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s'étoit répandue sans la participation de M. l'abbé : et le récit, que m'ont fait des personnes très-sincères, de tout ce qui s'est passé, m'a convaincu que l'impression étoit inévitable.

Une chose qui s'est faite sans dessein, et par un accident qui ne pouvoit être ni prévu ni empêché, n'a pas dû offenser un homme aussi équitable que vous, et aussi solidement chrétien.

Et en effet, votre écrit, plein de sentimens charitables, ne montre en vous, Monsieur, aucune aigreur; mais il me semble seulement que vous croyez trop que M. l'abbé a tort.

Ce que je viens de dire en toute sincérité, et avec une certaine connoissance, vous doit persuader qu'il n'en a aucun. Et pour moi, je crois, Monsieur, que Dieu a permis la publication de cet écrit; afin que l'Eglise fût édifiée par un discours où toute la sainteté, toute la vigueur et toute la sévérité de l'ancienne discipline monastique est ramassée.

J'ai lu et relu cette sainte lettre; et toutes les fois que je l'ai lue, il m'a semblé, Monsieur, que je voyois revivre en nos jours l'esprit de ces anciens moines, dont le monde n'étoit pas digne; et cette prudence céleste des anciens abbés, ennemie de la prudence de la chair, qui traite par et avec une méthode si sûre, les maux de la nature des principes, humaine.

Laissez donc courir cette lettre, puisque Dieu a permis qu'elle vît le jour. Il arrivera, sans doute, qu'elle donnera occasion de blâmer et vous et M. l'abbé de la Trappe; vous, qu'on verra accusé par un si saint homme; et lui, pour avoir accusé si sévè

rement un ami, dont le nom est grand parmi les gens de piété et de savoir.

Mais si vous demeurez tous deux en repos, et que vous, Monsieur, en particulier, qui êtes ici l'attaqué, méprisiez les discours des hommes, en l'honneur de celui qui, étant la sagesse même, n'a pas dédaigné d'être l'objet de leur moquerie, ces blâmes se tourneront en louanges et en édification, et même bientôt.

Ainsi, loin d'être d'avis que la Dissertation soit imprimée, je ne puis assez louer la résolution où vous êtes de communiquer vos réflexions à très-peu de personnes; et je me sens fort obligé de ce que vous avez voulu que je fusse de ce nombre.

Les réflexions, Monsieur, toutes modestes qu'elles sont, sont tournées d'une manière à vouloir qu'on donne un grand tort à M. l'abbé de la Trappe, et un tort certainement qu'il n'a pas ; puisqu'il n'a aucune part aux copies qui ont couru de sa lettre en manuscrit, ni à l'impression qui s'en est faite."

Pour ce qui est de la Dissertation, de quelque part qu'elle fût imprimée, soit de la sienne, soit de la vôtre, elle ne peut plus servir qu'à montrer un esprit de contestation, parmi des personnes qui ont la paix et la charité dans le fond du cœur.

Pardonnez-moi, Monsieur, la liberté que je prends de vous dire mes pensées : je vous assure que je le fais sans aucune partialité, et dans le dessein de servir également les uns et les autres. Quand vous ne direz mot, votre humilité et votre silence parleront pour vous, et devant Dieu et devant les hommes.

Permettez-moi encore un mot sur ce que vous dites des prosternemens pour fautes légères. J'avoue

qu'étant employés sans discrétion, ils font plus de mal que de bien, et font recevoir indifféremment les pénitences; mais étant ordonnés à propos, ils humilient les superbes, et les font rentrer en euxmêmes: et je ne crois pas que ce soit un doute, qu'ils puissent être utilement employés pour les fautes les plus légères; puisque même, comme vous savez beaucoup mieux que moi, il n'y en a point de légères à qui a sérieusement pensé de quel fond elles viennent toutes, à quoi elles portent, et à qui elles déplaisent.

