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LETTRE XXXII.

AU MARECHAL DE BELLEFONDS.

Sur la maladie de son fils, et les leçons que Dieu donne aux hommes dans de pareilles épreuves, et sur les dispositions que demandoit l'affaire dont le prélat s'étoit trouvé chargé.

Je viens de voir M. votre fils, qui, Dieu merci, est sans fièvre, le pouls fort réglé, nulle chaleur; et qui même, à ce que je vois, n'est pas si foible qu'on le devroit craindre après une si grande maladie. Il y a eu des jours d'une extrême inquiétude. Dieu a voulu se contenter de votre soumission; et sans en venir à l'effet, il a reçu votre sacrifice. Vous savez ce que veulent dire de telles épreuves. Il remue le cœur dans le plus sensible; il fait voir la séparation toute prochaine : après il rend tout d'un coup ce qu'il sembloit vouloir ôter; afin qu'on sente mieux de qui on le tient, et de qui on possède dorénavant ce qu'on a d'une autre sorte. Il faut souvent songer, durant ces états, à cette leçon de saint Paul (1): « Le temps est court; que ceux qui >> pleurent soient comme ne pleurant pas, et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas; » car la figure de ce monde passe ». Il faut avoir des enfans comme ne les ayant pas pour soi; mais songer que celui qui leur donne l'être, les met entre les mains de leurs parens, pour leur donner le digne emploi de lui nourrir et de lui former des

>>

(1) I. Cor. VII. 29, 30, 31.

serviteurs :

serviteurs du reste, les regarder comme étant à Dieu et non à nous. Car qu'avons-nous à nous, nous qui ne sommes pas à nous-mêmes? Et plût à Dieu que comme en effet nous sommes au Seigneur, nous nous donnions à lui de tout notre cœur, rompant peu à peu tous les liens par lesquels nous tenons à nous-mêmes!

Que je vous ai souhaité souvent parmi toutes les choses qui se sont passées, et qu'une demi-heure de conversation avec vous m'auroit été d'un grand secours! J'ai eu cent fois envie de vous écrire : mais outre qu'on craint toujours pour ce qu'on expose au hasard que courent les lettres, on s'explique toujours trop imparfaitement par cette voie.

Priez Dieu pour moi, je vous en conjure; et priezle qu'il me délivre du plus grand poids dont un homme puisse être chargé, ou qu'il fasse mourir tout l'homme en moi, pour n'agir que par lui seul. Dieu merci, je n'ai pas encore songé, durant tout le cours de cette affaire (1), que je fusse au monde : mais ce n'est pas tout; il faudroit être comme un saint Ambroise, un vrai homme Dieu, un homme de l'autre vie, où tout parlât, dont tous les mots fussent des oracles du Saint-Esprit, dont toute la conduite fût céleste. Dieu choisit ce qui n'est pas pour détruire ce qui est (2): mais il faut donc n'être pas; c'est-à-dire, n'être rien du tout à ses yeux,

(1) Il paroît qu'il s'agit ici des avis qu'il avoit donnés au Roi, au sujet de madame de Montespan, et des exhortations qu'il faisoit à cette dame, pour la porter à mener une vie vraiment chrétienne. Les lettres suivantes éclairciront ce fait.

(2) 1. Cor. 1. 28.

BOSSUET. XXXVII.

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vide de soi-même et plein de Dieu. Priez, je vous en conjure donnez-moi de vos nouvelles. Ma sœur Louise de la Miséricorde a enfin achevé son sacrifice; c'est un miracle de la grâce. Recommandezmoi aux prières de M. de Grenoble ; j'entends tous les jours de lui des merveilles. Il faudra bien quelque jour faire pénitence à son exemple.

A Saint-Germain, ce 20 juin 1675.

LETTRE XXXIII.

A LOUIS XIV.

Sur les caractères d'une véritable conversion, et les dispositions nécessaires pour y parvenir (1).

