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Sire, accordez-moi une grâce: ordonnez au père de la Chaise de me mander quelque chose de l'état où vous vous trouvez. Je serai heureux, Sire, si j'apprends de lui que l'éloignement et les occupations commencent à faire le bon effet que nous avons espéré. C'est ici un temps précieux. Loin des périls et des occasions, vous pouvez plus tranquillement consulter vos besoins, former vos résolutions et régler votre conduite. Dieu veuille bénir Votre Majesté : Dieu veuille lui donner la victoire; et par la victoire, la paix au dedans et au dehors. Plus Votre Majesté donnera sincèrement son cœur à Dieu, plus elle mettra en lui seul son attache et sa confiance; plus aussi elle sera protégée de sa main toute-puis

sante.

Je vois, autant que je puis, madame de Montespan, comme Votre Majesté me l'a commandé. Je la trouve assez tranquille : elle s'occupe beaucoup aux bonnes œuvres; et je la vois fort touchée des vérités que je lui propose, qui sont les mêmes que je dis aussi à Votre Majesté. Dieu veuille vous les mettre à tous deux dans le fond du cœur, et achever son ouvrage; afin que tant de larmes, tant de violences, tant d'efforts que vous avez faits sur vous-mêmes, ne soient pas inutiles.

Je ne dis rien à Votre Majesté de monseigneur le Dauphin: M. de Montausier lui rend un fidèle compte de l'état de sa santé, qui, Dieu merci, est parfaite. On exécute bien ce que Votre Majesté a ordonné en partant; et il me semble que monseigneur le Dauphin a dessein, plus que jamais, de profiter de ce qu'elle lui a dit. Dieu, Sire, bénira en tout Votre Majesté,

si elle lui est fidèle. Je suis, avec un respect et une

soumission profonde,

SIRE,

DE VOTRE MAJESTÉ,

Le très-humble, très-obéissant, et très-fidéle sujet et serviteur,

J. BENIGNE, anc. Év. de Condom.

LETTRE XXXIV.

AU MÊME.

Lois que Dieu prescrit au priuce chargé de gouverner son peuple. Obligation qui lui est imposée, et motifs qui le pressent de soulager efficacement ses sujets dans leur misère. Moyens que le prélat suggère au Roi pour y réussir.

VOTRE Majesté m'a fait une grande grâce, d'avoir bien voulu m'expliquer ce qu'elle souhaite de moi, afin que je puisse ensuite me conformer à ses ordres, avec toute la fidélité et l'exactitude possibles. C'est avec beaucoup de raison qu'elle s'applique si sérieusement à régler toute sa conduite car après vous être fait à vous-même une si grande violence dans une chose qui vous touche si fort au cœur, vous n'avez garde de négliger vos autres devoirs, où il ne s'agit plus que de suivre vos inclinations.

Vous êtes né, Sire, avec un amour extrême pour la justice, avec une bonté et une douceur qui ne peuvent être assez estimées; et c'est dans ces choses que Dieu a renfermé la plus grande partie de vos devoirs, selon que nous l'apprenons par cette parole

de son Ecriture (1): « La miséricorde et la justice gar» dent le Roi ; et son trône est affermi par la bonté » et par la clémence ». Vous devez donc considérer, Sire, que le trône que vous remplissez est à Dieu, que vous y tenez sa place, et que vous y devez régner selon ses lois. Les lois qu'il vous a données, sont que, parmi vos sujets, votre puissance ne soit formidable qu'aux méchans; et que vos autres sujets puissent vivre en paix et en repos, en vous rendant obéissance. Vos peuples s'attendent, Sire, à vous voir pratiquer plus que jamais ces lois que l'Ecriture vous donne. La haute profession que Votre Majesté a faite, de vouloir changer dans sa vie ce qui déplaisoit à Dieu, les a remplis de consolation : elle leur persuade que Votre Majesté, se donnant à Dieu, se rendra plus que jamais attentive à l'obligation très-étroite qu'il vous impose de veiller à leur misère; et c'est de là qu'ils espèrent le soulagement dont ils ont un besoin

extrême.

