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facile de remplir ses désirs qui s'accordaient avec nos vues; MÉMOIRE. et après plusieurs explications, je le déterminai à

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passer en

France, non-seulement en l'assurant de la protection du
ministre pour obtenir ce qu'il demandait, mais encore en lui
promettant des secours particuliers que M. le baron de Bre-
teuil lui offrait, entr'autres un établissement dans une de ses
terres peu éloignée de Paris, où il y avait déjà eu précédem-
ment une verrerie (1). Un ministre qui, pour le service de
l'Etat, unit ainsi ses propres moyens à ceux que
lui donnent
son crédit et son pouvoir, ne peut manquer d'opérer de
grandes choses et de bien mériter de la patrie.

Je voudrais pouvoir terminer ici un exposé dans lequel je n'ai eu à présenter jusqu'à présent que des succès qui faisaient espérer les plus heureux résultats. Il va m'en coûter sans doute de montrer le revers du tableau, et de raconter comment, en bien peu de tems, je vis successivement renverser tous mes projets, s'évanouir toutes mes espérances, détruire tous mes établissemens, perdre tout le fruit de dix années de peines, d'agitations, de démarches, de sollicitations, auxquelles j'avais sacrifié un tems précieux que j'eusse pu employer beaucoup plus utilement.

La première catastrophe à laquelle je dus être infiniment sensible, fut la retraite de M. le baron de Breteuil, qui sortit du ministère au mois de juillet 1788. En apprenant cette nouvelle, je crus voir la foudre frapper du faite aux pieds l'édifice de mes projets et de mes espérances pour la régénération de l'art de construire les instrumens d'astronomie. Le nouveau ministre aurait-il les mêmes vues, le même esprit, le même intérêt pour des opérations commencées, et qui n'étaient pas les siennes ? Pouvais-je me flatter de parvenir à

(1) Voyez Lettre au sieur B....; Pièces justificatives, No VII.

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lui inspirer la même confiance que celle dont j'avais joui sous

son prédécesseur ? Ces pensées s'offraient naturellement à MÉMOIRE. moi et m'inspiraient une juste inquiétude.

La

perte

de M. le baron de Breteuil a été, j'ose le dire, un

coup funeste pour les sciences et pour les arts; ce coup eût été beaucoup plus senti et mieux apprécié, si celui dont ils furent frappés dès l'année suivante, par la révolution de 1789, n'eût été plus fatal encore, et même mortel. A cette époque où l'on jugeait les opinions vraies ou supposées d'un homme plutôt que sa conduite, M. de Breteuil fut traité avec une extrême rigueur par plusieurs de ceux dont il avait droit d'attendre plus d'indulgence; j'osai alors le défendre au péril de partager sa défaveur. Je fais plus aujourd'hui, je le loue. En rappelant ce qu'il a fait pour les ciences, pour les savans, pour les artistes, pour l'Académie (1), j'appelle sur lui les éloges et la reconnaissance de tous les hommes justes et impartiaux; et reconnaissant ce qu'il a fait de bon et de louable pendant son ministère, je dirai que dans cette foule de ministres qui, depuis le commencement du règne de Louis XV jusqu'à ce jour, se sont si rapidement succédés, il n'en est aucun qui ait accordé une protection plus franche et plus active aux arts et aux talens; il les a mieux servis que beaucoup d'autres, dont ils avaient droit de tout attendre, et qui n'ont rien fait pour eux; il a donc plus de mérite qu'aucun d'eux, et doit en recueillir plus de gloire. On peut juger de l'embarras où je me trouvai au milieu des entreprises commencées et non terminées dont j'ignorais le sort futur. Heureusement je n'avais fait aucun pas, aucune démarche, sans une autorisation par écrit du ministre; mes comptes et ma gestion étaient tellement en règle, que par la suite la haine révolutionnaire n'a pu, malgré ses recherches,

(1) Voyez le troisième Mémoire,

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y trouver aucune prise. L'exposé que je fis au successeur de MÉMOIRE. M. le baron de Breteuil de l'état des choses, fut reçu dans une première audience comme je m'y étais attendu, c'est-àdire avec beaucoup de témoignage d'intérêt, de bonne volonté et d'assurance de protection. Mais bientôt, dans les entretiens suivans, j'entendis mettre en avant ce prétexte ancien et banal de réforme, d'économie, sous lequel on avait jadis si longtems écarté les sollicitations de mon père et les miennes. Enfin il me fut prescrit de ne plus aller en avant sur tout ce qui n'était point consommé. En conséquence, l'envoi des apprentis en Angleterre, leur instruction préliminaire, les projets de travaux à l'atelier et à la fonderie de l'Observatoire, tout fut ajourné indéfiniment. Ce qu'il y avait de plus embarrassant et de plus affligeant pour moi, c'était l'arrivée du malheureux ouvrier anglais qui, sur ma parole, avait quitté sa verrerie, et qui ne trouva plus rien de ce qu'on lui avait promis en dédommagement. J'eus infiniment de peine à obtenir une indemnité pour les frais de son voyage. Je tremblais la demande des instrumens faits en Angleterre : j'eus cependant la consolation de la voir, non - seulement adoptée par le nouveau ministre, mais même confirmée par une délivrance de fonds qu'il me chargea de faire passer compte à M. Ramsden. Ce succès avait remonté mon courage. On se croit un moment heureux, lorsqu'ayant craint de tout perdre on peut sauver quelque chose. En adressant ces fonds, je crus que la lunette des passages allait enfin arriver, et je me consolais dans l'espérance de jouir bientôt d'un instrument plus parfait qu'aucun de ceux que j'avais eus jusqu'alors entre les mains, et qui allait donner à mes observations et à celles de mes élèves une précision digne de nos peines et de nos veilles. Il y avait déjà six mois que M. le baron de Breteuil avait écrit à M. le marquis de la Luzerne, ambassadeur de

