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que saint Jean défend de rendre aimable, puisqu'il défend de l'aimer (1). Le grossier que vous en ôtez feroit horreur si on le montroit; et l'adresse de le cacher ne fait qu'y attirer les volontés d'une manière plus délicate, et qui n'en est que plus périlleuse lorsqu'elle paroît plus épurée.

Croyez-vous, en vérité, que la subtile contagion d'un mal dangereux demande toujours un objet grossier, ou que la flamme secrète d'un cœur trop disposé à aimer, en quelque manière que ce puisse être, soit corrigée ou ralentie par l'idée du mariage, que vous lui mettez devant les yeux dans vos héros et vos héroïnes amoureuses? Vous vous trompez. Il ne faudroit point nous réduire à la nécessité d'expliquer ces choses, auxquelles il seroit bon de ne penser pas. Mais puisqu'on croit tout sauver par l'honnêteté nuptiale, il faut dire qu'elle est inutile en cette occasion. La passion ne saisit que son propre objet : la sensualité est seule excitée; et s'il ne falloit que le saint nom du mariage pour mettre à couvert les démonstrations de l'amour conjugal, Isaac et Rebecca n'auroient pas caché leurs jeux innocens, et les témoignages mutuels de leurs pudiques tendresses (2). C'est pour vous dire que le licite, loin d'empêcher l'illicite de se soulever, le provoque en un mot, ce qui vient par réflexion n'éteint pas ce que l'instinct produit ; et vous pouvez dire à coup sûr de tout ce qui excite le sensible dans les comédies les plus honnêtes, qu'il attaque secrètement la pudeur. Que ce soit ou de plus loin ou de plus près, il n'importe : c'est toujours là que (1) 1. Joan. 11. 15, 16.. (a) Gen. xxvI. 8.

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l'on tend, par la pente du cœur humain à la corruption. On commence par se livrer aux impressions de l'amour : le remède des réflexions ou du mariage vient trop tard : déjà le foible du cœur est attaqué, s'il n'est vaincu; et l'union conjugale, trop grave et trop sérieuse pour passionner un spectateur, qui ne cherche que le plaisir, n'est que par façon et pour la forme dans la comédie.

Je dirai plus, quand il s'agit de remuer le sensible, le licite tourne à dégoût, l'illicite devient un attrait. Si l'eunuque de Térence avoit commencé par une demande régulière de son Erotium, ou quel que soit le nom de son idole, le spectateur seroit-il transporté, comme l'auteur de la comédie le vouloit? Ainsi toute comédie veut inspirer le plaisir d'aimer on en regarde les personnages non pas comme épouseurs, mais comme amans; et c'est amant qu'on veut être, sans songer à ce qu'on pourra devenir après.

Mais il y a encore une autre raison plus grave et plus chrétienne, qui ne permet pas d'étaler la passion de l'amour, même par rapport au licite. C'est, comme l'a remarqué, en traitant la question de la comédie, un habile homme de nos jours; c'est, disje, que le mariage présuppose la concupiscence, qui selon les règles de la foi, est un mal dont le mariage use bien. Qui étale dans le mariage cette impression de beauté qui force à aimer, et qui tâche à la rendre aimable et plaisante, veut rendre aimable et plaisante la concupiscence et la révolte des sens. C'est néanmoins à cet ascendant de la beauté qu'on fait servir, dans les comédies, les ames

qu'on appelle grandes : ces doux et invincibles penchans de l'inclination, c'est ce qu'on veut rendre aimable; c'est-à-dire, qu'on veut rendre aimable une servitude qui est l'effet du péché, qui porte au péché, et qu'on ne peut mettre sous le joug que par des combats qui font gémir les fidèles mêmes au milieu des remèdes.

