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de saint Paul (*). Il ne sert de rien de répondre que saint Paul parle en ce lieu en présupposant la satisfaction de Jésus-Christ (17): car je maintiens que c'est une chose digne de Dieu par elle-même, de donner sans avoir rien qui le provoque à donner (18); au contraire, ayant quelque chose qui le provoque à ne donner pas; parce que c'est en cela que paroît l'infinité de sa clémence. Et la preuve en est bien constante; en ce que, gratuitement, et sans être provoqué par aucun bien dans l'homme pécheur, il lui a donné Jésus-Christ (19). Or ce n'est (*) Rom. v. 20.

sauf les droits de la justice, sans violer ce qu'il doit à l'ordre de la justice, à la loi éternelle.

(17) Cela sert infiniment: car c'est ce qui fait voir que ce n'est qu'en Jésus-Christ et par Jésus-Christ que Dieu fait miséricorde, et qu'il sait allier la plus étroite justice avec l'extrême clémence.

(18) On conviendra de cela en général : mais de donner et de récompenser ce qui mérite punition, de laisser le crime et le désordre impuni, de laisser blesser, violer, renverser l'ordre de la justice, sans lui faire faire nulle satisfaction, lorsqu'on le peut; c'est une clémence malentendue, c'est une bonté de femmelette, c'est ce qui est absolument indigne de Dieu; c'est enfin ce qui lui est même absolument impossible, étant essentiellement juste comme il est, et aimant comme il fait invinciblement l'ordre Impunitum non potest esse peccatum, impunitum esse non decet, non oportet, non est justum, dit saint Augustin en plusieurs endroits (*).

(19) Dieu n'a donné Jésus-Christ aux hommes, qu'en se le donnant préalablement à lui-même et à sa justice : (*) In Ps. xliv, n. 18; in Ps. LVIII, n. 13; tom. iv, col. 39o, 565. Serm. xix, n. 2; Serm. xx, n. 2; tom. v, col. 101, 107.

pas

pas à cause de Jésus-Christ satisfaisant qu'il lui a donné Jésus-Christ satisfaisant : Dieu donc peut faire du bien, et le plus grand de tous les biens, au pécheur, sans y être invité par d'autres motifs que par celui de sa bonté (20).

le

De là je tire encore une autre preuve : c'est que même ordre, qui demande que le pécheur soit puni, demande aussi qu'il le soit en la personne du coupable (21): car c'est là ce qui s'appelle faire justice; c'est là ce qui s'appelle réparer le désordre du péché, que de le punir où il est, et dans celui qui l'a commis. Or Dieu se peut relâcher de la punition du pécheur en sa personne (22): donc l'ordre qui demande que le péché soit puni, n'est pas un ordre essentiel et indispensable.

Ce qu'on peut encore tourner d'une autre manière. Dieu peut se relâcher par sa bonté du droit qu'il a d'exiger la peine du péché du pécheur même, en acceptant volontairement pour lui la satisfaction d'un autre, comme il a fait celle de Jésus-Christ pour nous; et il pourroit à la rigueur n'accepter pas cette satisfaction étrangère, et exercer tout son

content de la satisfaction que son Fils lui fait, il le donne aux hommes pour leur être favorable, et comme une

hostie de propitiation.

(20) Voyez la quatorzième remarque.

(21) Ou de quelqu'un qui satisfasse pour lui.

(22) Pourvu qu'une victime plus digne de la grandeur et de la justice de Dieu, reçoive cette punition : et comme c'est ce que Jésus-Christ a fait, la conséquence est absolument nulle.

BOSSUET. XXXVII.

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droit sur la personne du coupable (23). Donc tout ce qu'on dit ici de l'ordre, ne se peut point entendre d'un ordre absolu et essentiel; et il est du genre des choses Dieu peut faire et ne faire pas, selon les diverses fins qu'il se sera proposées.

que

Sur la cinquième proposition : « La grandeur du » péché est infinie »; et sur la preuve qui en est tirée du second axiome, je l'admets avec la restriction que j'ai apportée à cet axiome.

