Encore un peu d'attention, Et vous allez savoir ma résolution.
Il faut que de nous deux le destin s'accomplisse; Vous êtes maintenant sur un grand précipice, Et ce que votre cœur pourra délibérer Va vous y faire choir, ou bien vous en tirer. Si, malgré cet objet qui vous a pu surprendre, Prince, vous me rendez ce que vous devez rendre, Et ne demandez point d'autre preuve que moi, Pour condamner l'erreur du trouble où je vous voi; Si de vos sentiments la prompte déférence Veut sur ma seule foi croire mon innocence, Et de tous vos soupçons démentir le crédit,
Et ménager pour vous l'effort prodigieux De ce fatal amour né de vos traîtres yeux! Parce qu'on est surprise, et qu'on manque d'excuse, D'une offre de pardon on emprunte la ruse : Votre feinte douceur forge un amusement Pour divertir l'effet de mon ressentiment; Et, par le nœud subtil du choix qu'elle embarrasse, Veut soustraire un perfide au coup qui le menace. Oui, vos dextérités veulent me détourner D'un éclaircissement qui vous doit condamner; Et votre ame, feignant une innocence entière, Ne s'offre à m'en donner une pleine lumière Qu'à des conditions, qu'après d'ardents souhaits Vous pensez que mon cœur n'acceptera jamais;
Pour croire aveuglément ce que mon cœur vous dit, Mais vous serez trompée en me croyant surprendre.
Cette soumission, cette marque d'estime, Du passé dans ce cœur efface tout le crime; Je rétracte, à l'instant, ce qu'un juste courroux M'a fait, dans la chaleur, prononcer contre vous; Et, si je puis un jour choisir ma destinée, Sans choquer les devoirs du rang où je suis née, Mon honneur, satisfait par ce respect soudain, Promet à votre amour et mes vœux et ma main; Mais prêtez bien l'oreille à ce que je vais dire : Si cette offre sur vous obtient si peu d'empire, Que vous me refusiez de me faire entre nous Un sacrifice entier de vos soupçons jaloux; S'il ne vous suffit pas de toute l'assurance Que vous peuvent donner mon cœur et ma naissance, Et que de votre esprit les ombrages puissants Forcent mon innocence à convaincre vos sens, Et porter à vos yeux l'éclatant témoignage D'une vertu sincère à qui l'on fait outrage; Je suis prête à le faire, et vous serez content: Mais il vous faut de moi détacher à l'instant, A mes vœux, pour jamais, renoncer de vous-même; Et j'atteste du ciel la puissance suprême, Que, quoi que le destin puisse ordonner de nous, Je choisirai plutôt d'être à la mort qu'à vous. Voilà dans ces deux choix de quoi vous satisfaire; Avisez maintenant celui qui peut vous plaire'.
Juste ciel ! jamais rien peut-il être inventé Avec plus d'artifice et de déloyauté? Tout ce que des enfers la malice étudie, A-t-il rien de si noir que cette perfidie? Et peut-elle trouver dans toute sa rigueur Un plus cruel moyen d'embarrasser un cœur? Ah! que vous savez bien ici contre moi-même, Ingrate! vous servir de ma foiblesse extrême,
› Aviser, vieux mot qui signifioit chercher; dans ce sens il n'est plus d'usage, mais on s'en sert encore dans le sens de songer, penser; On ne s'avise jamais de tout. Il est probable que c'est le proverbe qui nous a conservé le mot.
Oui, oui, je prétends voir ce qui doit vous défendre, Et quel fameux prodige, accusant ma fureur, Peut de ce que j'ai vu justifier l'horreur.
Songez que par ce choix vous allez vous prescrire De ne plus rien prétendre au cœur de done Elvire.
Soit. Je souscris à tout; et mes vœux, aussi bien, En l'état où je suis, ne prétendent plus rien.
Vous vous repentirez de l'éclat que vous faites.
Non, non, tous ces discours sont de vaines défaites; Et c'est moi bien plutôt qui dois vous avertir Que quelque autre dans peu se pourra repentir; Le traître, quel qu'il soit, n'aura pas l'avantage De dérober sa vie à l'effort de ma rage.
Ah! c'est trop en souffrir, et mon cœur irrité Ne doit plus conserver une sotte bonté; Abandonnons l'ingrat à son propre caprice; Et, puisqu'il veut périr, consentons qu'il périsse. (A don Garcie.)
Élise... A cet éclat vous voulez me forcer; Mais je vous apprendrai que c'est trop m'offenser.
