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porter (31). C'est dans le premier égard qu'il est infini; et à cet égard aussi il est puni infiniment : car l'auteur a mis l'infinité du péché dans son infini néant. Le pécheur sera donc de ce côté puni infiniment, si on le laisse dans ce néant infini, et qu'on le prive éternellement et nécessairement de Dieu, dont il s'est privé volontairement. Mais du côté de l'objet spécificatif, et de la manière de s'y porter, il n'est point vrai que le péché ait une difformité infinie; autrement tous les péchés seroient égaux (32) : et il n'est point vrai par conséquent que Dieu le doive punir infiniment à cet égard; autrement Dieu seroit injuste, en punissant les péchés également : d'où il s'ensuit encore que l'auteur se trompe, en disant que Dieu doit punir le péché par une souffrance infinie, ou du moins par une souffrance qui

(31) On se rassure en cet endroit : car enfin toute l'erreur ne seroit donc que de n'avoir pas pris garde à cet objet spécificatif; erreur qui assurément ne seroit pas contre la foi. Mais d'où sait-on qu'il n'y a pas pris garde? C'est qu'il n'a parlé que de l'énormité qui se tire de la dignité de la personne. Quelle conséquence! Si cette seule énormité lui suffisoit, a-t-il dû parler d'une seconde? si de cette seule difformité, il pouvoit inférer la nécessité d'une peine infinic, a-t-il été obligé d'en chercher encore une seconde? Mais enfin qu'on en cherche tant qu'on voudra, plus l'on en trouvera, plus le péché méritera d'être puni; et par conséquent plus l'auteur aura ce qu'il prétend.

(32) On ne voit pas la raison de cette conséquence; car entre deux infinis il peut y avoir une fort grande inégalité. Entre une infinité d'hommes et l'infinité des cheveux de ces hommes, il y a une extrême différence.

égale la capacité du sujet : car l'infinité du péché, comme néant, est suffisamment punie par la perte du bien infini qui est Dieu et pour ce qui est de l'autre partie de son énormité, ni on ne la doit punir par une peine infinie, puisque en ce sens elle n'a point d'infinité; ni on ne la doit punir selon la capacité, mais selon l'indignité du sujet.

A la forme, je réponds donc que du côté que le péché est infini, il est aussi puni infiniment (35); et du côté qu'il est fini, il est vrai qu'il n'est pas puni infiniment, ni même selon toute la capacité du sujet; parce qu'il ne le doit pas être, et que ce n'est pas la capacité, mais l'indignité du sujet qui est la règle de la peine.

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Je tourne ma réponse en démonstration contre l'auteur, en cette sorte Celui qui peut punir le péché dans le pécheur même, selon tout ce qu'il a de malice, en peut tirer une parfaite satisfaction or est-il que Dieu peut punir le péché dans le pécheur même selon tout ce qu'il a de malice, en le punissant du côté qu'il est infini, par la soustraction du bien infini qui est lui-même; et du côté qu'il est fini, par divers degrés de souffrances proportionnées

(33) Si du côté que le péché est infini il est puni infiniment, pourquoi l'auteur, qui le regarde principalement de ce côté-là, se trompe-t-il, en disant que Dieu doit punir le péché par une souffrance infinie? Est-ce que Dieu punit le péché plus qu'il ne doit ? Il est malaisé de sauver ceci de contradiction; à moins qu'on ne prétende qu'être puni infiniment, c'est ne rien souffrir. Ce seroit certes une étrange punition.

aux divers péchés (34), selon les règles que Dieu sait: par conséquent il peut tirer du pécheur même une

(34) Je me doutois bien qu'on regardoit ce qu'on appelle ici punition infinie, c'est-à-dire, la soustraction du bien infini qui est Dieu même, comme n'étant ni douloureuse ni pénible: cela paroît assez de ce qu'on l'oppose aux souffrances. C'est l'idée vulgaire que les hommes grossiers se forment de l'enfer : ils regardent le feu matériel comme terrible, et la privation de Dieu comme un rien; ou du moins, comme quelque chose qui ne leur sera pas fort incommode, ne se trouvant pas fort incommodés d'être privés de Dieu dans cette vie au milieu de leurs désordres. De sorte que si avec cela on vient à regarder le feu de l'enfer comme fabuleux, ainsi que font quelques prétendus esprits forts, la privation de Dieu n'ayant rien de pénible, tout l'enfer ne passera plus que comme un vain fantôme, dont il n'y a que les enfans qui se laissent effrayer. Mais en vérité, il seroit bien étrange qu'un prélat infiniment éclairé ne regardât pas la privation de Dieu comme la dernière de toutes les souffrances; qu'il ne la regardât que comme une pure privation de plaisir, et non pas comme causant une insupportable douleur. Quoi, l'absence et la privation d'une misérable créature sera quelquefois si pénible et si douloureuse à un homme, qu'il en séchera sur les pieds; et la privation du bien infini, qui est Dieu, n'aura rien de pareil? Que les saints ont eu bien d'autres sentimens de cette privation de Dieu! Sainte Catherine de Gênes, si éclairée sur l'état des ames après la mort, ne regarde les feux terribles de l'enfer et du purgatoire, que comme un rafraîchissement, que comme un pur rien, en comparaison de ces amertumes insupportables, de ces douleurs cuisantes, de ces flammes intérieures et dévorantes, dont l'ame des pécheurs est pénétrée et tourmentée par la seule privation de Dieu.

