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le bien de ses subjects à son propre salut, dans les excès de sa maladie, n'eust vigoureusement donné ses soins et ses commandemens pour s'opposer aux desseins que ses ennemis faisoient pour se servir de son esloignement, et prendre telle part dans ses Estats qu'il eust esté difficile de les en pouvoir chasser.

Sa Majesté estoit secondée des bonnes intentions de la Royne sa mère, et des très généreux conseils de monsieur le cardinal de Richelieu, duquel, sans flatterie, l'on peut dire que, résistant à tous les partis qui luy estoient proposez d'une paix plausible selon le temps, mais désadvantageuse à l'advenir, voyant son maistre malade, quelques-uns des grands esloignez, et chacun souspirant après un accord, il a mieux aymé courir fortune de sa propre perte que relascher rien qui fust contraire à la dignité du Roy et au bien de cet Estat.

La descente donc des Anglois estant faite le 22 juillet en l'isle de Ré, en nombre de huict mille hommes, le premier combat y ayant esté très hardy, les ennemis ne laissant pas d'y prendre terre, le sieur de Toiras, qui avoit combattu comme un soldat, jugea très à propos qu'il falloit user d'autant de prudence pour conserver sa place comme il avoit eu de courage pour empescher la descente. Et de fait, commençant un traicté sans effect, mais à dessein, il l'a tousjours continué avec tant de dextérité qu'il a obligé les ennemis à croire qu'il estoit plus prest à se rendre qu'à se servir du temps pour ruiner leur entreprise.

De dire les soins que Sa Majesté a apportés pour le secourir, les marques en sont très véritables; l'entrée de plusieurs barques le tesmoigne assez; les despences qu'a fait faire ledit sieur cardinal de Richelieu, par les ordres et commandement exprès de Sa Majesté, font

voir comme il n'y avoit rien d'espargné. Les vigilances de monsieur de Mandes et les soins de l'abbé de Marsillac par son commandement, les troupes qui ont esté fournies pour cet effect, le particulier commandement qu'il donna au sieur de Queusac de venir de Paris pour servir à l'embarquement des trente-cinq barques, dont, par la résolution et présence dudit de Queusac, il en entra vingt-huict, et les pinasses que l'on a envoyé chercher jusques en Bisquaye, où le comte de Grammont a tesmoigné son crédit et sa fidélité, donnent des preuves certaines que rien n'a esté obmis pour secourir et la citadelle et la personne du sieur de Toiras, qui mérite beaucoup.

Mais toutes ces choses estoient ouvrages inutiles si Dieu n'eust redonné à la France la santé de son Roy; car encore que la proposition du grand secours eust esté faite, comme jugée la plus capable de chasser les Anglois, toutesfois c'estoit un coup de maistre de hazarder toutes les forces de l'Estat à la mercy des élémens sans raison; voir une ville rebelle unie avec la faction estrangère, desgarnir toutes les entrées de la grande terre pour aller secourir un fort à demy perdu, faire une descente à la veue d'une armée puissante, encor que le conseil en fust hardy et appuyé de raisons probables, toutesfois sans la veue du Roy l'exécution ne s'en pouvoit faire.

Sa Majesté donc, voulant secourir et son Estat et ses serviteurs de sa propre présence, résolut, demy guéry, de donner sa personne à ses armes et son courage à ses entreprises.

Son arrivée releva toutes les pensées de son armée à ce seul dessein de servir, sans avoir esgard ny aux nécessitez qui accompagnent les provinces où la guerre est

depuis sept années, ny de l'entrée d'une saison en laquelle les maladies sont ordinaires et que les mauvais temps entretiennent. Les gardes pénibles ne faisoient plus murmurer la soldatesque, et chacun prenant plus de plaisir à servir qu'à se plaindre, tous à l'envy prusloient de désir de voir les ennemis, pour les brusler de la bouche d'un mousquet ou les percer de la pointe de leurs espées.

Le Roy, qui voyoit dans le visage de ses serviteurs une telle ardeur de bien faire qu'il sembloit rien ne leur estre impossible, après avoir eu d'eux si heureux succez du secours des deux forts à la veille qu'ils se devoient rendre, ses actions estant toutes justes, espéra de la grace de Dieu que la suitte du plus hardy dessein que jamais monarque aye fait luy succéderoit.

