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faire suivre la carrière militaire; mais, sa mère ayant montré quelques-uns de ses dessins à David, ce grand peintre, frappé des dispositions qu'ils annonçaient, lui dit: « Vous aurez beau faire, madame, votre fils sera peintre ». Certes, il ne prévoyait guère que le jeune homme, dont il tirait ainsi l'horoscope, viendrait un jour se placer à côté de lui, et que, même, il obtiendrait la palme dans un concours où les Sabines devaient entrer en lice.

L'opinion de David était bien de nature à ébranler la résolution des parens de Girodet, et ils se déterminèrent à le placer dans son école.

Si Girodet dut beaucoup aux leçons de son maître, il ne dut pas moins à son heureuse organisation; ses progrès furent rapides et brillans; c'est ce que prouve une lettre que son maître lui écrivit (t. 11, p. 314) à une époque où tous deux avaient, pour ainsi dire, fourni leur carrière.

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Autrefois, dit David à Girodet en lui parlant de << son attachement, c'était en raison de vos immenses dispositions pour un art que vous deviniez sous mes « yeux; aujourd'hui, mon cher élève, à cette tendre af«<fection qui paraissait dormir dans mon sein, se joint « mon admiration pour votre grand savoir. »

A l'âge de vingt ans, Girodet fut admis à concourir pour le grand prix. On sait que, lorsqu'ils sont en loge*,

* C'est le nom que l'on donne à l'atelier dans lequel sont renfermés, pendant un temps fixé, les jeunes peintres, sculpteurs, architectes, etc., admis à concourir pour le grand prix. Les élèves y sont soumis à une surveillance fixée par les réglemens.

les élèves ne peuvent rien apporter du dehors, et qu'ils n'ont d'autre ressource que celle d'y faire venir des modèles d'hommes. Soit qu'il voulût travailler, non-seulement le jour, mais encore une partie des nuits, comme il a fait depuis; soit qu'il eût l'espérance que son maître lui donnerait des conseils, il n'en est pas moins vrai que Girodet employa une partie du temps du concours à faire chez lui les études de ses figures; lorsqu'il les eut terminées et qu'il ne lui resta plus qu'à peindre son tableau, il mit ses dessins sous son habit pour les introduire dans sa loge; mais, son absence avait éveillé les soupçons; on prétend même qu'il avait été dénoncé par un de ses camarades: quoi qu'il en soit, la fraude fut découverte et il fut, selon le réglement, mis hors de concours.

L'année suivante, il obtint le second prix; enfin, au troisième concours, il fut couronné: c'était en 1789. Le sujet indiqué était Joseph reconnu par ses frères. Cette fois il usa encore de supercherie, ainsi que le font, au reste, presque tous les élèves, mais il s'y prit plus adroitement. Depuis le concours d'où il avait été exclu, il affectait de porter une grosse canne; cette canne était creuse, et ce fut par ce moyen qu'il parvint à introduire ses études dans sa loge. Après le jugement, l'un de ses concurrens, M. Gérard, son camarade et son ami, prenant cette canne des mains de Girodet, lui dit, en riant: « C'est le cheval de Troie? - Oui! répondit celui-ci ; mais il fallait s'en emparer pendant que les Grecs y étaient encore. »

A cette époque, Girodet était tellement rempli de

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respect pour son maître, que, chaque jour, avant d'entrer en loge, il allait préparer sa palette devant les Horaces: il est donc facile de reconnaître que le tableau qu'il exécuta, pour ce concours, a été fait par un élève de David; cependant, le sentiment propre à notre peintre s'y manifeste déjà, et l'on peut, à quelques égards, le considérer comme le point de départ de son talent. Il la variété dans les expressions comme dans les figure du jeune Benjamin, qui se précipite dans les bras de son frère, a de la grâce quoique le mouvement soit peut-être un peu tourmenté; celle de Joseph a de la noblesse, et la tête est d'un beau caractère.

y a de

poses;

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Girodet, après avoir été couronné, partit pour Rome plein d'enthousiasme; cependant, sa correspondance avec M. Trioson, son tuteur et depuis son père adoptif, prouve que, s'il ressentit une vive impression à la vue des Alpes et de l'Italie, les productions des arts ne firent pas sur lui le même effet: « J'ai vu, écrit-il de Florence, plu

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sieurs tableaux sublimes et vraiment dignes d'admira«tion; mais, j'ai acheté ce plaisir par la nécessité d'en « voir une foule de médiocres ou de bien mauvais, quoitrès vantés. que

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Maintenant il serait curieux de connaître la nature des idées qui fermentaient dans la tête de notre jeune lauréat, et la direction qu'il crut devoir donner à ses études : c'est lui-même qui va nous l'apprendre.

