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grand obstacle au succès je lui demande continuellement pour vous sa sainte grâce.

Monseigneur le Dauphin se fait tous les jours fort joli j'espère que le Roi et la Reine le trouveront fort avancé à leur retour. Nous sommes fort en inquiétude de la santé de la Reine.

A Saint-Germain, ce 7 juillet 1673.

LETTRE XIX.

AU MÊME.

Il lui parle des mézagomens qu'oxigenit la foiblesse de la duchesse de la Vallière, lui marque les raisons qu'elle avoit de retarder l'exécution de son dessein, et lui rend compte de ce qu'il a fait pour en faciliter l'accomplissement.

Ne laissez pas, s'il vous plaît, finir l'année sans me donner de vos nouvelles; j'ai un extrême désir d'en apprendre. J'ai vu plusieurs fois, depuis votre départ, madame la duchesse de la Vallière; je la trouve dans de très-bonnes dispositions, qui, à ce que j'espère, auront leur effet. Un naturel un peu plus fort que le sien auroit déjà fait plus de pas; mais il ne faut point l'engager à plus qu'elle ne pourroit soutenir : c'est pourquoi, ayant vu qu'on souhaitoit avec ardeur du retardement à l'exécution de son dessein, jusqu'au départ de la Cour; et que peut-être on pourroit employer l'autorité à quelque chose de plus, si on rompoit subitement; j'ai été assez d'avis qu'on assurât le principal, et qu'on rompît peu à peu des liens qu'une main plus forte que la sienne auroit brisés, tout-à-coup. Ce qui me

paroît de très-bon en elle, c'est qu'elle n'est effrayée d'aucunes des circonstances de la condition qu'elle a résolu d'embrasser, et que son dessein s'affermit de jour en jour. Je fais ce que je puis pour entretenir de si saintes dispositions; et si je trouve quelque occasion d'avancer les choses, je ne la manquerai pas.

:

fait

Du reste, tout va ici à l'ordinaire. M. de Turenne y est arrivé avec une grande augmentation d'embonpoint il est fort content du Roi, et le Roi de lui. M.me la duchesse de la Vallière m'a obligé de traiter le chapitre de sa vocation avec M.me de Montespan. J'ai dit ce que je devois; et j'ai, autant que j'ai pu, connoître le tort qu'on auroit de la troubler dans ses bons desseins. On ne se soucie pas beaucoup de la retraite; mais il semble que les Carmélites font peur. On a couvert, autant qu'on a pu, cette résolution d'un grand ridicule : j'espère que la suite en fera prendre d'autres idées. Le Roi a bien su qu'on m'avoit parlé ; et Sa Majesté ne m'en ayant rien dit, je suis aussi demeuré jusqu'ici dans le silence. Je conseille fort à madame la Duchesse de vider ses affaires au plus tôt. Elle a beaucoup de peine à parler au Roi, et remet de jour en jour. M. Colbert, à qui elle s'est adressée pour le temporel, ne la tirera d'affaire que fort lentement, si elle n'agit avec un peu plus de vigueur qu'elle n'a accoutumé.

Vivez avec Dieu et sous ses yeux; que l'action du dehors laisse, s'il se peut, le repos au dedans : prenez garde de revivre, et songez où est la véritable vie. Je prie Dieu qu'il vous protège et qu'il vous dirige.

A Saint-Germain, ce 25 décembre 1673.

LETTRE XX.

AU MÊME.

Sur madame de la Vallière, et sur les funestes effets de la contagion du siècle.

J'ai reçu votre lettre, et j'ai rendu moi-même à madame la Duchesse la lettre que vous m'avez adressée pour elle. Le monde lui fait de grandes traverses, et Dieu de grandes miséricordes : j'espère qu'il l'emportera, et que nous la verrons un jour dans un haut degré de sainteté. C'est de sa chambre que je vous écris. Elle m'a fait voir votre lettre, où j'ai vu des traits puissans de M. de Grenoble.

Hélas! quand réparerons-nous le mal que nous faisons et que nous faisons faire? Toutes nos paroles et tous nos regards sont féconds en maux, et les répandent de tous côtés : aux uns nous causons du chagrin; nous portons les autres à aimer le monde. Nous témoignons ou des attachemens foibles, ou des dégoûts dédaigneux nous n'avons rien de mesuré, parce que nous n'avons pas en nous la charité qui règle tout; et notre déréglement dérègle les autres. Nous inspirons insensiblement ce que nous sentons en nous-mêmes; et nous paroissons en tout nous aimer si fort, que nous poussons par-là tous les autres à s'aimer eux-mêmes. Voilà ce qui s'appelle la contagion du siècle; car il y a une corruption qu'on fait dans les autres de dessein : celle-là est fort grossière, et se peut aisément

apercevoir. Mais cette autre sorte de corruption, que nous inspirons sans y penser, qui se communique en nous voyant faire les uns les autres, qui se répand par l'air du visage, et jusque par le son de la voix; c'est celle-là, plus que toutes les autres, qui doit nous faire écrier souvent : « Ah! qui con» noît les péchés ? Pardonnez-moi, Seigneur, mes >> fautes cachées, et celles que je fais commettre aux » autres (1) ». Jusqu'à ce que la vérité règne en le mensonge et la vanité sortent de nous de toutes parts, pour infecter tout ce qui nous envi

nous,

ronne.

Je crois que, parmi le tumulte où vous êtes, vous êtes encore plus loin de cette corruption qu'on n'est ici. L'action nous fait un peu sortir de nous-mêmes; mais que nous y rentrons bien vite, et que nous nous y enfonçons bien avant! Cependant c'est s'abîmer dans la mort, que de se chercher soi-même : sortir de soi-même pour aller à Dieu, c'est la vie.

Je suis en peine du paquet dont vous me parlez, où il y avoit une lettre pour madame la Duchesse : informez-vous-en, s'il vous plaît; car je n'ai rien reçu du tout. Madame, qui nous voit écrire, vous fait de grands baise-mains : elle se plaint, ou plutôt elle est affligée de ce qu'elle n'entend point parler de vous, quoiqu'elle vous ait fait faire des recommandations de toutes parts.

A Saint-Germain, ce 27 janvier 1674.

(1) Ps. xviii. 13, 14.

LETTRE XXI.

AU MÊME.

Il lui explique de quelle manière une ame peut conserver le repos au milieu de l'agitation des affaires.

J'AI rendu vos lettres à madame la duchesse de la Vallière; il me semble qu'elles font un bon effet. Elle est toujours dans les mêmes dispositions; et il me semble qu'elle avance un peu ses affaires à sa manière, doncement et lentement. Mais, si je ne me trompe, la force de Dieu soutient intérieurement son action; et la droiture qui me paroît dans son cœur entraînera tout.

Pour vous, Monsieur, que vous dirai-je? J'ai été touché des sentimens que Dieu vous inspire. Mais quoiqu'il soit rare de bien penser sur les choses de piété qu'on ne veut guère toute pure, il est encore beaucoup plus rare et plus difficile de bien faire : mais surtout comment trouver ce repos et cette consistance d'ame, dans le mouvement et dans les affaires; puisqu'il est vrai qu'elles ont cela de malin, qu'elles font perdre la vue de Dieu? Je conçois un état que je ne puis presque exprimer : je le vois de loin pour la pratique, bien que j'en sente la vérité dans la spéculation. Une ame qui se sent n'être rien, et qui est contente de son néant, en sort néanmoins par un ordre qu'elle a sujet de croire émané de Dieu : elle se prête à l'action par obéissance, et soupire intérieurement après le repos, où

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