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LA GRANGE.

qu'ils voudront; toutes leurs entreprises ne doivent

» Les comédiens m'ont dit qu'ils l'attendoient sur point m'inquiéter. Ils critiquent mes pièces, tant » la réponse, et que...

BRÉCOURT.

mieux; et Dieu me garde d'en faire jamais qui leur plaise ! ce seroit une mauvaise affaire pour moi.

MADEMOISELLE DE BRIE.

Il n'y a pas grand plaisir pourtant à voir déchirer ses ouvrages.

MOLIÈRE.

» Sur la réponse? Ma foi, je le trouverois un grand >> fou, s'il se mettoit en peine de répondre à leurs >> invectives. Tout le monde sait assez de quel motif >> elles peuvent partir; et la meilleure réponse qu'il » leur puisse faire, c'est une comédie qui réussisse » comme toutes ses autres. Voilà le vrai moyen de se >> venger d'eux comme il faut; et, de l'humeur dont » je les connois, je suis fort assuré qu'une pièce nou» velle qui leur enlèvera le monde, les fächera bien❘ » plus que toutes les satires qu'on pourroit faire de toutes leurs censures ne viennent-elles pas trop tard?

>> leurs personnes.

MOLIÈRE.

» Mais, chevalier.... »

MADEMOISELLE BÉJART.

Souffrez que j'interrompe pour un peu la répétition. (A Molière.) Voulez-vous que je vous die? Si j'avois été en votre place, j'aurais poussé les choses autrement. Tout le monde attend de vous une réponse vigoureuse; et, après la manière dont on m'a dit que vous étiez traité dans cette comédie, vous étiez en droit de tout dire contre les comédiens, et vous deviez n'en épargner aucun.

MOLIÈRE.

J'enrage de vous ouir parler de la sorte; et voilà votre manie, à vous autres femmes. Vous voudriez que je prisse feu d'abord contre eux, et qu'à leur exemple j'allasse éclater promptement en invectives et en injures. Le bel honneur que j'en pourrois tirer, et le grand dépit que je leur ferois! Ne se sont-ils pas préparés de bonne volonté à ces sortes de choses? Et, lorsqu'ils ont délibéré s'ils joueroient le Portrait du Peintre, sur la crainte d'une riposte, quelquesuns d'entre eux n'ont-ils pas répondu : Qu'il nous rende toutes les injures qu'il voudra, pourvu que nous gagnions de l'argent ? N'est-ce pas là la marque d'une ame fort sensible à la honte ? et ne me vengerois-je pas bien d'eux, en leur donnant ce qu'ils veulent bien recevoir ?

MADEMOISELLE DE BRIE.

Ils se sont fort plaints, toutefois, de trois ou quatre mots que vous avez dit d'eux dans la Critique et dans vos Précieuses.

MOLIÈRE.

Il est vrai, ces trois ou quatre mots sont fort offensants, et ils ont grande raison de les citer. Allez, allez, ce n'est pas cela, le plus grand mal que je leur aie fait, c'est que j'ai eu le bonheur de plaire un peu plus qu'ils n'auroient voulu; et tout leur procédé, depuis que nous sommes venus à Paris, a trop marqué ce qui les touche. Mais laissons-les faire tant

Et qu'est-ce que cela me fait ? N'ai-je pas obtenu de ma comédie tout ce que j'en voulois obtenir, puisqu'elle a eu le bonheur d'agréer aux augustes personnes à qui particulièrement je m'efforce de plaire? N'ai-je pas lieu d'être satisfait de sa destinée, et

Est-ce moi, je vous prie, que cela regarde maintenant? et, lorsqu'on attaque une pièce qui a eu du succès, n'est-ce pas attaquer plutôt le jugement de ceux qui l'ont approuvée, que l'art de celui qui l'a faite ?

MADEMOISELLE DE BRIE.

Ma foi, j'aurois joué ce petit monsieur l'auteur, qui se mêle d'écrire contre des gens qui ne songent pas à lui.

MOLIÈRE.

Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour, que monsieur Boursault! Je voudrois bien savoir de quelle façon on pourroit l'ajuster pour le rendre plaisant, et si, quand on le berneroit sur un théâtre, il seroit assez heureux pour faire rire le monde. Ce lui seroit trop d'honneur que d'être joué devant une auguste assemblée ; il ne demanderoit pas mieux, et il m'attaque de gaieté de cœur, pour se faire connoître, de quelque façon que ce soit. C'est un homme qui n'a rien à perdre, et les comédiens ne me l'ont déchaîné que pour m'engager à une sotte guerre, et me détourner, par cet artifice, des autres ouvrages que j'ai à faire; et cependant, vous êtes assez simples pour donner toutes dans ce panneau. Mais enfin, j'en ferai ma déclaration publiquement. Je ne prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre-critiques. Qu'ils disent tous les maux du monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en saisissent après nous; qu'ils les retournent comme un habit pour les mettre sur leur théâtre, et tâchent à profiter de quelque agrément qu'on y trouve, et d'un peu de bonheur que j'ai ; j'y consens, ils en ont besoin, et je serai bien aise de contribuer à les faire subsister, pourvu qu'ils se contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes; et il y a des choses qui ne font rire ni les spectateurs, ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix, et ma façon de réciter, pour en faire et dire tout ce