N'en disons pas davantage; les suites de cette doctrine font frayeur: disons seulement que ces mariages, qui se rompent ou qui se concluent dans les comédies, sont bien éloignés de celui du jeune Tobie et de la jeune Sara. « Nous sommes, disent» ils (1), enfans des saints, et il ne nous est pas per» mis de nous unir comme les Gentils ». Qu'un mariage de cette sorte, où les sens ne dominent pas, seroit froid sur nos théâtres! Mais aussi que les mariages des théâtres sont sensuels et scandaleux aux vrais chrétiens! Ce qu'on y veut, c'en est le mal; ce qu'on y appelle les belles passions, sont la honte de la nature raisonnable : l'empire de la beauté, et cette tyrannie qu'on y étale sous les plus belles couleurs, flatte la vanité d'un sexe, dégrade la dignité de l'autre, et asservit l'un et l'autre au règne des

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Vous dites, mon Père, que vous n'avez jamais pu entrevoir par le moyen des confessions cette prétendue malignité de la comédie, ni les crimes dont on veut qu'elle soit la source. Apparemment vous ne songez pas à ceux des comédiennes, à ceux des chanteuses, ni aux scandales de leurs amans. N'estce rien que d'immoler des chrétiennes à l'incon(Tob. VIII. 5.

tinence publique, d'une manière plus dangereuse qu'on ne feroit dans les lieux qu'on n'ose nommer? Quelle mère, je ne dis pas chrétienne, mais tant soit peu honnête, n'aimeroit pas mieux voir sa fille dans le tombeau que sur le théâtre ? L'ai-je élevée si tendrement et avec tant de précaution pour cet opprobre? l'ai-je tenue nuit et jour, pour ainsi parler, sous mes ailes avec tant de soin, pour la livrer au public? Qui ne regarde pas ces malheureuses chrétiennes, si elles le sont encore dans une profession si contraire aux vœux de leur baptême; qui, dis-je, ne les regarde pas comme des esclaves exposées, en qui la pudeur est éteinte, quand ce ne seroit que par tant de regards qu'elles attirent et par tous ceux qu'elles jettent; elles que leur sexe avoit consacrées à la modestie, dont l'infirmité naturelle demandoit la sûre retraite d'une maison bier. réglée? Et voilà qu'elles s'étalent elles-mêmes en plein théâtre avec tout l'attirail de la vanité, comme ces sirènes dont parle Isaïe (1), qui font leur demeure dans les temples de la volupté, dont les regards.sont mortels, et qui reçoivent de tous côtés, par cetapplaudissement qu'on leur renvoie, le poisor qu'elles répandent par leur chant. Mais n'est-ce rien aux spectateurs de payer leur luxe, de nourrir leur corruption, de leur exposer leur cœur en proie, et d'aller apprendre d'elles tout ce qu'il ne faudroit jamais savoir? S'il n'y a rien là que d'honnête, rien qu'il faille porter à la confession; hélas! mon Père, quel aveuglement faut-il qu'il y ait parmi les chrétiens! Et un homme de votre robe et de votre nom

(1) Isai. XII. 22.

étoit-il fait pour achever d'ôter aux fidèles le peu de componction qui reste encore dans le monde pour tant de désordres?

Vous ne trouvez pas, dites-vous, par les confes sions, que les riches qui vont à la comédie soient plus sujets aux grands crimes que les pauvres qui n'y vont pas. Vous n'avez encore qu'à dire que le luxe, que les excès de la table et les mets exquis ne font aucun mal aux riches; parce que les pauvres, qui en sont privés, ont les mêmes vices. Ne sentez-vous pas qu'il y a des choses, qui, sans avoir des effets marqués, mettent dans les ames de secrètes dispositions au mal, qui ne laissent pas d'être très-mauvaises, quoique leur malignité ne se déclare pas toujours d'abord? Tout ce qui nourrit les passions est de ce genre. On n'y trouveroit que trop de matière à la confession, si on cherchoit en soimême les causes du mal. On a le mal dans le sang ́et dans les entrailles, avant qu'il éclate par la fièvre : en s'affoiblissant peu à peu on se met dans un grand danger de tomber, avant qu'on tombe; et cet affoiblissement et un commencement de la chute.

Vous comparez les dangers où l'on se met dans les comédies par les vives représentations des passions, à ceux qu'on ne peut éviter qu'en fuyant, dites-vous, dans les déserts. On ne peut, continuez-vous, faire un pas, lire un livre, entrer dans une église, enfin vivre dans le monde, sans rencontrer mille choses capables d'exciter les passions. Sans doute, la conséquence est fort bonne : tout est plein d'inévitables dangers; donc il en faut augmenter le nombre. Toutes les créatures sont un

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