Prenez garde qu'au moins cette noble colère Dans la même fierté jusqu'au bout persévère; Et surtout désormais songez bien à quel prix Vous avez voulu voir vos soupçons éclaircis.
DONE ELVIRE, DON GARCIE, DONE IGNÈS, déguisée en homme, ÉLISE, DON ALVAR.
DÓNE ELVIRE, à don Garcie, en lui montrant done Ignès.
Voici, graces au ciel, ce qui les a fait naître Ces soupçons obligeants que l'on me fait paroître; Voyez bien ce visage, et si de done Ignès
DONE IGNÈS, à don Garcie. Seigneur, de vos soupçons l'injuste violence A la même vertu vient de faire une offense.
Quelles tristes clartés, dissipant mon erreur, Enveloppent mes sens d'une profonde horreur, Et ne laissent plus voir à mon ame abattue Que l'effroyable objet d'un remords qui me tue! Ah! don Alvar, je vois que vous avez raison; Mais l'enfer dans mon cœur a soufflé son poison; Et, par un trait fatal d'une rigueur extrême,
Vos yeux au même instant n'y connoissent les traits. Mon plus grand ennemi se rencontre en moi-même.
Madame, pardonnez, s'il faut que je consente A trahir vos secrets et tromper votre attente; Je me vois exposée à sa témérité, Toutes mes actions n'ont plus de liberté, Et mon honneur en butte aux soupçons qu'il peut pren- Est réduit à toute heure aux soins de se défendre. [dre, Nos doux embrassements, qu'a surpris ce jaloux, De cent indignités m'ont fait souffrir les coups. Oui, voilà le sujet d'une fureur si prompte, Et l'assuré témoin qu'on produit de ma honte. (A don Garcie.)
Jouissez à cette heure en tyran absolu De l'éclaircissement que vous avez voulu; Mais sachez que j'aurai sans cesse la mémoire De l'outrage sanglant qu'on a fait à ma gloire; Et, si je puis jamais oublier mes serments, Tombent sur moi du ciel les plus grands châtiments, Qu'un tonnerre éclatant mette ma tête en poudre, Lorsqu'à souffrir vos feux je pourrai me résoudre! Allons, madame, allons, ôtons-nous de ces lieux Qu'infectent les regards d'un monstre furieux, Fuyons-en promptement l'atteinte envenimée, Évitons les effets de sa rage animée,
Et ne faisons des vœux, dans nos justes desseins,
Que me sert-il d'aimer du plus ardent amour Qu'une ame consumée ait jamais mis au jour, Si, par ces mouvements qui font toute ma peine, Cet amour à tout coup se rend digne de haine? Il faut, il faut venger par mon juste trépas L'outrage que j'ai fait à ses divins appas; Aussi bien quels conseils aujourd'hui puis-je suivre? Ah! j'ai perdu l'objet pour qui j'aimois à vivre. Si j'ai pu renoncer à l'espoir de ses vœux, Renoncer à la vie est beaucoup moins fàcheux.
Non, don Alvar, ma mort est nécessaire, Il n'est soins ni raisons qui m'en puissent distraire; Mais il faut que mon sort, en se précipitant, Rende à cette princesse un service éclatant, Et je veux me chercher, dans cette illustre envie, Les moyens glorieux de sortir de la vie; Faire par un grand coup qui signale ma foi, Qu'en expirant pour elle, elle ait regret à moi, Et qu'elle puisse dire, en se voyant vengée :
« C'est par son trop d'amour qu'il m'avoit outragée. » Il faut que de ma main un illustre attentat Porte une mort trop due au sein de Mauregat; Que j'aille prévenir, par une belle audace, Le coup dont la Castille avec bruit le menace; De ravir cette gloire à l'espoir d'un rival. Et j'aurai des douceurs, dans un instant fatal,
Un service, seigneur, de cette conséquence Auroit bien le pouvoir d'effacer votre offense; Mais, hasarder...
Allons, par un juste devoir,
Que pour nous voir bientôt affranchir de ses mains. Faire à ce noble effort servir mon désespoir,
Oui, jamais il ne fut de si rude surprise. Il venoit de former cette haute entreprise; A l'avide desir d'immoler Mauregat,
De son prompt désespoir il tournoit tout l'éclat; Ses soins précipités vouloient à son courage De cette juste mort assurer l'avantage; Y chercher son pardon et prévenir l'ennui Qu'un rival partageât cette gloire avec lui.
