Images de page
PDF
ePub

L'École des Femmes parut en 1662, avec peu de succès; les gens de spectacle furent partagés ; les femmes outragées, à ce qu'elles croyoient, débauchoient autant de beauxesprits qu'elles le pouvoient pour juger de cette pièce comme elles en jugeoient. Mais que trouvez-vous à redire d'essentiel à cette pièce? disoit un connoisseur à un courtisan de distinction. Ah, parbleu! ce que j'y trouve à redire est plaisant, s'écria l'homme de cour: Tarte à la crème, morbleu! tarte à la crème. Mais tarte à la crème n'est point un défaut, répondit le bon esprit, pour décrier une pièce comme vous le faites. Tarte à la crème est execrable, répondit le courtisan. Tarte à la crème, bon Dieu! avec du sens commun peut-on soutenir une pièce où l'on a mis tarte à la crème? Cette expression se répétoit par écho parmi tous les petits esprits de la cour et de la ville, qui ne se prêtent jamais à rien, et qui, incapables de sentir le bon d'un ouvrage, saisissent un trait foible pour attaquer un auteur beaucoup au-dessus de leur portée. Molière, outré à son tour des mauvais jugements que l'on portoit sur sa pièce, les ramassa, et en fit la Critique de l'École des Femmes, qu'il donna en 4663. Cette pièce fit plaisir au public: elle étoit du temps, et ingénieusement travaillée'. L'Impromptu de Versailles, qui fut joué pour la première fois devant le roi le 44 d'octobre 1663, et à Paris le 4 de novembre de la même année, n'est qu'une conversation satirique entre les comédiens, dans laquelle Molière se donne carrière contre les courtisans dont les caractères lui déplaisoient, contre les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, et contre ses ennemis.

Molière, né avec des mœurs droites, Molière, dont les manières étoient simples et naturelles, souffreit impatiemment le courtisan empressé, flatteur, médisant, inquiet, incommode, faux ami. Il se déchaîne agréablement dans son Impromptu contre ces messieurs-là, qui ne lui par

pas plus naturel de penser, d'après quelques Mémoires du temps, que, le lendemain de l'ordre donné par Louis XIV, Molière alla chez M. de Soyecourt, et que, dans une conversation très-animée sur la chasse, il trouva le sujet de la scène des Facheux?

'Brossette, dans ses notes sur la septième épître de Boileau, donne les noms de quelques-uns des détracteurs de l'École des Femmes. C'est le duc de La Feuillade qui est désigné ici par le titre d'homme de cour, et qui ne pouvoit soutenir une pièce où l'on avoit mis tarte à la crème. Ce mot étoit devenu proverbe. Les autres personnages désignés dans l'épitre de Boileau sont le commandeur de Souvré et le comte de Broussin qui, pour faire sa cour au commandeur, sortit un jour au second acte de la comédie. L'auteur d'une Vie de Molière, écrite en 1724, dit que le duc de La Feuillade, outré de se voir traduit sur la scène dans la Critique de l'École des Femmes, « s'avisa d'une vengeance » indigne d'un honnête bomme. Un jour qu'il vit passer Molière » par un appartement où il étoit, il l'aborda avec les démons»trations d'un homme qui vouloit lui faire 'caresse. Molière s'é» tant incliné, il lui prit la tète, et, en lui disant : tarte à la » créme, Molière, tarte à la créme, il lui frotta le visage contre » ses boutons,et lui mit le visage en sang. Le roi, qui vit Molière » le même jour, apprit la chose avec indignation, et le marqua » au duc, qui apprit à ses dépens combien Molière étoit dans les » bonnes graces de sa majesté. Je tiens ce fait d'une personne » contemporaine qui m'a assuré l'avoir vu de ses propres yeux.» (Vie de Molière, écrite en 4724.)

donnoient pas dans l'occasion. Il attaque leur mauvais

goût pour les ouvrages; il tâche d'ôter tout crédit au jugement qu'ils faisoient des siens.

Mais il s'attache surtout à tourner en ridicule une pièce intitulée le Portrait du Peintre, que M. Boursault avoit faite contre lui, et à faire voir l'ignorance des comédiens de l'hôtel de Bourgogne dans la déclamation, en les contrefaisant tous si naturellement, qu'on les reconnoissoit dans son jeu. 11 épargna le seul Floridor 2. Il avoit trèsgrande raison de charger sur leur mauvais goût. lls ne savoient aucun principe de leur art; ils ignoroient même qu'il y en eût. Tout leur jeu ne consistoit que dans une prononciation ampoulée et emphatique, avec laquelle ils récitoient également tous leurs rôles; on n'y reconnoissoit ni mouvements ni passions; et cependant les Beauchâteau 2. les Mondory 3, étoient applaudis, parce qu'ils faisoient

