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LETTRE X.

AU MÊME.

Il le console dans sa disgrâce, et lui donne différens avis pour l'aider à la porter avec courage.

J'AI fait de fréquentes et sérieuses réflexions sur les conduites de Dieu sur vous: elles sont profondes, et bien éloignées des pensées des hommes. J'ai fort considéré par quelles voies il vous avoit préparé de loin, et ensuite de plus près, à ce qui vous est arrivé. Enfin vous voyez sa main bien marquée : que restet-il autre chose que d'abandonner à sa bonté et vous et votre famille? Je loue la résolution où vous êtes d'attendre en patience ce que la patience disposera pour vous dégager avec vos créanciers. Vous avez pris les voies droites, malgré toute la prudence humaine qui s'y opposoit : la chose a tourné autrement; et vous voilà en état de ne pouvoir presque plus rien faire. Vous êtes donc, par nécessité, dans une aveugle dépendance des ordres de Dieu vous ne pouvez répondre à ses desseins qu'en vous abandonnant à lui seul. Confiez-vous à lui, Monsieur ; et voyez que tout est à vous, pourvu que vous marchiez avec foi et avec confiance. Dieu vous fait des grâces infinies, de vous donner les sentimens qu'il vous donne.

Nous parlerons à fond, M. de Troisville (1) et

(1) Henri-Joseph de Peyre, comte de Troisville, qu'on prononce Tréville, mort à Paris le 13 août 1708.

moi, sur votre sujet ; et je vous ferai savoir toutes mes pensées. Tout ira bien, Monsieur; car Dieu s'en mêle; et par des coups imprévus, il veut renverser en vous tous les restes de l'esprit du monde, et vous arracher à vous-même. Voilà votre grand ouvrage et la seule chose nécessaire. Lisez l'Evangile, si vous me croyez; et écoutez Dieu en le lisant. Il vous parlera au fond du cœur; et une lumière secrète de son Saint-Esprit vous conduira dans toutes vos voies. Je ne cesserai de vous offrir à la divine bonté; et tout ce qui me viendra dans l'esprit pour vous, je le recueillerai avec soin pour vous. Ne m'oubliez pas devant Dieu; et marchons ensemble en foi et en confiance daus la voie de l'éternité, chacun suivant la route qui lui est ouverte.

J'ai fait vos complimens à M. de Montausier, qui les a reçus comme il devoit, et qui est fort content de savoir que vous ayez reçu sa lettre.

A Saint-Germain, ce 1er juin 1672.

LETTRE XI.

AU MÊME.

Il l'entretient des grâces que Dieu lui a faites, et lui montre la vanité et le péril de la gloire du monde.

Les miséricordes que Dieu vous fait sont inexplicables. Il vous apprend qu'il est le souverain et le fort qui renverse tout, et le sage à qui cèdent tous les conseils mais en même temps sa miséricorde et sa bonté se déclarent par-dessus tous ses autres ou

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vrages, comme disoit le Psalmiste: Miserationes ejus super omnia opera ejus (1). Il vous a élevé aux yeux du monde : il vous a porté par terre; il vous soutient par les sentimens qu'il vous inspire. Un esprit de justice, qui venoit de sa grâce, vous avoit fait rompre avec le monde : il s'est alors contenté du sacrifice volontaire; il n'a pas voulu l'effet par cette voie. Il falloit que votre dignité vous abattît, et qu'elle vous fît sentir que le monde est aussi amer dans ses dégoûts, qu'il est vain et trompeur dans ses présens.

Mais voyez quelles eaux de miséricorde ! Il semble que vous n'aviez besoin de ces amcrtumes pour pas vous dégoûter du monde, dont le goût étoit comme éteint dans votre cœur; mais Dieu n'a pas voulu qu'il pût revivre. Il vous a arraché aux occasions, qui font revenir ce goût du monde par l'endroit le plus sensible, c'est-à-dire, par la gloire. Quelle campagne voyons-nous? et combien est-on en danger d'être flatté, quand on a part à des choses aussi surprenantes que celles qu'on exécute? Et cependant il n'y a rien qui soit plus vain devant Dieu, ni plus criminel, que l'homme qui se glorifie de mettre les hommes sous ses pieds : il arrive souvent, dans de telles victoires, que la chute du victorieux est plus dangereuse que celle du vaincu.

