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Quant aux lettres adressées au pape Fabien", à Bérylle, évêque de Bostra'', à l'empereur Philippe et à son épouse Sévéra, à son disciple Thryphon93, et plusieurs autres qui se rapportaient à la persécution de Décius 4, il n'en reste pas le moindre vestige.

II. Ouvrages apocryphes.

Après cette longue liste des productions authentiques du génie d'Origène, il nous reste à parler de quelques autres d'une origine plus récente et qui ont été publiées sous son nom.

1. Dialogus de recta in Deum fide contra Marcionitas 95. L'auteur de cet ouvrage porte, à la vérité, le nom d'Adamantius, mais cela ne prouve rien, puisque le vrai nom d'Origène ne s'y rencontre nulle part; ce qui est d'autant plus important à remarquer, que Théodoret9 compte réellement un Adamantius parmi les adversaires de Marcion. Le silence d'Eusèbe et de tous les autres anciens écrivains, est un argument de plus contre son authenticité; puis encore l'auteur parle d'un empereur dont les sentiments étaient contraires à ceux des monarques ses prédécesseurs, qui aimait les chrétiens et renversait les temples des idoles ; ce qui ne s'accorde guère avec le temps où vivait Origène, mais plutôt avec la période chrétienne qui suivit. On trouve aussi fréquemment dans cet ou vrage le mot μoovrios, employé dans le sens fixé plus tard par le concile de Nicée; enfin on n'y reconnaît nulle part le style d'Origène. Toutes les raisons intrinsèques et extrinsèques se réunissent donc contre son authenticité.

Du reste, cet ouvrage est fort utile; il est écrit avec beaucoup de pénétration, et les arguments des adversaires de l'auteur sont réfutés par des raisons péremptoires. Il se compose de cinq parties, dont les deux premières traitent de la doctrine d'un seul Dieu, créateur et rédempteur du monde, et

9° Hieron. ep. 41 al. 65.-91 Id., catal., c. 60.- 92 Euseb, h. e., VI, 36. Hieron. catal., c. 54.- 93 Hieron., ibid., c. 57.- 94 Euseb., h. e., VI, 28.

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5 Wetstein publia le premier ouvrage en grec et en latin à Bâle, en 1674. 96 Theod. Fab. hæret., I, 5, it. in Proœm. Cf. Phot. cod. 231

de l'absurdité que présente le système de deux principes également suprêmes; la troisième partie démontre que l'origine du mal n'est point en Dieu, mais dans la volonté de la libre créature. Par suite de ce raisonnement, la quatrième partie combat l'erreur qui consiste à faire d'une matière éternelle la source du mal, et prouve le dogme de l'Incarnation du Verbe par la Vierge; la cinquième partie, enfin, défend le dogme de la résurrection.

2. Philosophumena. C'est là le titre d'un ouvrage qui avait pour but la réfutation de toutes les hérésies, et dont la partie qui nous reste ne forme que l'introduction.Mais Origène n'en est point l'auteur, quoi qu'en dise le frontispice. Cet auteur annonce, au contraire, qu'il est dans l'appareig, c'est-à-dire qu'il jouit de la dignité épiscopale, ce qui n'était pas le cas d'Origène. Les autres motifs ont été exposés par de La Rue99.

Cet écrit contient un résumé assez bien fait de l'histoire de la philosophie, notamment par rapport aux questions les plus importantes de l'esprit humain, qui ont occupé, non-seulement les Grecs, mais encore d'autres peuples moins civilisés. On y fait connaître les systèmes des épicuriens, des stoïciens, des platoniciens, etc., et l'on y parle aussi de l'opinion des brahmines, des druides, etc.; la connaissance approfondie des diverses écoles philosophiques que déploie l'auteur, de cet écrit, a été sans doute un des principaux motifs qui l'on fait attribuer à Origène.

3. Enfin, il existe encore, sous le nom d'Origène, deux commentaires différents sur le livre de Job. Le premier, en trois livres, ne va que jusqu'au troisième chapitre ; le second, disposé plutôt sous forme de scholies, s'étend sur tout le livre canonique de ce nom. Le traducteur du premier (en admettant que le texte grec ait jamais existé) est inconnu. Celui du second est Périonius. Ni l'un ni l'autre n'offrent rien de commun avec la manière d'Origène, soit pour le style, soit pour la méthode d'interprétation, tandis qu'au contraire les allusions

97 La première édition a été publiée par J. Gronovius, Thesaur. Antiq. græc. Tom. IX, p. 237, sous le titre de : Fragmentum philosophumenon. 98 Opp. Orig. Edit. Paris. Tom. I, p. 876. — 99 Ibid., tom. I, p. 872; tom IV, Origenian., p. 327.

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g.

perpétuelles à des événements plus récents trahissent à chaque ligne la main d'un auteur tout différent, qu'en comparaison du premier on peut encore à peine regarder comme catholique'

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Il faut encore porter le même jugement sur quelques autres productions exégétiques, telles qu'un commentaire sur saint Marc, 10 homélies in diversos, des scholies sur l'Oraison dominicale, sur l'hymne Benedictus et sur le Magnificat. L'écrit de singularitate clericorum est dans le même cas.

Dans les diverses éditions d'Origène, ses Philocalia sont cités comme un ouvrage distinct. Mais ce n'est qu'un choix de morceaux tirés des écrits d'Origène par Basile-le-Grand et Grégoire de Nazianze, dans le temps de leur vie solitaire et ascétique. Ce recueil a donc pour nous un grand intérêt, puisqu'il a servi à nous conserver plusieurs passages originaux. III. Méthode d'interprétations allégoriques adoptée par Origène.