'Floridor entra dans la troupe du Marais, en 4640. Il avoit beaucoup de noblesse dans l'air et dans les manières; il étoit fort aimé de la cour, et particulièrement du roi. De Visé a dit de lui: «Il paroît véritablement ce qu'il représente dans toutes » les pièces qu'il joue; tous les auditeurs souhaiteroient de le » voir sans cesse, et sa démarche, son air, et ses actions, ont « quelque chose de si naturel, qu'il n'est pas nécessaire qu'il parle pour attirer l'admiration de tout le monde. » (Critique de la tragédie de Sophonisbe.) La nature avoit encore accordé à cet excellent acteur une figure noble, une taille bien prise, un son de voix qui, quoique mâle, avoit quelque chose de pénétrant et d'affectueux : il joignoit à tous ces avantages beaucoup d'esprit, et, ce qui est encore plus estimable, une probité et une conduite exemplaires. Josias de Soulas Floridor étoit né de parents nobles, et avoit d'abord servi en qualité d'enseigne. (Les Frères Parfait, tom. vIII, pag. 221.) Une anecdote racontée par Boileau confirme tout ce qu'on vient de lire. Racine avoit confié à Floridor le rôle de Néron dans Britannicus; mais cet acteur étoit tellement aimé du public, que tout le monde souffroit de lui voir représenter Néron et de lui vouloir du mal, ce qui nuisit au succès de la pièce. Racine, s'étant aperçu de ce singulier effet du mérite de Floridor, confia le rôle à un autre acteur, et la pièce s'en trouva mieux. (Boléana, page 106.)

* Beauchâteau étoit gentilhomme. Il n'a jamais rempli que les seconds rôles tragiques et comiques. Molière, dans l'Imprompture de Versailles, contrefit la déclamation outrée de cet acteur en récitant les stances du Cid;

Percé jusqu'au fond du cœur.

Le fils de Beauchâteau fut célèbre à huit ans. On recueillit ses poésies sous le titre de Muse naissante du jeune Beauchateau, 1637. Le poète Maynard orna ce recueil d'une préface. A onze ans Beauchâteau présenta son ouvrage à l'académie; à quatorze ans il passa en Angleterre ; il s'embarqua ensuite pour la Perse, et depuis on n'a pas eu de ses nouvelles. (Les Frères Parfait, tom. IX, pag. 411.)

L'Impromptu de Versailles fut joué en 1665. Il ne peut donc être ici question de Mondory, mort en 4654: c'est Montfleury qu'il faut lire. Molière critiqua le jeu et la déclamation de cet acteur, dans la scène première de l'Impromptu, critique que Montfleury ne pardonna pas, et dont son fils le vengea par une comédie intitulée : l'Impromptu de l'hôtel de Condé, où il contrefit à son tour Molière dans le rôle de César de la Mort de Pompée. Heureux s'il eût borné là sa vengeance! mais la haine l'aveugla au point qu'il se fit l'interprète des plus infames calomnies, et présenta à Louis XIV une requête dans laquelle il accusoit Molière d'avoir épousé sa propre fille. Racine, trèsjeune encore, fut témoin de cette intrigue : « Montfleury, écrit

pompeusement ronfler un vers. Molière, qui connoissoit l'action par principes, étoit indigné d'un jeu si mal réglé, et des applaudissements que le public ignorant lui donnoit. De sorte qu'il s'appliquoit à mettre ses acteurs dans le naturel; et avant lui, pour le comique, et avant M. Baron, qu'il forma dans le sérieux, le jeu des comédiens étoit pitoyable pour les personnes qui avoient le goût délicat ; et nous nous apercevons malheureusement que la plupart de ceux qui représentent aujourd'hui, destitués d'étude qui les soutienne dans la connoissance des principes de leur art, commencent à perdre ceux que Molière avoit établis dans sa troupe'.

La différence de jeu avoit fait naître de la jalousie entre les deux troupes. On alloit à celle de l'hôtel de Bourgogne; les auteurs tragiques y portoient presque tous leurs ouvrages: Molière en étoit fàché. De manière qu'ayant su qu'ils devoient représenter une pièce nouvelle dans deux mois, il se mit en tête d'en avoir une prête pour ce temps-là, afin de figurer avec l'ancienne troupe. Il se souvint qu'un an auparavant un jeune homme lui avoit apporté une pièce intitulée Théagène et Chariclée, qui à la vérité ne valoit rien, mais qui lui avoit fait voir que ce jeune homme en travaillant pouvoit devenir un excellent auteur. Il ne le rebuta point; mais il l'exhorta à se perfectionner dans la poésie avant que de hasarder ses ouvrages au public, et il

il à M. Le Vasseur, a fait une requête contre Molière, et l'a donnée au roi : il l'accuse d'avoir épousé la fille, et d'avoir ⚫ vécu autrefois avec la mère; mais Montfleury n'est point » écouté à la cour. » Molière ne daigna point répondre à cette attaque, et l'on doit peut-être le blâmer de ce silence, puisque ce n'est que dans notre siècle qu'il a trouvé un noble défenseur,

