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» pas d'espérance (1) » ; et il explique, par ce peu de mots, tout ce qui se peut dire sur ce sujet-là. Car il est aisé de remarquer qu'il ne veut pas entièrement supprimer les larmes ; il ne dit point: Ne vous affligez pas; mais, Ne vous affligez pas comme les Gentils qui n'ont pas d'espérance; et c'est de même que s'il nous disoit : Je ne vous défends pas de pleurer; mais ne pleurez pas comme ceux qui croient que la mort leur enlève tout, et que l'ame se perd avec le corps affligez-vous avec retenue, comme vous faites pour vos amis qui vont en voyage, et que vous ne perdez que pour un temps. De là, Madame, nous devons entendre que la foi nous oblige de bien espérer de ceux qui meurent dans l'Eglise et dans la communion de ses sacremens; et qu'encore qu'il soit impossible d'avoir une certitude entière en ce monde, il y a tant de fortes raisons de les croire en bon état, que le doute qui nous en reste ne nous doit pas extrêmement affliger. Autrement l'apôtre saint Paul, au lieu de consoler les fidèles, auroit redoublé leur douleur. Car s'il n'avoit dessein de nous obliger à faire que notre espérance l'emportât de beaucoup par-dessus la crainte, n'est-il pas véritable, Madame, que ce grand homme ne devoit pas dire: Ne vous affligez pas comme les Gentils; mais plutôt, Affligezvous plus que les Gentils, et ne vous consolez pas comme eux? Il leur est aisé de se consoler; puisqu'ils croient que les morts ne sont plus en état de souffrir. Mais à vous il n'en est pas de la sorte; puisque la vérité vous a appris qu'il y a un lieu de tour

(1. Thess. IV, 12.

mens, à comparaison desquels tous ceux de cette vie ne sont qu'un songe.

:

Il est bien certain, Madame, qu'à prendre les choses de cette sorte, les Chrétiens ayant beaucoup plus à craindre, doivent être par conséquent plus sensibles à la mort des leurs néanmoins il est remarquable que saint Paul ne les reprend pas de ce qu'ils se consolent; mais il les reprend de ce qu'ils s'affligent comme les Gentils, qui n'ont pas d'espérance et nous pouvons assurer, sans doute, qu'il n'auroit jamais parlé de la sorte, s'il n'eût vu dans la vérité éternelle, dont son esprit étoit éclairé, qu'il y a sans comparaison plus de sujet de bien espérer, qu'il n'y a de raison de craindre.

C'est ce que saint Paul veut que nous pratiquions pour les morts mais il ne faut pas abuser de cette doctrine, ni, sous le prétexte de cette espérance qu'il nous ordonne d'avoir pour eux, flatter la confiance folle et téméraire de quelques Chrétiens malvivans. Voyons donc, s'il vous plaît, Madame, quels sont ces bienheureux morts qui laissent tant d'espérance à ceux qui survivent. Ce sont, sans doute, ceux qui meurent avec les marques de leur espérance; c'est-à-dire, dans la participation des saints sacremens, et qui rendent les derniers soupirs entre les bras de l'Eglise, ou plutôt entre les bras de Jésus-Christ même, en recevant son corps adorable. De tels morts, Madame, ne sont pas à plaindre; c'est leur faire injure que de les appeler morts; puisqu'on les voit sortir de ce monde au milieu de ces remèdes sacrés, qui contiennent une semence de

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vie éternelle. Le sang de Jésus-Christ ayant abondamment coulé sur leurs ames par ces sources fécondes des sacremens, ils peuvent hardiment soutenir l'aspect de leur juge, qui, tout rigoureux qu'il est aux pécheurs, ne trouve rien à condamner où il voit les traces du sang de son fils.