Ce fut lors que, résolvant le grand secours de toute l'isle pour en chasser les Anglois, monsieur le mareschal de Schomberg l'ayant pressé de luy donner la charge de ce secours, Sa Majesté luy accorda, luy baillant le sieur de Marillac pour mareschal-de-camp.

Qui n'a veu lors les soins du Roy n'en sçauroit comprendre les exécutions; Sa Majesté, choisissant les troupes soldat à soldat, les maistres de camp, les capitaines et tous les officiers, faisoit cette action avec un tel jugement qu'il estoit aisé à attendre que ce dessein luy devoit réussir.

Les lieux de l'embarquement estant résolus, le Roy ordonna à monsieur le cardinal de Richelieu d'aller en Oleron, où sa présence donna tel ordre qu'en deux jours il y eut des vaisseaux pour y embarquer les régimens de Navarre, du Plessy - Praslin et de la Milleraye, qui estoit ce que Sa Majesté avoit destiné pour passer avec le sieur de Marillac, avec cinquante gensdarmes de la

Royne, mère de Sa Majesté, et la compagnie du sieur de Bussi, capitaine de cavalerie, le tout fourny de vivres.

Cependant Sa Majesté, avec des vigilances incomparables, envoya l'ordre aux Sables d'embarquer six cens hommes de Vaubecourt et de Riberac, et le régiment de Dufren d'Urbelière, avec cinquante gensdarmes de la compagnie de monseigneur le duc d'Orléans, conduits par le sieur de La Ferté, et la compagnie de chevaux-légers du sieur de La Borde, avec ordre au sieur évesque de Nismes et abbé de Marsillac pour y tenir la main, et commandement au capitaine Richardière, bon homme de marine, de mettre toute la flotte de vaisseaux, jusques au nombre de cinquante-deux, en estat de faire ce service. Monsieur le cardinal ayant, par le commandement du Roy, pourveu au payement de toutes les despenses de cet embarquement, il n'y avoit plus que le vent à désirer.

Et parce que le Roy avoit jugé par sa propre veue que le passage du Plomb estoit le plus facile, estant celui-là qui se pouvoit faire en moins de temps, le Roy voulut que les huict cens hommes choisis du régiment de ses gardes, six cens hommes de Beaumont et quelque reste de barques relaschées à cause du mauvais temps, avec cinquante des gensdarmes de Sa Majesté et cinquante des chevaux-légers de sa garde, et ses mousquetaires, fussent embarquez pour passer au fort de la Prée.

Ces troupes seules estoient d'hommes si choisis qu'elles eussent esté capables de combattre le double de ce qu'elles estoient, et les mousquetaires seuls en tel estat, Sa Majesté ayant fait prendre à trente-deux des armes à preuve et des hallebardes qu'il n'y a point de

front de bataillon qu'ils n'eussent esté capables de percer jusques à la queue.

La noblesse de la cour venant à la foule prendre congé de Sa Majesté, l'on voyoit dans leurs visages une telle gayeté qu'il faut advouer n'estre permis qu'à la nation françoise d'aller si librement à la mort, pour le service de leur Roy ou pour leur honneur, que l'on ne sçauroit remarquer aucune différence entre celuy qui la donne et celuy qui la reçoit.

Tous ces ordres donnez, le Roy de sa propre main fit ceux du combat et en trassa les desseins en plusieurs sortes, afin de s'en servir selon la scituation des lieux ou la disposition en laquelle les troupes ennemies

seroient.

Et parce que toute cette entreprise dépendoit des vents, Sa Majesté, ayant séparé ses embarquemens en plusieurs lieux, auroit destiné le sieur de Marillac pour passer du costé d'Oleron avec ce que monsieur le cardinal y avoit préparé, monsieur de Schomberg estant destiné de passer au Plomb. Il avoit esté résolu qu'il attendroit que le premier embarquement seroit passé, et par le retour des mesmes vaisseaux qu'il passeroit avec les mousquetaires, les volontaires et cinquante chevaux-légers de la garde de Sa Majesté.

Mais l'ardeur d'arriver, ou son affection à bien servir et son courage à se voir l'espée à la main contre les ennemis, luy fit changer ce dessein, que l'on peut dire avoir esté contre les sentimens de Sa Majesté; de sorte que ledit sieur de Schomberg, prenant la route de Brouage avec les mousquetaires et les volontaires, trois cens hommes de Piedmont et autant de Rembures, estant desjà passez avec le sieur de Marillac, il arriva à Marennes, bourg entre Brouage et Oleron, mandant à

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