Il sortoit de ces murs, quand un bruit trop fidèle Est venu lui porter la fâcheuse nouvelle Que ce même rival, qu'il vouloit prévenir, A remporté l'honneur qu'il pensoit obtenir, L'a prévenu lui-même en immolant le traître, Et poussé dans ce jour don Alphonse à paroître, Qui d'un si prompt succès va goûter la douceur, Et vient prendre en ces lieux la princesse sa sœur. Et, ce qui n'a pas peine à gagner la croyance, On entend publier que c'est la récompense Dont il prétend payer le service éclatant Du bras qui lui fait jour au trône qui l'attend. ÉLISE.
Oui, done Elvire a su ces nouvelles semées, Et du vieux don Louis les trouve confirmées, Qui vient de lui mander que Léon, dans ce jour, De don Alphonse et d'elle attend l'heureux retour; Et que c'est là qu'on doit, par un revers prospère, Lui voir prendre un époux de la main de ce frère. Dans ce peu qu'il en dit, il donne assez à voir Que don Sylve est l'époux qu'elle doit recevoir.
Ce coup au cœur du prince...
Est sans doute bien rude, Et je le trouve à plaindre en son inquiétude. Son intérêt pourtant, si j'en ai bien jugé, Est encor cher au cœur qu'il a tant outragé; Et je n'ai point connu qu'à ce succès qu'on vante, La princesse ait fait voir une ame fort contente De ce frère qui vient, et de la lettre aussi; Mais...
DONE ELVIRE, DONE IGNÈS, déguisée en homme, ELISE, DON ALVAR.
Faites, don Alvar, venir le prince ici.
(Don Alvar sort.)
Souffrez que devant vous je lui parle, madame, Sur cet événement dont on surprend mon ame; Et ne m'accusez point d'un trop prompt changement, Si je perds contre lui tout mon ressentiment. Sa disgrace imprévue a pris droit de l'éteindre; Sans lui laisser ma haine, il est assez à plaindre, Et le ciel, qui l'expose à ce trait de rigueur,
N'a que trop bien servi les serments de mon cœur. Un éclatant arrêt de ma gloire outragée A jamais n'être à lui me tenoit engagée; Mais quand par les destins il est exécuté, J'y vois pour son amour trop de sévérité; Et le triste succès de tout ce qu'il m'adresse M'efface son offense et lui rend ma tendresse : Oui, mon cœur trop vengé par de si rudes coups, Laisse à leur cruauté désarmer son courroux, Et cherche maintenant, par un soin pitoyable, A consoler le sort d'un amant misérable; Et je crois que sa flamme a bien pu mériter Cette compassion que je lui veux prêter. DONE IGNÈS.
Madame, on auroit tort de trouver à redire Aux tendres sentiments qu'on voit qu'il vous inspire; Ce qu'il a fait pour vous... Il vient, et sa pâleur De ce coup surprenant marque assez la douleur,
Prince, ne parlons plus de mon ressentiment. Votre sort dans mon ame a fait du changement; Et, par le triste état où sa rigueur vous jette, Ma colère est éteinte, et notre paix est faite. Oui, bien que votre amour ait mérité les coups Que fait sur lui du ciel éclater le courroux ; Bien que ces noirs soupçons aient offensé ma gloire Par des indignités qu'on auroit peine à croire, J'avouerai toutefois que je plains son malheur Jusqu'à voir nos succès avec quelque douleur; Que je hais les faveurs de ce fameux service, Lorsqu'on veut de mon cœur lui faire un sacrifice, Et voudrois bien pouvoir racheter les moments Où le sort contre vous n'armoit que mes serments; Mais enfin vous savez comme nos destinées Aux intérêts publics sont toujours enchaînées, Et que l'ordre des cieux pour disposer de moi, Dans mon frère qui vient, me va montrer mon roi. Cédez comme moi, prince, à cette violence,
Où la grandeur soumet celles de ma naissance; Et, si de votre amour les déplaisirs sont grands, Qu'il se fasse un secours de la part que j'y prends, Et ne se serve point, contre un coup qui l'étonne, Du pouvoir qu'en ces lieux votre valeur vous donne : Ce vous seroit, sans doute, un indigne transport De vouloir dans vos maux lutter contre le sort; Et, lorsque c'est en vain qu'on s'oppose à sa rage, La soumission prompte est grandeur de courage. Ne résistez donc point à ses coups éclatants, Ouvrez les murs d'Astorgue au frère que j'attends, Laissez-moi rendre aux droits qu'il peut sur moi préten- Ce que mon triste cœur a résolu de rendre; [dre; Et ce fatal hommage, où mes vœux sont forcés, Peut-être n'ira pas si loin que vous pensez.
