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CLÉMENT D'ALEXANDRIE.

La liste des écrivains ecclésiastiques du troisième siècle s'ouvre par Titus Flavius Clément, surnommé d'Alexandrie. Les anciens eux-mêmes n'étaient pas d'accord sur le lieu de sa naissance, que les uns plaçaient en effet à Alexandrie, tandis que les autres le disaient originaire d'Athènes, et n'attribuaient le surnom qu'il avait reçu qu'au long séjour qu'il avait fait dans la première de ces villes'. Ce qui paraît certain, c'est que ses parents furent païens, et qu'ils l'élevèrent dans la religion qu'ils professaient eux-mêmes. Toutefois, dès sa plus tendre jeunesse, il eut le bonheur de recevoir, dans les écoles savantes, une instruction solide et variée dans toutes les branches des connaissances grecques. Ses vastes études embrassèrent tout le domaine de la littérature, et l'on retrouve dans ses écrits des passages qui démontrent que les secrets des mystères grecs ne lui étaient pas non plus inconnus. Aussi tout ce que la philosophie de la Grèce était en état de lui offrir ne parvenait point à satisfaire son esprit, jusqu'à ce qu'enfin le Christianisme vint apaiser l'ardente soif de connaissances qui le dévorait'. A la vérité, on ne connaît pas au juste l'époque de sa conversion; mais il paraît qu'elle eut lieu de fort bonne heure. A compter de ce moment, il se livra à l'étude approfondie du Christianisme avec la même ardeur qu'il avait mise auparavant à celle de la littérature grecque. Il entreprit à cet effet de grands voyages dans l'Orient et dans l'Occident. Il raconte lui-même que dans l'Italie méridionale, dans la Grèce, la Syrie et la Palestine, il étudia sous les maitres et les évêques les plus distingués, dont quelques-uns étaient même les disciples des apôtres, pour s'instruire de la véritable tradition apostolique'. Mais celui qui remplit son

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Epiphan. hær., XXXII, 6. - Euseb. præ. evang. II, 3.

Strom., I, 1, p. 322. ̓Αλλ ̓ οἱ μεν την άληθη της μακαρίας σώζοντες διδασκαλίας παραδοσιν, εύθυς απο Πετρου τε και Ιακωβου, Ιωαννου τε και Παύλου, των άγιων αποστολων, παις παρα πατρὸς ἐκδεχομενος

attente plus qu'aucun autre, et dont il parle avec la reconnaissance la mieux sentie, ce fut à Alexandrie qu'il le trouva, et ce maître fut Pantænus. Il reconnut en lui l'idéal qu'il s'était formé d'un professeur chrétien ; il lui avoua son admiration sans bornes, et le décora du surnom de « l'abeille du siècle, »« parce qu'il cueillait, disait-il, les fleurs du champ prophétique et apostolique, et communiquait à l'esprit de >> ses auditeurs la véritable et pure connaissance qu'il en avait » extraite".»

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Sous une direction si excellente, Clément se forma peu à peu jusqu'à devenir un docteur admiré de l'Eglise, que les plus illustres Pères du siècle suivant s'honorèrent de prendre pour modèle. Il fut ordonné, on ne sait pas précisément en quelle année, prêtre de l'Eglise d'Alexandrie, et, l'an 189, l'évêque Démétrius le nomma successeur de Pantænus, à la présidence de l'école des catéchistes. C'est à dater de ce moment que commence, à proprement dire, l'époque de son éclat comme docteur et comme écrivain. Sa vaste érudition, sa connaissance des moindres détails de la littérature grecque, connaissance dans laquelle personne ne pouvait se comparer à lui; son éducation philosophique et son éloquence entraînante lui valurent le respect des païens mêmes ; ils l'accueillirent, ils fréquentèrent ses écoles, et la plupart en sortaient chrétiens. Le plus célèbre de ses élèves fut Origène et saint Alexandre, plus tard évêque de Jérusalem". Il mettait la plus grande prudence dans ses enseignements, afin d'attirer ceux qui étaient susceptibles de profiter de ses leçons et d'écarter les indignes, pour qui la connaissance des vérités eût été un couteau dans la main d'un enfant; il nous donne à ce sujet lui-même des détails, et nous en trouvons du reste la preuve dans ses ouvrages".