lui dit de revenir le trouver dans six mois. Pendant ce temps-là Molière fit le dessein des Frères ennemis '; mais le jeune homme n'avoit point encore paru, et lorsque Molière en eut besoin, il ne savoit où le prendre; il dit à ses comédiens de le lui déterrer à quelque prix que ce fût. Ils le trouvèrent. Molière lui donna son projet, et le pria de lui en apporter un acte par semaine, s'il étoit possible. Le jeune auteur, ardent et de bonne volonté, répondit à l'empressement de Molière; mais celui-ci remarqua qu'il avoit pris presque tout son travail dans la Thebaide de Rotrou 2. On lui fit entendre qu'il n'y avoit point d'honneur à remplir son ouvrage de celui d'autrui ; que la pièce de Rotrou étoit assez récente pour être encore dans la mémoire des spectateurs; et qu'avec les heureuses dispositions qu'il avoit, il falloit qu'il se fit honneur de son premier ouvrage, pour disposer favorablement le public à en recevoir de meilleurs. Mais comme le temps pressoit, Molière l'aida à changer ce qu'il avoit emprunté, et à achever la pièce, qui fut prète dans le temps, et qui fut d'autant plus applaudie que le public se prêta à la jeunesse de M. Racine, qui fut animé par les applaudissements, et par le présent que Molière lui fit. Cependant ils ne furent pas long-temps en bonne intelligence, s'il est vrai que ce soit celui-ci qui ait fait la critique de l'Andromaque, comme M. Racine le croyoit; il estimoit cet ouvrage comme un des meilleurs de l'auteur; mais Molière n'eut point de part à cette critique; elle est de M. de Subligny 3.

Le roi connoissant le mérite de Molière, et l'attachement particulier qu'il avoit pour divertir sa majesté, daigna l'honorer d'une pension de mille livres. On voit dans ses ouvrages le remerciement qu'il en fit au roi. Ce bienfait rassura Molière dans son travail; il crut après cela qu'il

M. Beffara, qui, les pièces du procès à la main, est venu porter pouvoit penser favorablement de ses ouvrages, et il forma

la lumière dans ce dédale de bassesse et de lâcheté. M. Beffara a mérité la reconnoissance de tous les honnêtes gens; car nonseulement il a honoré la mémoire de Molière, en faisant briller la vérité, mais il a puni les calomniateurs en effaçant leurs calomnies.

Ici les dates sont précieuses, et l'on peut dire que leur rapprochement est comme un trait de lumière qui nous montre la grande ame de Louis XIV. La requête dans laquelle Montfleury accusoit Molière d'avoir épousé sa fille fut présentée à la fin de décembre 1663; et le 28 février 1664. c'est-à-dire deux mois après cette requête, le roi de France tenoit sur les fonts de baptème, avec madame Henriette d'Angleterre, le premier enfant de Molière, et lui donnoit le nom de Louis. C'est ainsi que Louis XIV répondit toujours aux ennemis de Molière. Toutes les calomnies dont on vouloit accabler ce grand poète étoient aussitôt consolées par un bienfait.

Ce Montfleury, qui croyoit se venger de Molière en se déshonorant, avoit l'orgueil de se croire son rival. Son théâtre a été imprimé avec celui de son fils, auteur de la Femme juge et partie, qui partagea un moment avec le Tartuffe la faveur du public. On dit que Montfleury se rompit une veine en jouant Oreste dans Andromaque; c'est une erreur : il mourut de la fièvre, il est vrai, peu de jours après avoir joué ce rôle. Montfleury étoit gentilhomme, et il avoit été page du duc de Guise. Chapuzeau le cite comme un excellent comédien. (Voyez Chapuzeau, liv, m, pages 477 et 178; les Frères Parfait, tom. vii, pag. 129 et 130, et les Mémoires de Louis Racine, pag. 38.)

'Ceci est un trait lancé contre Beaubourg qui avoit remplacé Baron, et dont le jeu étoit outré. Ce passage est une nouvelle preuve que Grimarest a travaillé d'après les Mémoires de Baron, alors retiré du théâtre, mais qui y remonta en 4720.

le dessein de travailler sur de plus grands caractères, et de suivre le goût de Térence un peu plus qu'il n'avoit fait : il se livra avec plus de fermeté aux courtisans et aux savants, qui le recherchoient avec empressement : on croyoit trouver un homme aussi égayé, aussi juste dans la conversation qu'il l'étoit dans ses pièces, et l'on avoit la satisfaction de trouver dans son commerce encore plus de solidité que dans ses ouvrages; et ce qu'il y avoit de plus agréable pour

'On a ouï dire souvent à M. le président Montesquieu, d'après une ancienne tradition de Bordeaux, que Molière, encore comédien de campagne, avoit fait représenter dans cette ville une tragédie de sa façon, qui avoit pour titre la Thébaïde, mais que le peu de succès qu'elle obtint le détourna du genre tragique. C'est sans doute le plan de cette pièce que Molière donna à Racine (B.)