Sur l'éclaircissement où il est dit que « le péché » est un néant infiniment opposé à Dieu, et que » l'homme, quoiqu'incapable de l'infini qui vient » de l'être, ne l'est pas de l'infini qui vient du » néant »; j'admets la distinction, en remarquant seulement que le péché est un néant à la vérité; mais un néant dans un sujet qui, lorsqu'il péche, a un objet et une manière d'y tendre: et nous verrons tantôt quelle conséquence on fire de cette vérité. Sur la sixième proposition : « Dieu ne peut pas se dispenser de punir le péché d'une peine infinie, » ou du moins selon la capacité de souffrir qui se » trouve dans le coupable » je dis que cette proposition, qui dépend nécessairement de la quatrième, ne subsiste plus après que la quatrième est elle-même détruite (24); et je dis encore que, tant

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(23) Il ne peut pas se dispenser de prendre l'un des deux partis : l'ordre l'exige, et cet ordre n'est nullement arbitraire et ainsi la conséquence qui suit est encore parfaitement nulle.

(24) Comme la quatrième proposition n'a pas souffert le moindre petit effort, ainsi qu'il paroît par les remar

la quatrième proposition que celle-ci, en prenant comme l'on fait dans toutes les deux la peine du péché pour la souffrance, enferme une contradiction manifeste dans l'alternative qu'on met, en disant que << Dieu doit punir le péché ou infiniment, ou » du moins selon toute la capacité du sujet » : car ou le principe ne conclut rien, ou il conclut absolument pour l'infinité sans l'alternative (25). On n'a osé dire néanmoins que Dieu doit punir le péché infiniment (26), parce qu'on sait que le pécheur n'est pas capable d'une souffrance infinie, et que la justice ne permet pas qu'on lui demande plus qu'il ne peut avoir. Il a donc fallu apporter l'alternative (27), de le punir du moins selon toute sa capacité. Mais cette alternative n'est pas moins impossible que l'autre (28);

ques précédentes, il est aisé de juger que la sixième ne se porte pas mal; puisqu'elle dépend de la quatrième.

(25) Le principe, par lui-même, et considéré en général, conclut pour l'infinité : mais comme l'application ne peut s'en faire que sur une créature en particulier, et que toute créature est finie, il conclut nécessairement pour toute la souffrance dont la créature est capable.

(26) C'est une retenue bien forcée que celle-là, et dont l'auteur ne se fait guère d'honneur. Il faudroit être bien extravagant pour oser dire qu'il y a dix mille écus dans une bourse, où l'on sait qu'il n'y en a pas mille.

(27) Assurément cette nécessité n'a rien eu de fâcheux pour l'auteur.

(28) On ne sait pas de quelle autre alternative on veut parler en cet endroit (*).

(*) Bossuet vent parler d'une peine du péché actuellement infinie, dont il s'agit dans le premier membre de la sixième proposition qu'il réfute,

puisque Dieu ne pouvant jamais épuiser sa puissance, il peut toujours faire souffrir le pécheur de plus en plus jusqu'à l'infini (29). Donc il n'est pas possible qu'il le punisse selon toute sa capacité : et ainsi cette alternative est autant impossible que la première, et l'on retombe dans l'absurdité l'on que avoit voulu éviter.

Sur la septième proposition : « Le péché n'est puni dans les hommes damnés, ni infiniment, ni » selon toute la capacité qu'ils ont de souffrir ». L'auteur tombe ici dans une erreur manifeste (30), faute d'avoir pris garde que la difformité du péché se tire de deux endroits : l'une du côté de Dieu, dont elle nous prive; l'autre du côté de son objet, qu'on appelle spécificatif, et de la manière de s'y

(29) Si ce n'est pas là une contradiction, on n'entend rien à tout ceci. On vient de dire que la capacité du pécheur est finie, qu'il ne peut pas souffrir à l'infini; et l'on ajoute ici que « Dieu le peut faire souffrir jusqu'à » l'infini » : pouvoir souffrir à l'infini et ne pouvoir souffrir à l'infini, rien peut-il se contredire plus formellement (*). Il faut donc dire que quoique la puissance de Dieu soit infinie, elle se trouve quelquefois bornée dans ses effets, par les limites du sujet sur lequel elle agit. En voilà assez pour juger de la justesse des deux conséquences qui suivent ici, dont la première fait encore une évidente contradiction avec ce qui a été dit de la capacité finie du pécheur.

(30) Cela effraie d'abord; mais il faut suspendre son jugement.

(*) Bossuet n'a pas dit que le pécheur ne peut souffrir à l'infini; mais qu'il n'est pas capable d'une souffrance actuellement infinie; ce qui est bien différent.

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