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PROPOSITION.

Qu'on peut dire que la satisfaction que Jésus-Christ fait par ses souffrances à la justice divine, supplée à la satisfaction que les damnés lui font pour leurs péchés.

LORSQUE deux personnes font satisfaction pour la même injure, et que la satisfaction de l'un, insuffisante par elle-même, devient très-suffisante jointe à la satisfaction de l'autre, il est vrai de dire que la satisfaction de l'un supplée à celle de l'autre. Or Jésus-Christ et les damnés font par leurs souffrances, quoique bien différemment, satisfaction à la justice divine pour les péchés des damnés; et la satisfaction des damnés, d'elle-même insuffisante, devient trèssuffisante jointe à la satisfaction de Jésus-Christ. Il est donc vrai de dire que la satisfaction que JésusChrist fait par ses souffrances à la justice divine supplée à la satisfaction que les damnés lui font pour leurs péchés.

Cette proposition raisonnée ayant été envoyée par son auteur à M. de Meaux, ce prélat lui répondit par les observations suivantes.

OBSERVATIONS

DE M. L'ÉVÊQUE DE MEAUX,

SUR LA PROPOSITION RAISONNÉE.

La satisfaction de Jésus-Christ peut être considé rée quant à la suffisance du prix, quant à l'intention

de Jésus-Christ, quant à l'application. Quant à la suffisance, tout y est compris : quant à l'intention, elle n'a été que pour les hommes : quant à l'application, elle n'est que pour les justes.

pas;

A proprement parler, les damnés ne satisfont mais Dieu satisfait lui-même à sa justice en les punissant en toute rigueur. Je ne crois point que Jésus-Christ satisfasse pour les démons, ni que de sa satisfaction et de celle des damnés il s'en fasse une seule et même satisfaction. La satisfaction de Jésus-Christ est infinie, capable d'anéantir l'enfer et de sauver tous les damnés, si elle leur étoit appliquée. Il ne la faut donc pas regarder comme suppléant à celle des damnés; mais comme parfaite en tout point en elle-même.

Il semble pourtant que l'on veuille dire que la satisfaction de Jésus-Christ demande, pour être suffisante, d'être jointe à celle des damnés. Que si l'on veut dire que c'est la satisfaction des damnés qu'on regarde comme insuffisante, je réponds qu'on ne doit pas dire qu'elle devienne suffisante par la satisfaction de Jésus-Christ, puisqu'elle ne leur est pas appliquée. Les satisfactions que nous faisons à Dieu, insuffisantes par elles-mêmes, deviennent suffisantes avec celle de Jésus-Christ qui nous est appliquée. Ainsi la satisfaction de Jésus-Christ est le supplément de la nôtre mais je ne connois rien de semblable dans les damnés.

:

Je conclus donc premièrement qu'en prenant les damnés, y compris les diables, Jésus-Christ ne satisfait pas pour eux secondement, qu'en prenant lesdamnés pour les hommes, Jésus-Christ ne sup

plée pas à l'insuffisance de leur satisfaction par la sienne, qui ne leur est pas appliquée : troisièmement, qu'il ne faut point regarder les deux satisfactions dont on parle ici, comme n'en faisant qu'une seule parfaite; parce que celle de Jésus-Christ a sa perfection indépendamment de toute autre chose.

L'auteur ayant reçu ces observations, persuadé qu'elles ne touchoient que peu ou point le véritable sens de la proposition raisonnée, fait deux choses pour en soutenir la vérité. Premièrement, il commence par déclarer qu'il ne prend cette proposition dans aucun des mauvais sens que l'illustre prélat rejette. Secondement, la proposition étant ainsi dégagée, l'auteur entreprend de la démontrer géométriquement.

RÉPONSE

DE L'AUTEUR DE LA PROPOSITION.

Je commence par exclure les sens étrangers à la proposition.

Premièrement donc, Monseigneur, je conviens que Jésus-Christ n'a ni appliqué ses satisfactions aux damnés, ni eu intention qu'elles leur servissent. Secondement, je ne veux pas même contester ce que vous me dites, « qu'à proprement parler les dam» nés ne satisfont pas; mais que Dieu satisfait lui» même à sa justice en les punissant » : je ne parlerai de leur satisfaction qu'en ce sens-là. Troisièmement, par les damnés je n'entends point parler des démons, mais seulement des hommes. Quatrièmement, je ne prétends nullement que de la satisfaction de Jésus-Christ et de celle des damnés, il ne se

fasse qu'une seule et même satisfaction. Je les regarde comme de deux ordres différens et très-indépendantes l'une de l'autre. Cinquièmement, à Dieu ne plaise qu'en disant que la satisfaction de JésusChrist supplée à celle des damnés, je veuille la faire regarder comme imparfaite ou comme insuffisante .par elle-même; au contraire, je prétends que pour pouvoir ainsi suppléer, elle doit être infiniment parfaite.

Ce n'est, Monseigneur, qu'après avoir écarté tous ces mauvais sens, et en avoir dégagé notre proposition, que j'en entreprends la démonstration suivant les règles de la méthode géométrique. DÉMONSTRATION GÉOMÉTRIQUE.

DÉFINITION.

Par les termes d'ordre, de loi éternelle, de règle immuable, de justice, de source de toute justice, j'entends les rapports de perfection qui se trouvent entre les idées divines; c'est-à-dire, entre les premiers exemplaires ou les originaux de toutes choses, compris dans l'essence divine.

ÉCLAIRCISSEMENT.

Comme Dieu ne peut rien connoître que dans son essence, il faut que cette divine essence lui représente la diversité de tous les êtres : mais elle ne peut la lui représenter que par les diverses perfections qui ont rapport à ces divers êtres, et sur le modèle desquelles ils ont été ou peuvent être créés; et c'est pour cela que ces diverses perfections s'appellent du

nom d'idées, d'exemplaires ou d'originaux. Or, c'est le rapport invariable qui se trouve entre ces perfections, que j'appelle ordre essentiel, loi éternelle, règle immuable, justice, source de toute justice: Ordre essentiel, parce que ce rapport est le principe de la subordination de toutes choses: Loi éternelle, parce que Dieu s'aimant d'un amour nécessaire, et aimant par conséquent indispensablement tout ce que renferme sa divine essence à proportion des divers rapports de perfection; il est visible qu'il ne peut se dispenser de suivre dans sa conduite l'ordre de ces rapports, et qu'ainsi ils lui tiennent lieu de loi: Règle immuable, parce que c'est sur ce rapport que toutes choses doivent être réglées, la conduite de Dieu, et celle des esprits créés: Justice et source de toute justice, parce que c'est suivant ces rapports que chaque chose est mise à sa place, et traitée selon son mérite, et qu'on rend à chacun ce qui lui est dû; et parce qu'enfin c'est par la conformité des volontés avec ces rapports, c'est lorsqu'on estime et qu'on aime les choses à proportion de ce qu'elles sont estimables et aimables, que les esprits sont justes.

J'appelle péché, l'amour des choses sans égard à leurs divers rapports de perfection préférer les biens temporels aux éternels, la créature au Créateur: user des choses dont on devroit jouir, et jouir de celles dont on ne devroit qu'user: tout ce qui est contre l'ordre, contre la loi éternelle, contre la règle immuable; en un mot, un véritable désordre.

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