Je n'ignore pas, Sire, combien il est difficile de leur donner ce soulagement au milieu d'une grande guerre, où vous êtes obligé à des dépenses si extraordinaires, et pour résister à vos ennemis et pour conserver vos alliés. Mais la guerre qui oblige Votre Majesté à de si grandes dépenses, l'oblige en même temps à ne laisser pas accabler le peuple, par qui seul elle les peut soutenir. Ainsi leur soulagement est autant nécessaire pour votre service, que pour leur repos. Votre Majesté ne l'ignore pas; et pour lui dire sur ce fondement ce que je crois être de son

(1) Prov. xx. 28.

obligation précise et indispensable, elle doit, avant toutes choses, s'appliquer à connoître à fond les misères des provinces, et surtout ce qu'elles ont à souffrir sans que Votre Majesté en profite, tant par les désordres des gens de guerre, que par les frais qui se font à lever la taille, qui vont à des excès incroyables. Quoique Votre Majesté sache bien, sans doute, combien en toutes ces choses il se commet d'injustices et de pilleries; ce qui soutient vos peuples, c'est, Sire, qu'ils ne peuvent se persuader que Votre Majesté sache tout; et ils espèrent que l'application qu'elle a fait paroître pour les choses de son salut, l'obligera à approfondir une matière si né

cessaire.

Il n'est pas possible que de si grands maux, qui sont capables d'abîmer l'Etat, soient sans remède; autrement tout seroit perdu sans ressource. Mais ces remèdes ne se peuvent trouver qu'avec beaucoup de soin et de patience car il est malaisé d'imaginer des expédiens praticables; et ce n'est pas à moi à discourir sur ces choses. Mais ce que je sais très-certainement, c'est que si Votre Majesté témoigne persévéramment qu'elle veut la chose, si, malgré la difficulté qui se trouvera dans le détail, elle persiste invinciblement à vouloir qu'on cherche; si enfin elle fait sentir, comme elle le sait très-bien faire, qu'elle ne veut point être trompée sur ce sujet, et qu'elle ne se contentera que des choses solides et effectives; ceux à qui elle confie l'exécution se plieront à ses volontés, et tourneront tout leur esprit à la satisfaire dans la plus juste inclination qu'elle puisse ja

mais avoir.

Au reste, Votre Majesté, Sire, doit être persuadée que quelque bonne intention que puissent avoir ceux qui la servent, pour le soulagement de ses peuples, elle n'égalera jamais la vôtre. Les bons rois sont les vrais pères des peuples; ils les aiment naturellement : leur gloire et leur intérêt le plus essentiel est de les conserver et de leur bien faire; et les autres n'iront jamais en cela si avant qu'eux. C'est donc Votre Majesté qui, par la force invincible avec laquelle elle voudra ce soulagement, fera naître un désir semblable en ceux qu'elle emploie en ne se lassant point de chercher et de pénétrer, elle verra sortir ce qui sera utile effectivement. La connoissance qu'elle a des affaires de son Etat, et son jugement exquis, lui fera démêler ce qui sera solide et réel d'avec ce qui ne sera qu'apparent. Ainsi les maux de l'Etat seront en chemin de guérir; et les ennemis, qui n'espèrent qu'aux désordres que causera l'impuissance de vos peuples, se verront déchus de cette espérance. Si cela arrive, Sire, y aura-t-il jamais ni un prince plus heureux que vous, ni un règne plus glorieux que le vôtre?

Il est arrivé souvent qu'on a dit aux rois que les peuples sont plaintifs naturellement, et qu'il n'est pas possible de les contenter quoi qu'on fasse. Sans remonter bien loin dans l'histoire des siècles passés, le nôtre a vu Henri IV votre aïeul, qui, par sa bonté ingénieuse et persévérante à chercher les remèdes des maux de l'Etat, avoit trouvé le moyen de rendre les peuples heureux, et de leur faire sentir et avouer leur bonheur. Aussi en étoit-il aimé jusqu'à la passion; et dans le temps de sa mort, on vit par tout

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