SIRE,

Le jour de la Pentecôte approche, où Votre Majesté a résolu de communier. Quoique je ne doute pas qu'elle ne songe sérieusement à ce qu'elle a promis à Dieu; comme elle m'a commandé de l'en faire souvenir, voici le temps que je me sens le plus obligé de le faire. Songez, Sire, que vous ne pouvez être véritablement converti, si vous ne travaillez à ôter de votre cœur non-seulement le péché, mais la

(1) Cette lettre est sans date dans l'original; mais il est évident qu'elle a précédé la suivante, également adressée à Louis XIV, et tous les faits nous assurent qu'elle fut envoyée en 1675, lorsque le Roi commandoit en personne ses armées des Pays-Bas. Cependant comme nous ne pourrions marquer le temps précis où elle a été écrite, nous avons pris le parti de réunir ces deux let tres, qu'on sera bien aise de lire sans interruption.

cause qui vous y porte. La conversion véritable ne se contente pas seulement d'abattre les fruits de mort, comme parle l'Ecriture (1), c'est-à-dire, les péchés; mais elle va jusqu'à la racine, qui les feroit repousser infailliblement si elle n'étoit arrachée. Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour, je le confesse maist plus cet ouvrage est long et difficile, plus il y faut travailler. Votre Majesté ne croiroit pas s'être assurée d'une place rebelle, tant que l'auteur des mouvemens y demeureroit en crédit. Ainsi jamais votre cœur ne sera paisiblement à Dieu, tant que cet amour violent, qui vous a si long-temps séparé de lui, y régnera.

Cependant, Sire, c'est ce cœur que Dieu demande. Votre Majesté a vu les termes avec lesquels il nous commande de le lui donner tout entier : elle m'a promis de les lire et les relire souvent. Je vous envoie encore, Sire, d'autres paroles de ce même Dieu, qui ne sont pas moins pressantes, et que je supplie Votre Majesté de mettre avec les premières. Je les ai données à madame de Montespan, et elles lui ont fait verser beaucoup de larmes. Et certainement, Sire, il n'y a point de plus juste sujet de pleurer, que de sentir qu'on a engagé à la créature un cœur que Dieu veut avoir. Qu'il est malaisé de se retirer d'un si malheureux et si funeste engagement! Mais cependant, Sire, il le faut, ou il n'y a point de salut à espérer. Jésus-Christ, que vous recevrez, vous en donnera la force, comme il vous en a déjà donné le désir.

(1) Rom. vi. 5.

Je ne demande pas, Sire, que vous éteigniez en un instant une flamme si violente; ce seroit vous demander l'impossible: mais, Sire, tâchez peu à peu de la diminuer; craignez de l'entretenir. Tournez votre cœur à Dieu; pensez souvent à l'obligation que vous avez de l'aimer de toutes vos forces, et au malheureux état d'un cœur qui, en s'attachant à la créature, par-là se rend incapable de se donner tout-à-fait à Dieu, à qui il se doit.

J'espère, Sire, que tant de grands objets qui vont tous les jours de plus en plus occuper Votre Majesté, serviront beaucoup à la guérir. On ne parle que de la beauté de vos troupes et de ce qu'elles sont capables d'exécuter sous un aussi grand conducteur : et moi, Sire, pendant ce temps, je songe secrètement en moi-même à une guerre bien plus importante, et à une victoire bien plus difficile que Dieu vous propose.

Méditez, Sire, cette parole du Fils de Dieu : elle semble être prononcée pour les grands rois et pour les conquérans : « Que sert à l'homme, dit-il (1), de » gagner tout le monde, si cependant il perd son » ame? et quel gain pourra le récompenser d'une » perte si considérable »? Que vous serviroit, Sire, -d'être redouté et victorieux au dehors, si vous êtes au dedans vaincu et captif? Priez donc Dieu qu'il vous affranchisse; je l'en prie sans cesse de tout mon cœur. Mes inquiétudes pour votre salut redoublent de jour en jour; parce que je vois tous les jours, de plus en plus, quels sont vos périls.

(1) Marc. vii. 36, 37.

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