C'est faire voir, madame, une bonté trop rare, Que vouloir adoucir le coup qu'on me prépare; Sur moi sans de tels soins vous pouvez laisser choir Le foudre rigoureux de tout votre devoir. En l'état où je suis je n'ai rien à vous dire. J'ai mérité du sort tout ce qu'il a de pire; Et je sais, quelques maux qu'il me faille endurer, Que je me suis ôté le droit d'en murmurer. Par où pourrai-je, hélas ! dans ma vaste disgrace, Vers vous de quelque plainte autoriser l'audace? Mon amour s'est rendu mille fois odieux, Il n'a fait qu'outrager vos attraits glorieux, Et, lorsque par un juste et fameux sacrifice
Mon bras à votre sang cherche à rendre un service, Mon astre m'abandonne au déplaisir fatal De me voir prévenu par le bras d'un rival. Madame, après cela je n'ai rien à prétendre, Je suis digne du coup que l'on me fait attendre; Et je le vois venir, sans oser contre lui Tenter de votre cœur le favorable appui.
Ce qui peut me rester dans mon malheur extrême, C'est de chercher alors mon remède en moi-même, Et faire que ma mort, propice à mes desirs, Affranchisse mon cœur de tous ses déplaisirs. Oui, bientôt dans ces lieux don Alphonse doit être, Et déja mon rival commence de paroître; De Léon vers ces murs il semble avoir volé Pour recevoir le prix du tyran immolé. Ne craignez point du tout qu'aucune résistance Fasse valoir ici ce que j'ai de puissance;
Il n'est effort humain, que, pour vous conserver, Si vous y consentiez, je ne pusse braver; Mais ce n'est pas à moi, dont on hait la mémoire, A pouvoir espérer cet aveu plein de gloire, Et je ne voudrois pas, par des efforts trop vains, Jeter le moindre obstacle à vos justes desseins. Non, je ne contrains point vos sentiments, madame; Je vais en liberté laisser toute votre ame,
Ouvrir les murs d'Astorgue à cet heureux vainqueur, Et subir de mon sort la dernière rigueur.
DONE ELVIRE, DONE IGNÈS, déguisée en homme, ELISE.
Madame, au désespoir où son destin l'expose, De tous mes déplaisirs n'imputez pas la cause, Vous me rendrez justice, en croyant que mon cœur Fait de vos intérêts sa plus vive douleur; Que bien plus que l'amour l'amitié m'est sensible, Et que, si je me plains d'une disgrace horrible, C'est de voir que du ciel le funeste courroux Ait pris chez moi les traits qu'il lance contre vous, Et rendu mes regards coupables d'une flamme Qui traite indignement les bontés de votre ame. DONE IGNÈS.
C'est un événement dont, sans doute, vos yeux N'ont point pour moi, madame, à quereller les cieux. Si les foibles attraits qu'étale mon visage M'exposoient au destin de souffrir un volage, Le ciel ne pouvoit mieux m'adoucir de tels coups, Quand, pour m'ôter ce cœur, il s'est servi de vous; Et mon front ne doit point rougir d'une inconstance Qui de vos traits aux miens marque la différence, Si pour ce changement je pousse des soupirs, Ils viennent de le voir fatal à vos desirs; Et dans cette douleur que l'amitié m'excite, Je m'accuse pour vous de mon peu de mérite, Qui n'a pu retenir un cœur dont les tributs Causent un si grand trouble à vos vœux combattus.
DON ALPHONSE, crudon Sylve, DONEELVIRE, DONE IGNES, déguisée en homme, ELISE.
