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vage demandoit un jour à un François si on n'en prenoit point en France. Luy ayant dit qu'ouy, il le supplia de luy en apporter un, mais fort petit; il craignoit qu'il ne l'épouvantast s'il eust esté grand.

Au reste ce pays est une terre neuve, propre à froment et légumes, et où tous autres fruits croissent comme en France, riche en mines d'argent, cuivre et fer, plantée partout d'arbres de haute futaye d'extreme grosseur et hauteur, féconde en prairie à nourrir toute sorte de bétail. Son estendue est de plus de mil lieues, bornée de rivières et d'une mer fort poissonneuse, où se peschent force saumons, esturgeons et molues. La navigation y est seure, pour ce qu'elle se fait en pleine mer, où l'on ne peut estre guété des corsaires, et que personne ne prétend rien en ce pays-là depuis cent ans qu'il est aux François; ce qui paroist en ce que huict cens vaisseaux y vont et reviennent sans péril, avec trente pour cent de profit de leur pesche pour chacun voyage. Le royaume de la Cadie, où la colonie doit habiter, est à mesme hauteur que Marseille. Ceux qui s'entretiennent ou consument leur vie en procez pour un arpent de terre, en trouveront icy à meilleure composition.

D'V PERE

CHARLES

L'ALLEMANT,

SUPERIEUR DE LA MIS-
sion de Canadas; de la Com-
pagnie de IESVs,

Enuoyée au Père Hier sme l'Allemant
son frère, de la mesme Compagnie,

Où sont contenues les mœurs et façons de vi-
ure des Sauuages habitans de ce païs là;
et comme ils se comportent auec
les Chrestiens François qui y
demeurent.

Ensemble la description des villes de ceste contrée.

A PARIS.
Par IEAN BOVCHER, rüe des Amandiers,
à la Vérité Royale. 1627.

LETTRE

DU PÈRE CHARLES L'ALLEMANT,

supérieur dE LA MISSION DE CANADAS,

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS,

AU PÈRE HIEROSME L'ALLEMANT,

SON FRERE.

કર્યું

J'escrivis l'an passé à Vostre Révérence (environ la my-juillet) le succès de nostre voyage; depuis ce temps je n'ay peu vous.escrire, à cause que les vaisseaux n'abordent icy qu'une fois l'an. C'est pourquoy il ne faut attendre des nouvelles de nous que d'année en année, et si ces vaisseaux venoient une fois à manquer, ce seroit bien merveille si vous en receviez devant deux ans, outre qu'il nous faudroit ceste année attendre de l'unique ⚫ providence de Dieu les choses nécessaires à l'entretien de ceste vie. Donc, depuis mes dernières, voicy ce que j'ay peu recognoistre de ce pays et ce qui s'est passé.

Ce pais est d'une grande étendue, ayant bien mille ou douze cens lieues de longueur; sa largeur, environ les quarante degrez. Vers l'orient il est borné de la mer Océane, et vers l'occident de la mer de la Chine. Plusieurs nations l'habitent; l'on m'en a nommé trente-huit ou quarante, sans celles que l'on ne cognoist pas, que les sauvages néantmoins asseurent. Le lieu où les François se sont habituez, appelé Kebec, est par les quarante-six degrez et demy, sur le bord d'un des plus beaux fleuves du monde, appelé par les François la rivière de Sainct-Laurens, esloigné près de deux cens lieues de l'emboucheure dudit fleuve, et cependant le flot monte encore trente-cinq ou quarante lieues au dessus de nous. L'endroit le plus estroit de cette rivière est vis-à-vis de l'habitation, et toutesfois sa largeur y est plus d'un quart de lieue. Or, quoyque le païs où nous sommes soit par les quarante-six degrez et demy, plus sud que Paris de deux degrez, si est-ce que l'hyver, pour l'ordinaire, y est de cinq mois et demy; les neiges de trois ou quatre pieds de hauteur, mais si obstinées qu'elles ne fondent point pour l'ordinaire que vers la my-avril, et commencent tousjours au mois de novembre. Pendant tout ce temps on ne voit point la terre; voire mesme nos François m'ont dit qu'ils avoient traisné le may sur la neige au premier jour de may, l'année mesme que nous arrivasmes, et ce avec des raguettes; car c'est la coustume en ce pays de marcher sur des raguettes pendant l'hiver, de peur d'enfoncer dans la neige, à l'imitation des sauvages, qui ne vont point autrement à la chasse de l'orignac. Le plus doux hiver qu'on ait veu est celuy que nous y avons passé (disent les anciens habitans), et cependant les neiges commencèrent le 16 novembre, et vers la fin de mars com

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