pour

à

Ier

France à Londres, pour faire presser M. Ramsden de tenir sa parole; l'artiste avait fait à son ordinaire les plus belles MÉMOIRE. promesses, et parlé beaucoup de nouvelles perfections dont il s'occupait pour le quart de cercle tournant qu'on ne lui demandait pas encore; de sorte qu'il paraissait avoir, selon sa coutume, quitté le premier instrument pour le dernier. Je fis écrire de nouveau par M. de Villedeuil, et agir diverses personnes à Londres, entr'autres M. Piazzi, astronome de Palerme, qui était enfin venu à bout de faire terminer ses instrumens, non sans peine et après un tems infini; M. Ramsden me faisait toujours dire que la lunette allait partir, et rien n'arrivait. Les choses en étaient à ce point, lorsque la mémorable époque du 14 juillet 1789 vint frapper d'étonnement et de stupeur la France, l'Europe entière. Tous les yeux n'eurent plus qu'un point de vue, tous les esprits n'eurent plus qu'une pensée. Un ébranlement général vint menacer de ruine toute institution, tout établissement. Il suffisait d'avoir été pour devoir craindre de ne plus être ; et le mot de régénération, synonyme alors à celui de destruction, devint un cri de guerre qui poursuivit également le bien et le mal, la chose utile et l'abus. Aucune digue, aucune barrière ne pouvant plus arrêter le torrent révolutionnaire, la carrière fut ouverte aux haines, aux vengeances et aux ambitions. Malheur à qui était en vue! malheur à qui pouvait exciter l'envie! Ma position, à l'Observatoire et dans le quartier où je me trouvais, n'était pas une des moins critiques. Je fus pendant long-tems occupé à me débattre contre les soupçons absurdes, les dénonciations ridicules, les visites et les interrogatoires des ardens et inquiets révolutionnaires. Selon eux, les souterrains de l'Observatoire étaient des magasins de poudres, de farines et de fusils que je recelais; mes télescopes, des canons que je braquais sur Paris; et les tours où j'avais de la lumière pendant la nuit

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pour observer, n'étaient autre chose que des salons où je MÉMOIRE. réunissais des aristocrates. Dans une visite où des hommes armés m'entraînèrent avec violence au fond des caves, on enfonça la porte d'un cabinet souterrain où je faisais des expériences très-curieuses sur le thermomètre et sur les mouvemens de l'aiguille aimantée, à l'abri des impressions de l'air. Tout fut culbuté, et j'eus la douleur de perdre le fil et le fruit d'une suite d'expériences commencées depuis longtems, et qui devaient durer encore plusieurs années (1).

Au milieu de ces angoisses, quelques rayons d'espérance luisaient de tems en tems à mes yeux. Mon principal établissement à l'Observatoire subsistait toujours. Malgré les troubles et les agitations, nous n'avions point interrompu, mes élèves et moi, le cours des observations astronomiques auquel nous étions assujétis. Dans un compte que j'eus à rendre à un commissaire de l'Assemblée nationale, je reçus des témoignages de satisfaction de l'ordre et de l'économie de ma gestion; on s'étonna sur-tout qu'il en coûtât si en coûtât si peu au Gouvernement pour un établissement tel que l'Observatoire, et que l'on avait imaginé devoir être fort dispendieux (2). Je

(1) Pour mieux démêler la cause des variations diverses de l'aiguille aimantée, j'avais imaginé de descendre une de mes boussoles à cent pieds sous terre, dans un vaste cabinet bien fermé, et où la température ne changeait jamais. Là, je descendais trois fois par jour et n'entrais qu'avec une faible lumière, j'y restais le moins possible, et prenais toutes les précautions nécessaires à mes recherches. On a vu le résultat de mes premières expériences dans un imprimé publié en 1791. On juge du trouble et du fracas qu'apporta dans mon établissement souterrain l'irruption de cent hommes armés, visitant et renversant tout. Je crus ne pouvoir me mettre à l'abri de pareilles scènes et acheter ma tranquillité, qu'en portant à mon district les clés des caves de l'Observatoire, et renonçant pour jamais à y faire des observations et même à y descendre.

(2) Je montrai que les fonds annuels ne montaient qu'à 8,700 livres, y compris les appointemens du directeur, et que, pour les dépenses extraordi

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