Avant que vous parliez, je demande instamment Que vous daigniez, seigneur, m'écouter un moment. Déja la renommée a jusqu'à nos oreilles Porté de votre bras les soudaines merveilles, Et j'admire avec tous comme en si peu de temps Il donne à nos destins ces succès éclatants. Je sais bien qu'un bienfait de cette conséquence Ne sauroit demander trop de reconnoissance, Et qu'on doit toute chose à l'exploit immortel Qui replace mon frère au trône paternel. Mais, quoi que de son cœur vous offrent les hommaUsez en généreux de tous vos avantages, [ges, Et ne permettez pas que ce coup glorieux Jette sur moi, seigneur, un joug impérieux; Que votre amour, qui sait quel intérêt m'anime, S'obstine à triompher d'un refus légitime, Et veuille que ce frère, où l'on va m'exposer, Commence d'être roi pour me tyranniser. Léon a d'autres prix dont, en cette occurrence, Il peut mieux honorer votre haute vaillance; Et c'est à vos vertus faire un présent trop bas, Que vous donner un cœur qui ne se donne pas. Peut-on être jamais satisfait en soi-même, Lorsque par la contrainte on obtient ce qu'on aime? C'est un triste avantage, et l'amant généreux A ces conditions refuse d'être heureux; Il ne veut rien devoir à cette violence Qu'exercent sur nos cours les droits de la naissance, Et pour l'objet qu'il aime est toujours trop zélé, Pour souffrir qu'en victime il lui soit immolé. Ce n'est pas que ce cœur, au mérite d'un autre, Prétende réserver ce qu'il refuse au vôtre; Non, seigneur, j'en réponds et vous donne ma foi Que personne jamais n'aura pouvoir sur moi; Qu'une sainte retraite à toute autre poursuite...
J'ai de votre discours assez souffert la suite, Madame, et par deux mots je vous l'eusse épargné, Si votre fausse alarme eût sur vous moins gagné. Je sais qu'un bruit commun, qui partout se fait croire, De la mort du tyran me veut donner la gloire; Mais le seul peuple enfin, comme on nous fait savoir, Laissant par don Louis échauffer son devoir, A remporté l'honneur de cet acte héroïque Dont mon nom est chargé par la rumeur publique; Et ce qui d'un tel bruit a fourni le sujet, C'est que, pour appuyer son illustre projet, Don Louis fit semer, par une feinte utile, Que, secondé des miens, j'avois saisi la ville;
Et, par cette nouvelle, il a poussé les bras Par son zèle prudent il a su tout conduire, Qui d'un usurpateur ont hâté le trépas.
Et c'est par un des siens qu'il vient de m'en instruire; Mais dans le même instant un secret m'est appris, Qui va vous étonner autant qu'il m'a surpris. Vous attendez un frère, et Léon, son vrai maître; A vos yeux maintenant le ciel le fait paroître : Oui, je suis don Alphonse, et mon sort conservé, Et sous le nom du sang de Castille élevé, Est un fameux effet de l'amitié sincère Qui fut entre son prince et le roi notre père. Don Louis du secret a toutes les clartés, Et doit aux yeux de tous prouver ces vérités. D'autres soins maintenant occupent ma pensée, Non qu'à votre sujet elle soit traversée, Que ma flamme querelle un tel événement, Et qu'en mon cœur le frère importune l'amant. Mes feux par ce secret ont reçu sans murmure Le changement qu'en eux a prescrit la nature; Et le sang qui nous joint m'a si bien détaché De l'amour dont pour vous mon cœur étoit touché, Qu'il ne respire plus, pour faveur souveraine, Que les chères douceurs de sa première chaîne, Et le moyen de rendre à l'adorable Ignès Ce que de ses bontés a mérité l'excès; Mais son sort incertain rend le mien misérable; Et, si ce qu'on en dit se trouvoit véritable, En vain Léon m'appelle et le trône m'attend; La couronne n'a rien à me rendre content Et je n'en veux l'éclat que pour goûter la joie D'en couronner l'objet où le ciel me renvoie, Et pouvoir réparer, par ces justes tributs, L'outrage que j'ai fait à ses rares vertus. Madame, c'est de vous que j'ai raison d'attendre Ce que de son destin mon ame peut apprendre; Instruisez-m'en, de grace; et, par votre discours, Hâtez mon désespoir ou le bien de mes jours.
Ne vous étonnez pas si je tarde à répondre, Seigneur, ces nouveautés ont droit de me confondre. Je n'entreprendrai point de dire à votre amour Si done Ignès est morte ou respire le jour; Mais par ce cavalier, l'un de ses plus fidèles, Vous en pourrez sans doute apprendre des nouvelles.
DON ALPHONSE, reconnoissant done Ignės. Ah! madame! il m'est doux en ces perplexités De voir ici briller vos célestes beautés. Mais vous, avec quels yeux verrez-vous un volage Dont le crime...
Ah! gardez de me faire un outrage, Et de vous hasarder de dire que vers moi Un cœur dont je fais cas ait pu manquer de foi.
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