Au reste, en finissant cette lettre, je ne puis m'empêcher de vous témoigner combien je désire de vous connoître autrement que par vos ouvrages. Votre esprit que j'y ai connu, et la bonté que vous avez eue de m'en faire toujours des présens, m'ont attaché particulièrement à votre personne. Excusez si, pour vous sauver la peine que vous donneroit ma méchante écriture, je n'ai pas écrit de ma main. Je suis avec tout le respect et l'attachement possible, etc. A Versailles, ce 10 août 1677.

EXTRAIT D'UNE LETTRE

DU MARECHAL DE BELLEFONDS A BOSSUET. Sur les disputes du temps (1).

DANS la vérité, je ne saurois avoir la complaisance de blâmer beaucoup de gens qui, je crois, ne le mé

(1) Nous n'avons que cet extrait de la lettre de M. de Bellefonds, qui s'est trouvé dans le recueil des lettres que Bossuet lui a écrites.

ritent pas. Cependant je ne me mêle point de justifier personne sur la doctrine: mais l'on ne peut souffrir que je témoigne de la joie que les quatre évêques (1) soient bien avec Sa Sainteté; et que des hommes, qui donnent de si grands exemples dans la morale et dans la discipline, soient purgés du soupçon

d'une méchante doctrine.

Personne n'a connoissance de ce que je vous écris, et peu de gens l'auront à l'avenir car j'ose vous assurer que si je n'étois pas d'un certain rang où je dois une espèce d'exemple, je serois très-content d'être humilié et scandalisé, afin de garder un silence où je trouverois beaucoup plus de sûreté. Je vous demande réponse et l'honneur de vos bonnes grâces.

LETTRE LII.

AU MARECHAL DE BELLefonds.

Il lui donne plusieurs avis relatifs aux disputes présentes, et lui fait connoître ses sentimens sur les contestations qui agitoient l'Eglise.

Je réponds, suivant que vous le souhaitez, à la suite de votre lettre, que j'ai reçue aujourd'hui. Si le Confesseur, qui vous oblige à ne point parler des cinq propositions sans ajouter qu'elles sont dans Jansenius, prétend vous empêcher seulement de dire qu'elles n'y sont pas, il a raison. Car vous ne devez

(1) Les évêques d'Alet, Nicolas Pavillon; de Pamiers, François de Caulet; de Beauvais, Nicolas Choart de Buzenval; d'Angers, Henri Arnauld.

pas dire qu'elles n'y sont pas; puisque même ceux qui l'ont soutenu, ont reconnu que, par respect pour le jugement ecclésiastique, qui déclare qu'elles y sont, ils étoient tenus au silence. Par la même raison, il ne faut rien dire qui tende à faire voir qu'on doute si elles y sont, ou que le jugement du saint Siége, qui déclare qu'elles y sont, soit équitable; car ce seroit manquer au respect qui est dû à ce jugement, l'attaquer indirectement, et scandaliser ses frères.

Que si ce pieux religieux prétend que jamais vous n'osiez nommer les cinq Propositions, en disant, par exemple, qu'elles ont fait grand bruit dans l'Eglise, et autres choses historiques et indifférentes, sans ajouter aussitôt qu'elles sont dans Jansénius, il vous impose un joug que l'Eglise n'impose pas, puisqu'il n'y a rien, dans ses jugemens, qui oblige les laïques à se déclarer positivement sur cette matière. On n'a rien à vous demander, quand vous ne direz jamais rien contre le jugement qui décide la question de fait; et que dans l'occasion, vous direz que vous vous rapportez, sur tout cela, à ce que l'Eglise ordonne à ses enfans. Vous avez donc bien fait de ne vous engager pas à davantage : car la sincérité ne permet pas de donner des paroles en l'air, surtout dans un sacrement; et il est contre la prudence et contre la liberté chrétienne, de se laisser charger, sans nécessité, d'un nouveau fardeau qui pourroit causer des scrupules. Du reste, vous auriez tort de blâmer des évêques (1) qui sont dans la communion du saint Siége, et dont la vie est non-seulement (1) Les quatre évêques.

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