Dieu châtie une orgueilleuse république, qui avoit mis une partie de sa liberté dans le mépris de la religion et de l'Eglise. Fasse sa bonté suprême que sa chute l'humilie. Fasse cette même bonté que la

(3) Ps. CXLIV. 9.

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tête ne tourne pas à ceux dont il se sert pour la châtier. Tous les présens du monde sont malins; et font d'autant plus de mal à l'homme, qu'ils lui donnent plus de plaisirs mais le plus dangereux de tous, c'est la gloire; et rien n'étourdit tant la voix de Dieu, qui parle au dedans, que le bruit des louanges, surtout lorsque ces louanges, ayant apparemment un sujet réel, font trouver de la vérité dans les flatteries les plus excessives. O malheur ! ô malheur ! ô malheur ! Dieu veuille préserver d'un si grand mal notre maître et nos amis: priez pour eux tous dans la retraite où Dieu vous a mis.

Considérez ocux qui périssent, considérez ceux qui restent : tout vous instruit, tout vous parle. On parleroit de vous à présent par toute la terre; peutêtre en parleriez-vous vous-même à vous-même. Qu'il vaut bien mieux écouter Dieu en silence, et s'oublier soi-même en pensant à lui! Je souhaite que cet oubli aille jusqu'au point de vous reposer sur lui de toutes choses; et je le loue de la résolution qu'il vous donne, d'attendre en patience que sa volonté se déclare. Il le fera, sans doute; il préparera secrètement toutes choses pour vous dégager. Je l'en prie de tout mon cœur; et qu'il vous conduise, par les voies qu'il sait, à la sainte simplicité, qui seule est capable de lui plaire.

M. de Troisville m'a promis de venir passer ici quelques jours, avant que de vous aller voir. Vous ferez la plus grande partie de notre entretien : il sera ici plus solitaire qu'à l'Institution (1). Priez pour

(1) L'Institution des Pères de l'Oratoire où M. de Troisville s'étoit retiré.

moi, je vous en conjure, et croyez que je ne vous

oublie pas.

A Saint-Germain, ce 30 juin 1672.

LETTRE XII.

A M. DIROIS, DOCTEUR DE SORBONNE (1). Il lui marque les qualités que doit avoir la traduction du livre de l'Exposition, qu'on vouloit faire à Rome, en italien.

J'AI su, par M. le curé de Saint-Jacques-duHaut-Pas, ce que vous lui avez écrit touchant l'impression de mon livre (2), que monseigneur le cardinal Sigismond Chigi a dessein de faire faire à Rome, et je vous suis fort obligé des soins que vous offrez pour avancer cet ouvrage. Cela sera de très-grande conséquence pour les Huguenots de ce pays, qui n'ont presque point d'autre réponse à la bouche, sinon que Rome est fort éloignée des sentimens que j'expose. Ils ont une si mauvaise et si fausse idée de l'Eglise romaine et du saint Siége, qu'ils ne peuvent se persuader que la vérité y soit approuvée : rien par conséquent ne peut leur être plus utile, que de leur faire voir qu'elle y paroît avec toutes les marques de l'approbation publique.

J'accepte donc, Monsieur, les soins que vous m'offrez pour cette édition, à laquelle je me promets que vous vous appliquerez d'autant plus volontiers, qu'outre l'amitié que vous m'avez toujours

(1) Il étoit alors à Rome, à la suite de M. le cardinal d'Estrées, chargé des affaires du Roi en cette Cour.

(2) L'Exposition de la Doctrine catholique.

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