*Rotrou n'a point fait de Thébaïde : il est auteur d'Antigone, pièce à laquelle Racine fit en effet quelques emprunts. La Grange-Chancel disoit avoir entendu dire à des amis particuliers de Racine, que, pressé par le peu de temps que lui avoit donné Molière pour composer cette pièce, il y avoit fait entrer, sans presque aucun changement, deux récits entiers tirés de l'Antigone de Rotrou, jouée en 4658. Ces morceaux disparurent dans l'impression de la Thébaïde, jouée en 1664. Voilà à quoi il faut réduire tout ce que dit ici Grimarest.

Avocat, faisant des parodies, des romans, et d'autres niaiseries oubliées. Il s'associoit avec le père du président Hénault pour dénigrer Racine, et finit par devenir le panegyriste du grand poète dont il avoit été le zoïle. (DESP.)

ses amis, c'est qu'il étoit d'une droiture de cœur inviolable, et d'une justesse d'esprit peu commune.

On ne pouvoit souhaiter une situation plus heureuse que celle où il étoit à la cour et à Paris depuis quelques années. Cependant il avoit cru que son bonheur seroit plus vif et plus sensible s'il le partageoit avec une femme; il voulut remplir la passion que les charmes naissants de la fille de la Béjart' avoient nourrie dans son cœur à mesure qu'elle avoit crû. Cette jeune fille avoit tous les agréments qui peuvent engager un homme, et tout l'esprit nécessaire pour le fixer. Molière avoit passé, des amusements que l'on se fait avec un enfant, à l'amour le plus violent qu'une maîtresse puisse inspirer; mais il savoit que la mère avoit d'autres vues qu'il auroit de la peine à déranger. C'étoit une femme altière et peu raisonnable lorsqu'on n'adhéroit | pas à ses sentiments; elle aimoit mieux être l'amie de Molière que sa belle-mère : ainsi, il auroit tout gåté de lui | déclarer le dessein qu'il avoit d'épouser sa fille. Il prit le parti de le faire sans en rien dire à cette femme; mais comme elle l'observoit de fort près, il ne put consommer son mariage pendant plus de neuf mois : c'eût été risquer un éclat qu'il vouloit éviter sur toutes choses, d'autant plus que la Béjart, qui le soupçonnoit de quelque dessein sur sa fille, le menaçoit souvent en femme furieuse et extravagante de le perdre, lui, sa fille, et elle-mème, si jamais il pensoit à l'épouser 1. Cependant la jeune fille ne s'accommodoit point de l'emportement de sa mère, qui la tourmentoit continuellement, et qui lui faisoit essuyer tous les désagréments qu'elle pouvoit inventer; de sorte que cette jeune personne, plus lasse, peut-être, d'attendre le plaisir d'ètre femme, que de souffrir les duretés de sa mère, se détermina un matin de s'aller jeter dans l'appartement de Molière, fortement résolue de n'en point sortir qu'il ne l'eût reconnue pour sa femme, ce qu'il fut contraint de faire. Mais cet éclaircissement causa un vacarme terrible; la mère donna des marques de fureur et de désespoir comme si Molière avoit épousé sa rivale, ou comme si sa fille fût tombée entre les maius d'un malheureux. Néanmoins, il fallut bien s'apaiser; il n'y avoit point de remède, et la raison fit entendre à la Béjart que le plus grand bonheur qui pût arriver à sa fille étoit d'avoir épousé Molière, qui perdit par ce mariage tout l'agrément que son mérite et sa fortune pouvoient lui procurer, s'il avoit été assez philosophe pour se passer d'une femme 3.

'Nous avons déja dit qu'Armande Béjart (femme de Molière) étoit la sœur et non la fille de Madeleine Béjart. (Voyez la Dissertation sur Poquelin de Molière, par M. Beffara.)

Les emportements de Madeleine Béjart sont vraisemblables; mais le mariage de Molière ne fut point secret, et Madeleine Béjart y assista en sa qualité de sœur, comme le prouve le contrat rapporté dans la dissertation déja citée.

Cette femme, qui inspira une si forte passion à Molière, et qui le rendit si malheureux, n'avoit pas une beauté régulière : voici le portrait que Molière en a fait lui-même à une époque où elle lui avoit déja causé beaucoup de chagrins. «Elle a les yeux » petits, mais elle les a pleins de feu; les plus brillants, les plus » perçants du monde; les plus touchants qu'on puisse voir. Elle » a la bouche grande, mais on y voit des grâces qu'on ne voit >>-point aux autres bouches. Sa taille n'est pas grande, mais elle est aisée et bien prise. Elle affecte une nonchalance dans son

Celle-ci ne fut pas plutôt madame de Molière, qu'elle crut être au rang d'une duchesse; et elle ne se fut pas donnée en spectacle à la comédie, que le courtisan désoccupé lui en conta. Il est bien difficile à une comédienne, belle et soigneuse de sa personne, d'observer si bien sa conduite, que l'on ne puisse l'attaquer. Qu'une comédienne rende à un grand seigneur les devoirs qui lui sont dus, il n'y a point de miséricorde, c'est son amant. Molière s'imagina que toute la cour, toute la ville en vouloit à son épouse. Elle négligea de l'en désabuser; au contraire les soins extraordinaires qu'elle prenoit de sa parure, à ce qu'il lui sembloit, pour tout autre que pour lui, qui ne demandoit point taut d'arrangement, ne firent qu'augmenter sa jalousie. Il avoit beau représenter à sa femme la manière dont elle devoit se conduire pour passer heureusement la vie ensemble, elle ne profitoit point de ses leçons, qui lui paroissoient trop sévères pour une jeune personne, qui d'ailleurs n'avoit rien à se reprocher. Ainsi, Molière, après avoir essuyé beaucoup de froideurs et de dissensions domestiques, fit son possible pour se renfermer dans son travail et dans ses amis, sans se mettre en peine de la conduite de sa femme.