Si, dans les commentaires d'Origène sur l'Ecriture sainte, la méthode allégorique n'est pas employée exclusivement, elle s'y retrouve du moins plus fréquemment qu'aucune autre, et elle doit être considérée comme une des particularités les plus remarquables de cet écrivain. Longtemps déjà avant Jésus-Christ, des philosophes païens avaient essayé de l'appliquer à l'explication de leurs poëtes et de leurs mythes, alors que le réveil de la raison ne permit plus aux hommes de les admettre sans réserve, et qu'ils cherchaient une sagesse cachée sous cette enveloppe. Les Juifs qui habitaient Alexandrie y acquirent la connaissance de la philosophie grecque, à laquelle ils prirent goût, mais furent souvent bien embarrassés quand il fallut faire accorder leurs nouveaux systèmes avec la lettre de l'Ancien Testament, et répondre convenablement aux objections que leur faisaient les païens. Ils se livrèrent, d'après cela, d'autant plus volontiers à l'interprétation allégorique, que, grâce à elle, ils n'étaient pas obligés de renon

10° Huet. Origenian., 1. III, c. 2. (Edit. de La Rue, t. IV, p. 523 sq.) Dupin Biblioth., t. I, p. 207. Ceillier, t. II, p. 697.

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cer entièrement à leur foi traditionnelle d'une révélation. Aristobule et Philon d'Alexandrie avaient déployé dans cette méthode un talent supérieur. Les Juifs se prêtèrent en conséquence assez facilement à cette manière d'interpréter qu'ils avaient reçue en quelque façon de leurs pères, et qui s'était acclimatée parmi eux, puisque tout le passé d'Israël était pris et considéré comme le type d'un avenir différent. Ce fut ainsi que Philon se forma une herméneutique qui lui fut particulière, et qui s'accorde généralement avec celle d'Origène, sauf quelques modifications, et elle était construite à peu près sur la base suivante.

Par la Révélation, le véritable homme (vontos) est mis en relation avec le monde des esprits, et le sien doit apprendre à connaître les choses qui se déploient devant lui. Mais lorsque ce principe spirituel n'a pas encore reçu la vie ni un assez grand développement, l'homme a encore besoin pendant quelque temps des voiles dont se couvrent les vérités les plus élevées. Ces vérités sont enveloppées sous des faits historiques et sous des cérémonies religieuses extérieures, pour devenir ainsi plus palpables aux hommes sensuels. L'histoire n'est rien; elle n'est que l'ombre (~xia), et ce n'est que la plus haute vérité qui a de l'importance; c'est elle qui est la réalité (owμx). Celui donc qui veut se placer sur le point le plus élevé doit pénétrer dans ce qui est caché. On voit que Philon ne rejetait pas l'histoire comme absolument sans valeur; il ne le pouvait pas, seulement, elle n'était pas à ses yeux l'objet principal; elle n'avait une importance véritable que pour l'homme charnel, encore récalcitrant; elle lui était même indispensable. Mais il y a certains faits qu'il rejette purement et simplement, parce qu'il lui devient impossible de les faire accorder avec sa théosophie, et alors il se persuade que ces faits ne sont rapportés que pour avertir les hommes qu'ils ne doivent pas s'arrêter à l'enveloppe extérieure. Les partisans de cette interprétation avaient même certains principes de conduite (voμous dayyoras) qui partaient de l'idée que le monde sensible est l'empreinte du monde invisible, et que celui-ci est l'image primitive de l'autre. Les deux se correspondent parfaitement; ce qui est vrai de l'un l'est aussi de l'autre, de

sorte que ce qui est dit dans l'Ecriture des objets du monde. visible se rapporte sur-le-champ à ceux du monde invisible. En conséquence, la philosophie de la religion, pour autant qu'elle fixe le rapport entre ces deux mondes, a une symbolique qui lui est propre.

Origène pose à ce sujet les trois axiomes suivants:

1° Tout ce qui, dans l'Ecriture sainte, est exprimé sous la forme d'un ordre, d'un précepte, d'un témoignage, d'un jugement, etc., doit être pris littéralement, et n'a pas besoin d'allégorie; mais ce qui a la forme d'une loi, comme, par exemple, ce qui regarde les animaux purs et les animaux immondes, les jeûnes, etc., doit être interprété allégoriquement.

2o Ce qui est dit dans l'Ecriture sainte de la Jérusalem terrestre, de l'Egypte, de Babylone, se rapporte à des objets célestes du même genre. Les prophètes parlent souvent de la Jérusalem, de la Babylone terrestre, mais c'est toujours la céleste qu'ils veulent dire.

3o Eufin, il faut interpréter allégoriquement tout ce qui offre l'apparence de l'impossible, du contradictoire, du faux, de l'inutile, etc.

Les motifs particuliers qui donnèrent à Origène le goût de l'allégorie doivent se chercher dans la tendance de son profond génie pour les choses mystérieuses, dans le caractère de l'école d'Alexandrie, qui, pour se défendre des interprétations grossières que l'on faisait des livres saints, comme, par exemple, celle des chiliastes, se jetait dans une voie plus idéaliste, et enfin dans la nature toute particulière des attaques que les Juifs, les gentils et les gnostiques dirigeaient contre l'Eglise chrétienne. Par cette méthode, il se flattait de repousser les sorties, tantôt savantes, tantôt railleuses, des païens, par les armes les mieux appropriées à ce genre de combat, de répondre convenablement à la prétendue science des hérétiques gnostiques, et de convaincre de la vérité du Christianisme les Juifs, à qui une semblable interprétation plaisait particulièrement à cette époque. Du reste, il ne voyait rien dans l'Ecriture sainte qui pût le faire renoncer à son entreprise. La fertilité du sens est précisément, pensait

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