Et il ne faut pas s'imaginer que ces peines, qui re

entière et parfaite satisfaction. Donc le recours à la satisfaction de Jésus-Christ n'est pas nécessaire, et toute la machine est en pièces.

viennent de la privation de Dieu, soient égales dans tous les damnés. Il est vrai que la privation est égale; mais la peine de la přivation est plus ou moins grande, à proportion des divers degrés d'éloignement de Dieu, renfermés dans le péché. Et c'est apparemment à quoi l'illustre prélat ne prend pas garde, lorsqu'il m'objecte si souvent que si l'énormité du péché se mesuroit par la dignité de la personne offensée, tous les péchés seroient égaux (*).

Mais enfin, pour trancher en deux mots toute cette contestation, je me sers d'un dilemme que je puis opposer comme une démonstration à la prétendue démonstration de l'illustre prélat.

Ou la privation de Dieu, dont on punit le pécheur, est pénible et douloureuse à ce pécheur, ou non si elle ne lui est pas douloureuse, quelle espèce de punition est celle qui ne cause nulle peine et nulle douleur? et quelle apparence que l'ordre puisse être satisfait, si un homme qui par son péché mérite une peine infinie, ne souffre nulle peine?

Mais, dira-t-on, s'il ne souffre nulle peine, du moins est-il privé d'un grand bien. D'accord; mais c'est un bien qu'il a si fort négligé, qu'il s'en est privé volontairement; c'est un bien dont il y a mille gens assez brutaux pour vouloir se passer pendant toute l'éternité, pourvu qu'ils puissent jouir des misérables créatures.

(*) Dom Lami, pour pouvoir raisonner à son aise, prête ici à Bossuet des sentimens bien opposés à ceux qu'il soutient; puisque plus la privation de Dieu sera une peine grande, douloureuse, insupportable, plus la justice de Dieu tirera du pécheur une satisfaction pleine et entière, sans avoir besoin de chercher un sup plément dans celle de Jésus-Christ.

Qu'ainsi ne soit, je le démontre ex concessis. L'auteur accorde, dans sa lettre, que sa proposition

Etrange punition, que celle qui ne consiste qu'à priver les hommes d'un bien qu'ils ont été assez brutaux pour mépriser, et dont ils se sont fait un plaisir de s'éloigner! Plaisante satisfaction, que celle qui n'offre et qui ne sacrifie que ce dont on a bien voulu se passer! Un homme ne seroit-il pas bien puni, qui, plein d'aversion pour son prince, après avoir refusé avec insulte sa bienveillance et ses faveurs, et s'être retiré de la Cour avec mépris, ne seroit châtié que par une lettre de cachet qui lui défendroit simplement de paroître jamais devant le Roi?

Mais, dira-t-on encore, cette privation de Dieu à une ame séparée du corps, lui sera bien autrement pénible et douloureuse qu'elle n'est en cette vie; et c'est en cela que consiste leur punition. Voilà donc où il en faut venir: il faut convenir que cette privation est pénible et douloureuse aux damnés, et qu'elle n'est même punition qu'autant qu'elle est pénible: car assurément, qu'on en dise ce qu'on voudra, une privation dont on ne ressent nulle peine, n'est pas une punition.

Cela donc supposé comme la première partie de notre dilemme, voici de quelle manière je raisonne.

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L'ordre demande que la punition soit proportionnée à l'énormité de l'offense or le péché est d'une énormité infinie du côté qu'il regarde Dieu, ainsi que le reconnoît l'illustre prélat donc l'ordre demande que la peine qui revient au pécheur, de la privation de Dieu, soit infinie. Mais le pécheur n'est pas capable d'une peine infinie, comme je le suppose : il ne sera donc jamais puni autant qu'il le mérite, ni selon toute l'énormité de son péché il ne peut donc par lui-même faire à Dieu une entière satisfaction: Dieu ne peut donc tirer une pleine satisfaction pour le péché, si Jésus-Christ ne s'en mêle : et par conséquent il est faux que le recours à la satisfac

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