A cette époque il donna successivement la Princesse d'Élide, le Mariage forcé, le Festin de Pierre, qui lui attira. une critique très-violente 2, mais qui ne put nuire ni à sa réputation ni à ses succès.

» parler et dans son maintien, mais elle a grace à tout cela, et » ses manières ont je ne sais quel charme à s'insinuer dans les » cœurs. Enfin son esprit est du plus fin et du plus délicat; sa >> conversation est charmante, et si elle est capricieuse autant » que personne du monde, tout sied bien aux belles, on souffre » tout des belles. » (Bourgeois Gentilhomme, acte III, scène Ix.) Élève de Molière, elle devint une excellente actrice : sa voix étoit si touchante, qu'on eût dit, suivant un contemporain, qu'elle avoit véritablement dans le cœur la passion qui n'étoit que dans sa bouche. Le même auteur trace ainsi son portrait et celui de La Grange. « Remarquez, dit-il, que la Molière et La Grange » font voir beaucoup de jugement dans leur récit, et que leur • jeu continue encore, lors même que leur rôle est fini. Ils ne » sont jamais inutiles sur le théâtre: ils jouent presque aussi » bien quand ils écoutent que quand ils parlent. Leurs regards » ne sont pas dissipés; leurs yeux ne parcourent pas les loges. » Ils savent que leur salle est remplie, mais ils parlent et ils

[ocr errors]

» agissent comme s'ils ne voyoient que ceux qui ont part à leur » action; ils sont propres et magnifiques sans rien faire paroitre » d'affecté. Ils ont soin de leur parure, et ils n'y pensent plus » dès qu'ils sont sur la scène. Et si la Molière retouche parfois à » ses cheveux, si elle raccommode ses nœuds et ses pierreries, >> ces petites façons cachent une satire judicieuse et naturelle. » Elle entre par là dans le ridicule des femmes qu'elle veut jouer; » mais enfin, avec tous ces avantages, elle ne plairoit pas tant » si sa voix étoit moins touchante; elle en est si persuadée elle» même, que l'on voit bien qu'elle prend autant de divers tons » qu'elle a de rôles différents. » (Entretiens galants, Paris, Ribou, 1681, tome II, page 91.) Grandval, le père, disoit de madame Molière qu'elle jouoit à merveille les rôles que son mariavoit faits pour elle, et ceux des femmes coquettes et satiriques, et que, sans être belle, elle étoit piquante et capable d'inspirer une grande passion. (Cizeron Rival, page 15, et les Frères Parfait.)

'Cette critique portoit le titre d'Observations sur le Festin de Pierre, par le sieur de Rochemont. On y voit que Molière est vraiment diabolique, que diabolique est son cerveau, et que

Ce fut au mois d'août 1665 que le roi jugea à propos de fixer la troupe de Molière tout-à-fait à son service, en lui donnant une pension de sept mille livres '. Elle prit alors le titre de troupe du roi, qu'elle a toujours conservé depuis; et elle étoit de toutes les fêtes qui se faisoient partout où étoit sa majesté.

c'est un diableincarné. L'auteur termine en menaçant du déluge, de la peste, et de la famine, si la sagesse de Louis XIV ne met un frein à l'impiété de Molière. Enfin on sent partout que cette brochure a été inspirée par la crainte du Tartuffe, déja célèbre et déja persécuté, quoique non représenté. Chose remarquable! ce lihelle est imprimé avec permission du lieutenant civil; ce qui prouve que le sieur de Rochemont étoit appuyé par des personnes puissantes.

*La pension étoit de 7,000 f. pour la troupe, et de 1,000 fr. pour Molière. L'époque où elle fut donnée est digne de remarque. Le Festin de Pierre venoit d'exciter les plus étranges réclamations. Le libelliste Rochemond avoit appelé la colère du roi sur cet ouvrage; intéressant la religion dans cette querelle, il réclamoit les plus terribles punitions contre l'auteur qu'il traitoit d'impie. Louis XIV répondit en comblant Molière de ses bienfaits.