C'est à ceux qui ont perdu de tels morts, que saint Augustin, en suivant l'apôtre, permet véritablement de s'affliger; mais d'une douleur qui puisse être aisément guérie: il leur permet de verser des pleurs, mais qui soient bientôt essuyés par la foi et par l'espérance (1). Et il me semble que c'est à vous que ces paroles sont adressées : car souffrez que je rappelle en votre mémoire de quelle sorte notre illustre mort a participé aux saints sacremens. A-t-il été de ceux à qui il les faut faire recevoir par force, qui s'imaginent hâter leur mort quand ils pensent à leur confession, qui attendent à se reconnoître quand ils perdent la connoissance? Il a été lui-même au-devant; il s'est préparé à la mort avant le commencement de sa maladie. Il n'a pas imité ces lâches Chrétiens qui attendent que les médecins les aient condamnés, pour se faire absoudre par les prêtres; et qui méprisent si fort leur ame, qu'ils ne pensent à la sauver que lorsque le corps est désespéré : bien loin d'attendre la condamnation, il a prévenu même la menace, et sa confession générale a été non-seulement devant le danger, mais encore devant le mal.

Ce n'est pas à moi de vous dire ce que peuvent les (1) Serm. CLXXII, n. 3; tom. v, col. 828.

les

sacremens reçus de la sorte; toute l'Eglise vous le dit assez et saint Augustin, qui tremble pour pécheurs qui attendent à se convertir à l'extrémité de la vie, ne craint pas de nous assurer de la réconciliation de ceux qui se préparent à la recevoir pendant la santé (1). Rendons grâces à Dieu, Madame, de ce qu'il a inspiré cette pensée à feu M. le M., de ce que depuis tant d'années il l'avertissoit si souvent par les maladies dont il le frappoit; et que non-seulement il l'avertissoit, mais qu'il lui faisoit sentir dans le cœur ces salutaires avertisse

mens.

Mais pourrions-nous oublier ici la manière dont il l'a ôté de ce monde, et ce jugement si net et si tranquille qu'il lui a laissé jusqu'à la mort, afin qu'il n'y eût pas un moment qu'il ne pût faire profiter pour l'éternité? C'est, Madame, la fin d'un prédestiné. Il voyoit la mort s'avancer à lui; il la sentoit venir pas à pas; il a communié dans cette créance il a repassé ses ans écoulés, comme un homme qui se préparoit à paroître devant son juge de ses actions: il a reconnu pour y rendre compte ses péchés; et quand on lui a demandé s'il n'imploroit pas la miséricorde divine pour en obtenir le pardon, ce oui salutaire qu'il a répondu né lui a pas été arraché à force de lui crier aux oreilles ; c'est lui-même, de son plein gré, qui, d'un sens rassis et d'un cœur humilié devant Dieu, lui confessant ses iniquités, lui en a demandé pardon par mérite du sang de son Fils, dont il a adoré la vertu présente dans l'usage de ses sacremens. Tout cela ne

(1) Serm. CCCXCII; tom. v, col. 1507.

le

vous dit-il pas qu'il est de ces morts mille fois heureux qui meurent en notre Seigneur; et qu'étant sorti avec ses livrées, le nom de Jésus-Christ à la bouche; le Père le reconnoissant à ces belles marques pour l'une des brebis de son Fils, l'aura jugé à son tribunal selon ses grandes miséricordes ?

Je ne vous parle ici, Madame, que de ce qu'il a fait en mourant: mais si je voulois vous représenter les bonnes actions de sa vie, desquelles j'ai été le témoin, quand aurois-je achevé cette lettre? Trouvez bon seulement que je vous fasse ressouvenir de sa tendresse paternelle pour les pauvres peuples; c'est le plus bet cadroit de sa vie, et que les vrais chrétiens estimeront plus que la gloire de tant de victoires qu'il a remportées. Nous lisons dans la sainte Ecriture une chose remarquable de Néhémias. Ge grand homme étant envoyé pour régir le peuple de Dieu en Jérusalem, il nous a raconté lui-même, dans l'histoire qu'il a composée de son gouvernement, qu'il n'avoit point foulé le peuple comme les autres gouverneurs, (ce sont les propres mots dont il se sert,) qu'il s'étoit même relâché de ce qui lui étoit dû légitimement; qu'il n'avoit jamais épargné ses soins; et qu'il avoit employé son autorité à faire vivre le peuple en repos, à faire fleurir la religion, à faire régner la justice (1); après quoi il ajoute ces paroles : «< Seigneur, souvenez-vous de » moi en bien, selon le bien que j'ai fait à ce peu» ple (2) ». C'est qu'il savoit, Madame, que, de toutes les bonnes œuvres qui montent devant la face de Dieu, il n'y en a point qui lui plaisent plus (1) II. Esdr. v. 15. — (2) Ibid. 19.

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