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Carrache eut la vigueur, Albane la mollesse,
Corrège et Léonard la grâce enchanteresse;
Du prisme des couleurs s'enrichit Titien;
Michel-Ange conquit le sceptre du dessin :
Chez lui tout est empreint d'une sombre énergie;
Rembrandt du clair-obscur posséda la magie;
Dans ses fougueux tableaux, Jules, impétueux,
Sut tracer les combats d'un pinceau belliqueux;
Poussin eut la raison, le goût et la décence;
La simplicité noble unie à l'élégance
Distinguent Lesueur; et Lebrun, son rival,
Brilla comme Rubens dans l'effet théâtral;
Naïf quoique savant, expressif sans enflure,
Dominiquin suivit pas à pas la nature;

Enfin, plus grand qu'eux tous, l'immortel Raphaël, Fécond et varié, se montre universel :

Ce n'est point le travail, ce n'est point la science,
Ce n'est ni l'apparat ni la magnificence

Qui donnent tant d'attrait à ses divins tableaux :
La beauté sans efforts coule de ses pinceaux.
Toujours pur, toujours simple et jamais monotone,
Il touche, il attendrit plus encor qu'il n'étonne;
Un je ne sais quel don, quel attrait séducteur,
Chez lui charme moins l'œil qu'il n'enchaîne le cœur.
De son âme toujours découle sa pensée;

Sa muse ne court point en bacchante insensée ;
Des trésors du génie économe prudent;

Calme, mais sans froideur; sans trop de fougue, ardent;

Sans manières, paré; majestueux sans faste;
Terrible sans fureur, voluptueux et chaste,.
Il parcourt tous les tons et semble réunir,
Seul, les talens passés, les talens à venir.
Rival sur l'Hélicon de Virgile et d'Homère,
Sublime comme l'un, comme l'autre il sait plaire,
Et ses pinceaux chéris des filles de Sion
L'égalent dans les cieux aux chantres du Cédron.
Admirons, prosternés, un si parfait modèle :
Il n'est qu'un Raphaël, il ne fut qu'un Apelle.

Suivez donc votre goût et votre impulsion; Résistez prudemment à la tentation De dépasser le cercle où la sage Minerve Permet un libre essor à votre heureuse verve. Rubens eût été froid en voulant être pur; Jule en peignant Vénus eût été sec et dur. Toutefois, la faveur de la docte Uranie Livre-t-elle à vos yeux tous les champs du génie? Osez vous élever, et, nouveau Raphaël, Des pieds rasez la terre et planez dans le ciel. Ainsi que l'univers, immense est la peinture, Et l'art n'a point encore épuisé la nature. Mais, disciple ou rival de ces maîtres fameux, Ne les copiez pas pour faire aussi bien qu'eux. Ce qui distingue un maître est quelquefois un vice Qui, s'il vous a séduit, vous traîne au précipice. Soyez toujours vous-même : un plagiaire en vain

Brille aux dépens d'autrui; son insigne larcin,
S'il éblouit la foule et crédule et trompée,
Bientôt le fait décheoir de sa gloire usurpée :
On aime à mettre à nu le geai présomptueux
D'un plumage étranger vainement orgueilleux;
Le voleur dans les arts périt s'il n'assassine.
Des trésors enfouis, vous, exploitez la mine;
Sans être extravagant soyez original:
Le métier de copiste est un métier bannal.
Sans efforts il est doux de singer le mérite;
Sur cette mer qui dort tel qui se précipite
Imprudent voyageur, dès le port arrêté,
S'embarque, mais sans lest, pour l'immortalité.
Je n'approuve pas plus ces esprits téméraires....

Qui, pour faire autrement plus que pour faire mieux, Mettent à s'égarer leurs soins ingénieux,

Et prennent pour talent un accès de manie.

L'enthousiasme aveugle étouffe le génie.

L'amour des nouveautés, et sans règle et sans choix, Perd les arts comme il perd et les mœurs et les lois....

Sachez donc marier avec discernement

Au sentiment d'autrui votre vrai sentiment;
Dans cette route encor que Raphaël vous guide:
Aux vieux maîtres toscans, au Pérugin timide
Il ravit des beautés dont il était épris,
Et qui sous ses pinceaux ont centuplé de prix.

Après lui Le Poussin, formé sur ce modèle,
S'acquit en l'imitant une gloire éternelle.

Des plus grands peintres grecs ces deux peintres rivaux
Semblent ressusciter les sublimes tableaux :
Raphaël est Apelle, et Poussin est Timanthe.
Ces chefs-d'œuvre parfaits de la Grèce savante,
Conduits par la Victoire au palais de nos rois,
Aux rois de notre école encor dictent des lois :
C'est là qu'ils vont puiser ce grand style d'histoire
Inconnu des Boucher, ignoré des Natoire

Et des vieux sectateurs de leurs tristes succès.
En dépit d'eux, l'art grec a fixé l'art français.
Ce Louvre, que relève une main si puissante
Et qu'achèvent d'orner nos modernes Bramante,
Nous offre ses trésors allons les méditer :

:

Quels modèles plus purs pourrions-nous consulter?...

FIN DE LA PREMIÈRE VEILLÉE.

DEUXIÈME VEILLÉE. *

SCULPTURE PROMENADES AU MUSÉE DES ANTIQUES.

MURS sacrés, ouvrez-vous; révélez-nous les cieux! Salut, fier Apollon, toi le plus beau des dieux! N'entends-je point siffler ta flèche meurtrière? Dans l'accès concentré de ta noble colère, Insultant de Pithon l'impuissante fureur, Tu marches triomphant en superbe vainqueur. Le calme sur ton front succède à la tempête; Mais le dédain encor sur tes lèvres s'arrête....

Et toi, belle Vénus au regard noble et tendre,
Dont l'aimable sourire au cœur se fait entendre,
Dont le front virginal, en son divin contour,
Épure en l'allumant le flambeau de l'Amour;

Telle tu dus sortir de l'écume de l'onde

*

Les descriptions contenues dans cette veillée se retrouvent, en partie, dans le deuxième chant du poème et dans la dissertation sur la grâce (Voyez tome 11, page 173); je n'ai donc conservé que celles qui offrent de notables différences, ou celles que Girodet n'a pas transportées dans son poème.

P. A. C.

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