'Quoique comédien, Molière faisoit toujours auprès du roi son service de valet-de-chambre. Cette double fonction fut cause de plusieurs aventures que nous allons rapporter. Un jour, s'étant présenté pour faire le lit du roi, un autre valet-de-chambre qui devoit le faire avec lui, se retira brusquement, en disant qu'il n'avoit point de service à partager avec un comédien. Bellocq, homme d'esprit et qui faisoit de jolis vers, s'approcha dans le moment, et dit : « Monsieur de Molière, voulez-vous bien que j'aie l'honneur de faire le lit du roi avec vous? » Louis XIV, instruit de l'affront qu'on avoit voulu faire à Molière, en parut fort mécontent. (Moliérana, page 38.) Voici une anecdote du même genre, que le père de madame Campan tenoit d'un vieux médecin ordinaire de Louis XIV. « Ce médecin se nommoit La» fosse : c'étoit un homme d'honneur, et incapable d'inventer » cette histoire. Il disoit donc que Louis XIV ayant su que les > officiers de sa chambre témoignoient par des dédains offen⚫sants combien ils étoient blessés de manger à la table du contrôleur de la bouche avec Molière, valet-de-chambre du roi, » parce qu'il jouoit la comédie, cet homme célèbre s'abstenoit ⚫ de manger à cette table. Louis XIV, voulant faire cesser des ou⚫trages qui ne devoient pas s'adresser à l'un des plus grands génies ⚫ de son siècle, dit un matin à Molière, à l'heure de son petit lever: On dit que vous faites maigre chère ici, Molière, et que » les officiers de ma chambre ne vous trouvent pas fait pour man*ger avec eux. Vous avez peut-être faim, moi-même je m'éveille a avec un très-bon appétit; mettez-vous à cette table, et qu'on > me serve mon en cas de nuit. (Tous les services de prévoyance » s'appeloient des en cas.) Alors le roi coupant sa volaille, et » ayant ordonné à Molière de s'asseoir, lui sert une aile, en ⚫ prend en même temps une pour lui, et ordonne que l'on introduise les entrées familières qui se composoient des personnes » les plus marquantes et les plus favorisées de la cour. Vous me voyez, leur dit le roi, occupé à faire manger Molière, que mes valets-de-chambre ne trouvent pas assez bonne compa⚫guie pour eux. De ce moment, Molière n'eut plus besoin de se ‣ présenter à cette table de service, toute la cour s'empressa de > lui faire des invitations. » (Mémoires de madame Campan, t. III, p.8.) La réflexion de l'éditeur de ces Mémoires, M. Barrière, mérite également de trouver place ici. « Cette anecdote, dit⚫il, est peut-être une de celles qui honcrent le plus le caractere et la vie de Louis XIV. On est touché de voir ce roi su> perbe accueillant, dans le comédien Molière, l'immortel au*teur du Misanthrope et du Tartuffe. Voilà par quel trait un

Molière, de son côté, n'épargnoit ni soins ni veilles pour soutenir et augmenter la réputation qu'il s'étoit acquise, et pour répondre aux bontés que le roi avoit pour lui. Il consultoit ses amis; il examinoit avec attention ce qu'il travailloit; on sait même que lorsqu'il vouloit que quelque scène prit le peuple des spectateurs, comme les autres, il la lisoit à sa servante pour voir si elle en seroit touchée. Cependant il ne saisissoit pas toujours le public d'abord; il l'éprouva dans son Avare. A peine fut-il représenté sept fois. La prose dérouta les spectateurs 2. « Com>>ment! disoit M. le duc de.... Molière est-il fou, et nous >>prend-il pour des benets, de nous faire essuyer cinq >> actes de prose? A-t-on jamais vu plus d'extravagance? » Le moyen d'être diverti par de la prose! » Mais Molière fut bien vengé de ce public injuste et ignorant quelques années après : il donna son Avare pour la seconde fois le 9 septembre 1668. On y courut en foule, et il fut joué presque toute l'année : tant il est vrai que le public goûte rarement les bonnes choses quand il est dépaysé! Cinq actes de prose l'avoient révolté la première fois; mais la lecture et la réflexion l'avoient ramené, et il alla voir avec empressement une pièce qu'il avoit d'abord méprisée.

Quoique la troupe de Molière fùt suivie, elle ne laissa pas de languir pendant quelque temps par le retour de Scaramouche 3. Ce comédien, après avoir gagné une

» prince, qui a de la grandeur, sait venger le génie de la sottise, » et le récompenser de ses travaux. »

Elle se nommoit Laforêt. Boileau lui a donné une espèce d'immortalité dans le passage suivant : « On dit que Malherbe > consultoit sur ses vers jusqu'à l'oreille de sa servante; et je » me souviens que Molière m'a montré aussi plusieurs fois une » vieille servante, qu'il avoit chez lui, et à qui il lisoit, disoit-il, » quelquefois ses comédies; et il m'assuroit que lorsque des en» droits de plaisanterie ne l'avoit point frappée, il les corrigeoit, » parce qu'il avoit plusieurs fois éprouvé sur son théâtre que ces >> endroits n'y réussissoient point.» (Boileau, Réflexions critiques, p. 182, t. III des Euvres, édition de Lefèvre.) « Un jour Molière, pour éprouver le goût de cette servante, lui lut » quelques scènes d'une pièce de Brécourt. Laforêt ne prit point » le change, et, après avoir ouï quelques mots, elle soutint que » son maitre n'avoit point fait cet ouvrage. » (BROSS.)