ma

qu'il leur plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage. Je ne m'oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde; mais en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grace de me laisser le reste, et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m'a dit qu'ils m'attaquoient dans leurs comédies. C'est de quoi je prierai civilement cet honnête monsieur qui se mêle d'écrire pour eux, et voilà toute la réponse qu'ils auront de moi.

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MOLIÈRE.

Ah! monsieur, vous me voyez dans la plus grande peine du monde, je suis désespéré à l'heure que je vous parle! Voici des femmes qui s'effraient, et qui disent qu'il leur faut répéter leurs rôles, avant que d'aller commencer. Nous demandons, de grace, encore un moment. Le roi a de la bonté, et il sait bien que la chose a été précipitée.

SCÈNE V.

MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVE.

MOLIÈRE.

Hé! de grace, tâchez de vous remettre, prenez courage, je vous prie.

MADEMOISELLE DU PARC.

Vous devez vous aller excuser.
MOLIÈRE.

Comment m'excuser?

SCÈNE VI.

MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY; MESDEMOISELLES DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ; UN NECESSAIRE'.

UN NÉCESSAIRE.

Messieurs, commencez donc.

MOLIÈRE.

Tout à l'heure, monsieur. Je crois que je perdrai l'esprit de cette affaire-ci, et...

SCÈNE VII.

MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY; MESDEMOISELLES DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ; UN NÉCESSAIRE, UN SECOND NÉCESSAIRE.

LE SECOND NÉCESSAIRE. Messieurs, commencez donc.

MOLIÈRE.

Dans un moment, monsieur. (A ses camarades.) Hé, quoi donc! Voulez-vous que j'aie l'affront...

'On dit d'un homme qui fait l'empressé, qui se mêle de tout, qu'il fait le nécessaire. C'est dans ce sens qu'on appelle ici, susbtantivement, des nécessaires, ces gens qui viennent dire à Molière de commencer, sans en avoir reçu la mission de personne. (A.)

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faut que les jeunes gens pensent bien mûrement avant que de la faire; mais les gens de votre âge n'y doivent point penser du tout; et, si l'on dit que la plus grande de toutes les folies est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos que de la faire, cette folie, dans la saison où nous devons être plus sages. Enfin, je vous en dis nettement ma pensée. Je ne vous conseille point de songer au mariage; et je vous trouverois le plus ridicule du monde, si, ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante des chaines.

SGANARELLE.

Et moi, je vous dis que je suis résolu de me marier, et que je ne serai point ridicule en épousant la fille que je recherche.

GERONIMO.

Ah! c'est une autre chose! Vous ne m'aviez pas dit

cela.

SGANARELLE.

C'est une fille qui me plaît, et que j'aime de tout

mon cœur.

GERONIMO.

Vous l'aimez de tout votre cœur?

SGANARELLE

Sans doute, et je l'ai demandée à son père. GERONIMO.

Vous l'avez demandée ?

SGANARELLE.

Oui. C'est un mariage qui se doit conclure ce soir; et j'ai donné ma parole.

à

GERONIMO.

Oh! mariez-vous done! Je ne dis plus mot.

SGANARELLE.

Je quitterois le dessein que j'ai fait! Vous semblet-il, seigneur Géronimo, que je ne sois plus propre songer à une femme? Ne parlons point de l'âge que je puis avoir; mais regardons seulement les choses. Y a-t-il homme de trente ans qui paroisse plus frais et plus vigoureux que vous me voyez ? N'ai-je pas tous les mouvements de mon corps aussi bons que jamais; et voit-on que j'aie besoin de carrosse ou de chaise pour cheminer? N'ai-je pas encore toutes mes dents les meilleures du monde? (Il montre ses dents.) Ne fais-je pas vigoureusement mes quatre repas par jour, et peut-on voir un estomac qui ait plus de force que le mien? (Il tousse.) Hem, hem, hem. Eh! qu'en dites-vous?

GERONIMO.

Vous avez raison, je m'étois trompé. Vous ferez bien de vous marier.

SGANARELLE.

J'y ai répugné autrefois; mais j'ai maintenant de puissantes raisons pour cela. Outre la joie que j'aurai de posséder une belle femme, qui me fera mille

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