Clément occupait depuis plus de douze ans cette place à Alexandrie, lorsque, sous Septime Sévère, en 202, une nouvelle persécution éclata contre les chrétiens', et vint chercher

όλιγοι δε οι πατρασιν όμοιοι· ήκον δη ουν Θεῳ καὶ εἰς ἡμας τα προγονικά έκεινα και αποστολικα.

4 L. c.-5 Euseb., h. e., VI, 14, 6. 6 7 Euseb., h. e.,VI, 1, 3.

Strom., I, 1, p. 324.

des victimes jusque dans cette ville. La renommée de Clément et les fonctions qu'il remplissait durent nécessairement le désigner pour être au nombre des premiers. Comme il avait pour maxime de ne pas s'exposer volontairement au danger, il s'éloigna d'Alexandrie, mais nous ne savons pas précisément où il alla. Ce fut, selon toute apparence, à Flaviades en Cappadoce, dont un de ses anciens disciples, Alexandre, était évêque. Il y resta jusqu'à ce que cet ami eût été nommé, en 209, coadjuteur du vénérable Narcisse, évêque de Jérusalem, où Clément le suivit. Il ouvrit dans cette ville une école publique d'enseignement chrétien, édifia et confirma les fidèles, et étendit le domaine de l'Eglise par de nouvelles conversions. Nous en conservons un honorable témoignage dans une lettre de recommandation qu'Alexandre donna à Clément, en l'envoyant en l'an 211 à Antioche, pour asssister à l'élection d'un évêque. « Je vous adresse cette lettre, vénérable frère, est-il ⚫ dit dans cet écrit, par le pieux prêtre Clément, homme ver» tueux et digne de confiance, qui vous est déjà connu sous » certains rapports, et que vous apprendrez à mieux connaî» tre encore. Tant que les décrets et la providence de Dieu » ont permis qu'il habitât parmi nous, il a non-seulement af» fermi l'Eglise de Jésus-Christ, mais il l'a encore étendue.» C'est là tout ce que nous savons de la vie de cet homme remarquable, et qui exerça une si grande influence sur son siècle. Quant à ce qui lui est arrivé depuis ; quant au lieu et au temps de sa mort, nous l'ignorons complétement. Saint Jérôme ayant remarqué qu'il a fleuri sous Septime Sévère et sous son successeur Caracalla, il faut qu'il soit mort au plus tard en 217. Les premiers Pères, surtout ceux d'Orient, lui donnent le titre de saint, et le martyrologe d'Usuardus place sa fête au 4 décembre; mais depuis Benoît XIV il en a été retiré11.

Strom., IV, 4, p. 571; VII, 11, p. 871.

'Euseb., h. c. VI, 11. 10 Hieron. catal., c. 38.

Les motifs en sont développés dans une lettre servant d'introduction à la nouvelle édition du Martyrologe romain en 1751.

I. Ecrits.

C'est par Clément que s'ouvre la dernière période dont nous avons parlé, où la foi, qui jusqu'alors s'était tenue à l'écart de la science, l'attire vers elle, et, après lui avoir communiqué un essor plus élevé, la dirige vers le but qui lui est propre. Clément ne se montre pas seulement le précurseur significatif de cette direction chrétienne et scientifique, mais nous osons dire que c'est lui qui transmet à son siècle l'impulsion qu'il avait lui-même reçue directement de l'Eglise. Nous ne pouvons nous empêcher d'admirer le maintien assuré avec lequel il se présente comme écrivain et devance les siens sur cette route nouvellement frayée.

