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LE

VRAI VOLTAIRE

L'HOMME ET LE PENSEUR

VUE D'ENSEMBLE SUR L'HOMME ET SON OEUVRE

INTRODUCTION

I

Je suis homme et rien de ce qui touche les hommes ne m'est étranger. A nul mieux qu'à Voltaire ne va cette noble devise; en deux mots elle nous dit quelle fût la maîtresse force de son cœur et d'où jaillissait la souveraine clarté de son esprit, comme elle caractérise d'un seul trait la grandeur de l'âme humaine. Ce livre a pour objet de montrer, pièces en main, que Voltaire fut bien. l'homme de Térence; en second lieu de sonder le cœur de la France et de savoir si la grande nation, au bout de cent ans, fera pour honorer la mémoire de Voltaire, l'équivalent de ce que la parvulissime république de Genève a fait pour perpétuer celle de J.-J. Rousseau.

L'aspect le plus remarquable de l'auteur du Dictionnaire philosophique et du sauveur de Calas, est celui sous lequel il est le moins connu. Pour la plupart des lecteurs, le poëte facile, léger et badin, l'écrivain spirituel, alerte, beau rieur, jettent une ombre sur l'âme splendidement humaine du philosophe; le critique incisif, le polémiste infatigable, cachent le penseur. Voltaire est célèbre à bon droit comme poëte, histo

rien, conteur, auteur dramatique, etc., mais ce qu'il y a de meilleur et de plus grand en lui, c'est l'homme.

Aussi, n'est-ce pas sans motifs que Condorcet a écrit, huit ans après la mort de Voltaire, qu'il avait été plus admiré que connu. Pour le gros du public, voltairien n'est-il pas synonime de sceptique? La vérité c'est que Voltaire fut religieux à la façon de Socrate et de Marc Aurèle; si bien qu'il porta dans l'esprit de Diderot la peine de son déisme, presque jusqu'à la fin de sa vie ! Voltaire a été non-seulement l'homme de raison mais encore l'homme de foi de son siècle.

Quelques-uns des aspects de Voltaire ont perdu de leur valeur, quant à l'homme il grandira d'âge en âge dans l'équitable postérité. Car, si la raison finit toujours par avoir raison, les hommes, à la longue, mettent dans leur ciel ceux qui les ont le plus aimés et le mieux servis. Voltaire a été grand aux yeux de nos pères, il est naturel qu'il paraisse plus grand encore aux héritiers de 89. A l'oeuvre on connaît l'artisan; et Voltaire restera le plus puissant et le plus habile promoteur de cette révolution, que l'humanité comptera un jour au nombre de ses époques climatériques.

Au point de vue des destinées humaines, ce n'est pas outrepasser la mesure que de dire: la Révolution française (il est juste de lui conserver ce titre), peut être comparée à ce que serait pour la terre un mouvement évolutif de son axe. Par la révolution le vieux monde fut désorbité et la société s'établit sur de nouvelles bases. Nos neveux le comprendront encore mieux que nous et feront une large place dans leur Panthéon à celui qui a pu dire justement :

J'ai fait plus en mon temps que Luther et Calvin.

Si l'on doit juger de la valeur morale d'un homme par les preuves constantes et efficaces de son amour de

la justice et de ses semblables, nul peut-être ne pour rait le disputer à Voltaire. Pendant plus de soixante ans et sans se démentir un seul jour, son âme brûla de la flamme sacrée. Une gloire vaillamment conquise, une fortune considérable, loin d'endormir son activité, accrurent ses forces et centuplèrent son action pour le bien. Ni la persécution, ni les maladies, ni la vieillesse ne purent le faire faiblir. Comme il l'écrit de son lit, pupitre des gens de quatre-vingts ans, à la duchesse d'Enville, tous les jours, il se jette aux pieds de quelqu'un au nom de l'humanité, pour l'affaire qui occupe actuellement sa vieille tête et son jeune cœur. Ah! certes personne n'a plus aimé ses semblables que Voltaire et ne l'a mieux prouvé par tous les actes de sa longue existence. Nous avons à cœur de mettre en pleine lumière cette vérité: Voltaire fait plus d'honneur au genre humain par la noblesse de ses sentiments que par l'universalité de son génie. Grand homme de bien, l'amour de la justice et de l'humanité fut la source de son génie et la cause de son action sur le monde. C'est par là, surtout, qu'il mérite de vivre à jamais dans la postérité.

II

Quand parut Voltaire, un fait considérable s'était produit dans le monde. Les beaux-arts, les lettres et le théâtre avaient jeté un éclat incomparable sur le siècle de Louis XIV. Cette vive lumière, rayonnant sur la France et l'Europe, était une première initiation, et Voltaire apprécia admirablement son importance. La ville et la cour étaient devenues quelque peu lettrées et policées. On ne pensait guère, on ne savait presque rien, mais on était éveillé et l'on s'intéressait aux choses

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