* Cette anecdote est douteuse. Il paroît, d'après le registre de la Comédie françoise, que l'Avare ne fut pas représenté avant le 9 septembre 4668. Il eut alors neuf représentations, et onze deux mois après. Ces premières représentations, il est vrai, fu rent presque désertes; mais Boileau s'y montroit fort assidu, et soutenoit que la pièce étoit excellente. Racine, irrité contre Molière (il le croyoit auteur d'une satire contre Andromaque, dont l'auteur véritable étoit Subligny), dit un jour à Boileau : Je vous vis dernièrement à l'Avare, et vous riiez tout seul sur le théâtre. - Je vous estime trop, répondit Boileau, pour croire que vous n'y ayez pas ri du moins intérieurement, (Voyez le Boléana; page 104.)

'C'est entre le mois de mars et d'octobre 1670 que le public déserta le théâtre de Molière pour suivre Scaramouche. La longue absence de cet acteur, qui resta en Italie depuis 1667 jusqu'au commencement de 1670, explique l'empressement du public. Le Bourgeois gentilhomme et la tragédie de Tite et Bérénice de Corneille, jouée le 28 novembre 1670, et dans laquelle Baron fit sa rentrée, ramenèrent la foule au théâtre Molière. Scaramonche étoit un Napolitain appelé Tiberio Fiorelli. Il excelloi! dans la pantomime; et le trait suivant, rapporté par Gherardi, peut donner une idée de son merveilleux talent : « Dans une

somme assez considérable pour se faire dix ou douze mille | ramouche: la troupe de Molière fut négligée pendant tout

livres de rente, qu'il avoit placées à Florence, lieu de sa naissance, fit dessein d'aller s'y établir. Il commença par y envoyer sa femme et ses enfants; et, quelque temps après, il demanda au roi la permission de se retirer en son pays. Sa majesté voulut bien la lui accorder; mais elle lui dit en même temps qu'il ne falloit pas espérer de retour. Scaramouche, qui ne comptoit pas de revenir, ne fit aucune attention à ce que le roi lui avoit dit : il avoit de quoi se passer du théâtre. Il part; mais il trouva chez lui une femme et des enfants rebelles, qui le reçurent non-seulement comme un étranger, mais encore qui le maltraitèrent. Il fut battu plusieurs fois par sa femme, aidée de ses enfants, qui ne vouloient point partager avec lui la jouissance du bien qu'il avoit gagné ; et ce mauvais traitement alla si loin, qu'il ne put y résister; de manière qu'il fit solliciter fortement son retour en France, pour se délivrer de la triste situation où il étoit en Italie. Le roi eut la bonté de lui permettre de revenir. Paris l'avoit trouvé fort à redire, et son retour réjouit toute la ville. On alla avec empressement à la comédie italienne pendant plus de six mois, pour revoir Sca

‣ scène de Colombine, avocat pour et contre, Scaramouche, » après avoir arrangé tout ce qu'il y a dans sa chambre, prend » sa guitare, s'assied dans un fauteuil, et joue en attendant l'ar» rivée de son maître. Pascariel vient tout doucement derrière » lui, et bat la mesure par dessus ses épaules. C'est ici que cet » incomparable acteur, modèle des plus illustres comédiens de » son siècle, qui avoient appris de lui l'art si difficile de remuer » les passions et de savoir les bien peindre sur leur visage, c'est »ici, dis-je, qu'il faisoit pâmer de rire pendant un gros quart » d'heure dans une scène d'épouvante où il ne proféroit pas un » seul mot.... » Cet exemple suffit pour appuyer ce que dit Mezzetin de l'étude que Molière avoit faite du jeu de ce grand acteur. « La nature, dit-il, avoit doué Scaramouche d'un talent » merveilleux, qui étoit de figurer par les postures de son » corps et par les grimaces de son visage tout ce qu'il vouloit, et » cela d'une manière si originale, que le célèbre Molière, après » l'avoir étudié long-temps, avoua ingénument qu'il lui devoit » toute la beauté de son action. » (V ́ie de Scaramouche, par Mezzetin, page 488.) Voici un autre passage tiré du Ménagiana. « Scaramouche, y est-il dit, étoit le plus parfait pantomime que » nous ayons vu de nos jours. Molière, original françois, n'a ja» mais perdu une représentation de cet original italien. » (Ménagiana, tome II, page 404.) Enfin nous citerons encore ces paroles de Palaprat : « Qui nous racontera les merveilles de l'i» nimitable Dominico; les charmes de la nature jouant elle-même » à visage découvert sous les traits de Scaramouche? » (Préface des Œuvres de Palaprat, page 40.) Les études de Molière sur le jeu de Scaramouche lui ont été reprochées par ses ennemis, qui, ne pouvant nier la perfection de son talent, faisoient tous leurs efforts pour lui en ôter le mérite. « Voulez-vous, disoit l'un » d'eux, tout de bon jouer Molière, il faut dépeindre un homme » qui ait dans son habillement quelque chose d'arlequin, de » Scaramouche, du docteur, et de Trivelin; que Scaramouche » lui vienne redemander sa démarche, sa barbe, et ses grima» ces; et que les autres viennent en même temps demander ce » qu'il prend d'eux dans son jeu et dans ses habits. Dans une au> tre scène on pourroit faire venir tous les auteurs et tous les » vieux bouquins où il a pris ce qu'il y a de plus beau dans ses » pièces. On pourroit aussi faire paroître tous les gens de qua>lité qui lui ont donné des Mémoires et tous ceux qu'il a copiés. » (Voyez Zélinde, comédie, scène VIII, page 90, un volume in-12, imprimé en 1663.)