« Jusqu'à présent (tome 11, page 366) ma petite bi·· «bliothèque m'a occupé; j'ai beaucoup lu et je com« mence quelques essais de composition, partie que «j'ai peut-être trop négligée à Paris, quoique la plus

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essentielle, et celle, lorsqu'on y réussit, qui peut seule constituer l'homme d'un mérite supérieur, parce

« qu'elle demande essentiellement les qualités morales de la peinture, tandis que les autres parties, et le << talent de l'exécution considéré à part, peuvent être « le résultat, pour ainsi dire, de la patience et de l'habitude.

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C'est un jeune homme de vingt-trois ans qui parle ainsi sa pensée a été exprimée rapidement; peut-être manque-t-elle de précision et même de justesse; mais, écoutons-le lorsque, parvenu à la maturité de l'âge, et dans la plénitude de son talent, il parle sur le même sujet à l'une de ses élèves (tome 11, page 355).

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« Il faut prendre l'habitude de composer comme l'habitude de peindre; plus vous tarderez, plus vous aurez « de peine, et plus vous vous préparerez de regrets. Ce n'est pas tout que la main soit habile, il faut que la ⚫ tête la dirige........... S'il était décent de se citer pour exemple, je vous dirais que, dans ma jeunesse, j'ai éprouvé beaucoup de peine à composer; rien, dans mes « premiers essais, ne rendait ma pensée à ma satisfac«<tion. Je ne me suis point découragé : j'ai surmonté le dégoût que m'inspiraient ces premiers essais malheu« reux; peu-à-peu je me suis aperçu que les difficultés « s'aplanissaient en raison de mes efforts; et si, depuis, « j'ai pu produire quelques compositions qui ont eu le « bonheur de ne pas déplaire, je le dois à la contrainte que je me suis imposée pour y parvenir. J'ai fait beau

« coup de croquis, soit d'après nature, soit d'après les

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maîtres, soit d'après les figures et les bas-reliefs an

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tiques; j'essayais de faire des compositions sur tous <«<les sujets qui souriaient à mon imagination, sans que << personne en fit le choix que moi-même. Suivez donc la « même route, etc. »

Si l'on rapproche ce membre de phrase: « Sans que personne en fit le choix d'une lettre que moi-même adressée à son tuteur (tome II, page 399), on verra que les règles suivies à l'académie de France n'allaient pas à sa taille, si je puis m'exprimer ainsi, et qu'il sentait très bien qu'il n'avait effectivement besoin d'autre guide que lui-même.

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Je m'ennuie à l'excès de notre régime académique, <«<et je vous avoue qu'il me déplaît fort. Ce n'est pas que monsieur notre directeur nous chagrine, car nous « ne le voyons ou, du moins, je ne le vois guère que dans « la rue ou dans l'escalier. Il voulut cependant me con

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traindre, dans les premiers temps de mon arrivée, à aller dessiner à l'Académie; je le priai de m'en dispenser, et, comme il insista, j'insistai aussi, et lui répon« dis que cette occupation n'était pas du tout de mon goût, et que je le priais très instamment de me laisser « le soin de me diriger moi-même dans mes études, ce

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Ce fut en se dirigeant lui-même dans ses études que Girodet exécuta, pendant son séjour à Rome, d'abord le Sommeil d'Endymion, et ensuite Hippocrate refusant les présens d'Artaxercès.

Le premier de ces tableaux, qui se fait distinguer, par le charme de la pensée, l'élévation du style, l'élégance et la pureté du dessin, eut à Rome un succès

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