Ainsi que nous l'avons déjà remarqué, il règne dans ses écrits un plan facile à reconnaître. On remarque ce plan dans la Disciplina arcani, ouvrage par lequel il s'efforçait de prévenir la profanation et l'abus de la doctrine chrétienne. Cette précaution regardait les hérétiques autant que les païens, à qui il s'agissait de rendre le Christianisme et l'Eglise plus respectables, en les enveloppant de mystères et en les traitant avec une haute vénération.

Clément s'occupait principalement de la conversion des païens. De même que les juifs, les païens avaient une règle particulière d'après laquelle ils jugeaient les choses. Ce que les livres saints étaient aux Iraélites, la philosophie le devenait pour les païens bien élevés, et quiconque les approchait de ce côté, pouvait espérer de triompher de leur cœur et de leur conviction. Clément se proposait d'après cela, dans ses ouvrages, de démontrer l'harmonie qui existe entre le Christianisme et la vraie philosophie, et d'écarter par là toute objection que l'on pourrait faire contre lui sous ce rapport. Son immense érudition lui rendit à cet égard les plus grands services. Nous trouvons son projet développé dans trois ouvrages qui ensemble forment un tout.

Le premier a pour but de faire voir que le paganisme est contraire à la raison, le second contient des instructions pour mener une vie vertueuse, et le troisième enfin développe, après cette introduction, les mystères du Christianisme. Le

catéchuménat et l'initiation aux mystères chrétiens, offraient aux Grecs une grande ressemblance avec la méthode d'enseignement de Pythagore, et c'est par cela même que cette espèce d'éducation ecclésiastique devait avoir de grands charmes pour les païens''.

1° Le premier de ces ouvrages a pour titre λογος προτρεπτι xos (cohortatio ad gentes). C'est une exhortation aux Gentils pour les engager à adopter la croyance chrétienne. Son authenticité est incontestable et suffisamment attestée par l'histoire. Son but fait voir clairement qu'il a précédé les deux autres, et Photius en fait aussi la remarque; de sorte qu'il a dû être écrit et publié avant la fin du deuxième siècle, probablement entre les années 190 et 194. Le titre suffit pour en indiquer le contenu. Clément y prouve avec un grand luxe d'érudition que la religion païenne, ses oracles et l'histoire de ses dieux, sont autant d'inventions et de supercheries. Dans un exorde plein de grâce, il dit : « D'après une ancienne » tradition, Amphion le Thébain et Arion de Méthymne se » sont distingués par une si grande puissance de chant, que » celui-ci attirait les poissons par ses accords, et que celui-là >> entoura sa patrie de remparts, tandis qu'Orphée apprivoi» sait les bêtes féroces par sa voix mélodieuse. Mais renvoyons » à l'Hélicon et au Cythéron, ces récits des poëtes avec tout » ce qui s'y rattache et toute la troupe des dieux, et prêtons » l'oreille à mon chantre car c'est lui qui a apprivoisé les » bêtes les plus féroces de toutes, les hommes, et les hommes » de toutes les espèces; ceux qui ont des ailes, c'est-à-dire » les hommes frivoles et légers; les reptiles, c'est-à-dire les » fourbes; les lions, c'est-à-dire les furieux; les cochons » c'est-à-dire les voluptueux; les loups, c'est-à-dire ceux qui vivent de rapines; il n'y a pas jusqu'aux bois et aux pier»res, c'est-à-dire aux hommes d'un esprit altier, auxquels il » n'ait su imprimer le mouvement. Mais un homme enseveli » dans l'ignorance est encore plus insensible qu'une pierre.

* Strom., VII, 4, p. 845. Επει και προ της των μυστηρίων παραδόσεως, καθαρμούς τινας προςάγειν τοις μυεισθαι μελλουσιν ἀξιουσιν· ὡς δεον την άθεον ἀποθεμενους δόξαν έπι την άληθη τρέπεσθαι παραδοσιν.

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