurs vœux ensemble, conjurent Sa Majesté d'imiter les belles actions de ses prédécesseurs, dont la mémoire durera autant que le monde pour avoir tousjours travaillé à conserver la paix publicque et le repos de leurs voisins. Ils luy mettent devant les yeux le misérable estat auquel les affaires sont réduites en la Rhétie et en la Valteline, et luy représentent qu'il n'y a que son authorité qui puisse les rétablir; que la dignité de son nom peut faire cesser tous ces désordres, et que Dieu favorisera un si louable dessein, et donnera un heureux succès aux vœux de tant de peuples. Ainsi la ligue se conclud entre le Roy très chrestien et eux pour contraindre l'Espagnol d'exécuter le traité de Madrit (1); mais

(1) Le traité entre la France, Venise, les Grisons et le duc de Savoie, fut arrêté à Paris le 7 février 1623.

« Sa Sainteté alors fit agréer au commandeur de Sillery, pour

le Roy d'Espagne, craignant d'estre forcé de rendre honteusement la Valteline, la met entre les mains du Pape avec les forts qu'il y avoit fait bastir; sur quoy se font divers traitez avec le marquis de Mirabel, que les Espagnols ont depuis désadvoués. Le Pape tesmoigne une grande inclination à procurer la paix entre les Princes chrestiens, et supplie le Roy très chrestien de consentir au dépost fait entre ses mains par les Espagnols. Sa Majesté agrée le dépost, contre le dessein du Roy d'Espagne, qui, après l'avoir proposé, ne l'a receu qu'à regret, et treuvé bon de soubsmettre tout le différend au jugement de Sa Saincteté, à ces conditions que les forts bastis par les Espagnols seront abattus dans trois mois, que dans le mesme temps Sa Saincteté sera obligée de prononcer que les trois ligues des Grisons seront réunies en une et retourneront en leur premier estat, et que par toute la Valteline les catholiques auront l'exercice de leur religion en toute seureté. Et mesme il est stipulé que le Roy très chrestien et ses alliez auront la liberté de faire tout ce qui

lors notre ambassadeur à Rome, quelques articles sur le fait de la religion; lesquels Sa Majesté Chrestienne n'eut garde de ratifier, comme estant directement contraires aux franchises et aux droits du peuple qu'elle avoit pris sous sa protection. C'est pourquoi elle fut obligée de désavouer encore cet autre ambassadeur, qui fut d'autant plus blasmé que luy et ses plus proches parens avoient esté les premiers à accuser le procédé du comte de la Rochepot, d'avoir signé sans ordre le second traité de Madrid. Aussi le soupçonna-t-on de s'estre laissé surprendre volontairement, et d'avoir consulté sa passion plustost que sa prudence lorsqu'il falut signer ces articles, auxquels l'on tient qu'il ne consentit qu'après avoir seu la disgrace du chancelier de Sillery, son frère, et de monsieur de Paysieux, secrétaire d'Estat, son

neveu. >>

(AUBERY, hist. du Card-Duc, liv. 11, page 59.)

sera nécessaire pour parvenir à l'exécution de ces conditions, dont il résulte nettement que le dépost fait entre les mains du Pape ne devoit durer que trois mois, et que, ce temps passé, le Roy très chrestien a eu la faculté d'employer ses armes pour reprendre la Valteline et pour ruiner les forts qui avoient esté nouvellement bastis. Or, le Roy Louys-le-Juste a consenty d'autant plus volontiers à ce que les places de la Valteline fussent desposées entre les mains du Pape qu'il a estimé que c'estoit le moyen pour establir une bonne paix; car comme il recognoist que l'esprit de Sa Saincteté est doué de très éminentes qualités, et que ses actions font tous les jours voir des effects d'une parfaite justice, piété, innocence et intégrité, il a creu qu'il ne se pouvoit trouver personne qui fust plus propre pour entretenir la paix entre les Princes chrestiens, et qui peust restablir plus heureusement et avec plus d'égalité la tranquillité publique. C'est pourquoi, par commandement exprès, toutes les villes, forteresses et chasteaux de la Valteline ont esté mis en dépost entre les mains du Pape, avec pouvoir d'y mettre des gens de guerre et des capitaines italiens en garnison, sous la promesse que Sa Saincteté a faite de rendre la Valteline aux Grisons lorsque les Suisses catholiques auroient receu et agréé le traité de Madrit. Et le Pape a donné le gouvernement de toutes ces places au Marquis de Bagny, de la maison des Colomnes, qui est la première de celles qui sont de faction d'Espagne en Italie; lequel, estant allé en Espagne peu auparavant, y avoit esté receu par Sa Majesté Catholique avec toute sorte d'honneur. Cependant on travaille à Rome pour treuver le moyen d'accommoder l'affaire de la Valteline. Le Pape propose des articles qui plaisent aux François et desplaisent aux Espagnols. L'Ambassadeur, qui résidoit

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