ce temps-là; elle ne gagnoit rien, et les comédiens étoient prêts à se révolter contre leur chef. Ils n'avoient point encore Baron pour rappeler le public, et l'on ne parloit point de son retour. Enfin, ces comédiens injustes murmuroient hautement contre Molière, et lui reprochoient qu'il laissoit languir leur théâtre. « Pourquoi, lui disoient-ils, ne >> faites-vous pas des ouvrages qui nous soutiennent? Faut>> il que ces farceurs d'Italiens nous enlèvent tout Paris? » En un mot, la troupe étoit un peu dérangée, et chacun des acteurs méditoit de prendre son parti. Molière étoit lui-même embarrassé comment il les ramèneroit; et à la fin, fatigué des discours de ses comédiens, il dit à la Duparc et à la Béjart, qui le tourmentoient le plus, qu'il ne savoit qu'un moyen pour l'emporter sur Scaramouche, et de gagner de l'argent : que c'étoit d'aller bien loin pour quelque temps, pour s'en revenir comme ce comédien ; mais il ajouta qu'il n'étoit ni en son pouvoir, ni dans ses desseins, d'employer ce moyen, qui étoit trop long, mais qu'elles étoient les maîtresses de s'en servir. Après s'être ainsi moqué d'elles, il leur dit sérieusement que Scaramouche ne seroit pas toujours couru avec ce même empressement ';

D

Voici ce que raconte un auteur contemporain de l'estime que Molière faisoit des acteurs italiens, des soupers où ils se trouvoient réunis, et des conversations favorites de ces aimables et joyeux convives. « Molière, dit-il, ce grand comédien, et » mille fois encore plus grand auteur, vivoit d'une étroite fami»liarité avec les Italiens, parce qu'ils étoient bons acteurs et » fort honnêtes gens : il y en avoit toujours deux ou trois des » meilleurs à nos soupers. Molière en étoit souvent aussi, mais » non pas aussi souvent que nous le souhaitions, et mademoi» selle Molière encore moins souvent que lui; mais nous avions toujours fort régulièrement plusieurs virtuosi, el'ces virtuosi » étoient les gens de Paris les plus initiés dans les anciens mys» tères de la comédie françoise, les plus savants dans ses annales, » et qui avoient fouillé le plus avant dans les archives de l'hôtel » de Bourgogne et du Marais. Ils nous entretenoient des vieux comiques de Turlupin, Gauthier-Garguille, Gargibus, Cri» vello, Spinette, du docteur, du capitan Jodelet, Gros-René, Crispin. Ce dernier florissoit plus que jamais; c'étoit le nom de » théâtre ordinaire sous lequel le fameux Poisson brilloit tant à » l'hôtel de Bourgogne. Quoique Molière eût en lui un redouta» ble rival, il étoit trop au-dessus de la basse jalousie pour n'en» tendre pas volontiers les louanges qu'on lui donnoit; et il me » semble fort, sans oser pourtant l'assurer après quarante ans, » d'avoir ouï dire à Molière en parlant avec Dominico (c'est le » célèbre arlequin, père de mademoiselle de La Thorillière, cé» lèbre elle-mème sous le nom de Colombine) de Poisson, qu'il » auroit donné toute chose au monde pour avoir le naturel de » ce grand comédien. C'est dans ces soupers que j'appris une » espèce de suite chronologique de comiques, jusqu'aux Sgana» relles qui ont été le personnage favori de Molière, quand il ne » s'est pas jeté dans les grands rôles à manteau, et dans le no» ble et haut comique de l'École des Femmes, des Femmes savantes, du Tartuffe, de l'Avare, du Misanthrope, etc, » Ce passage est précieux, mais que de regrets il fait naître, lorsqu'on songe à toutes les choses que l'auteur ne fait qu'indiquer! Il étoit temps encore d'écrire la vie de Molière, et le simple récit d'un de ses soupers feroit aujourd'hui plus d'honneur à cet écrivain que ne lui en a fait le Concert ridicule, le Ballet extravagant, le Secret révélé, la Prude du temps, et toutes ses poésies diverses. (Voyez la Préface de Palaprat à la tête de ses Œuvres, page 30.)

« PrécédentContinuer »