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nement vient d'accorder. Songeons d'ailleurs qu'il est bon de composer le nouveau corps d'un nombre de membres suffi- MÉMOIRE. sant pour lui donner une certaine consistance. Sur les vingtquatre places, l'Académie n'a encore nommé qu'à six : dans cette seconde élection qu'elle en remplisse encore huit autres. Le nombre des nouveaux privilégiés se trouvera alors porté à quatorze; c'est très-suffisant pour la composition du corps, qui comprendra tout ce qu'il y a d'artistes distingués dans la capitale. Les dix autres brevets à distribuer, resteront entre les mains de l'Académie, qui pourra se rendre à l'avenir plus difficile, afin d'exciter l'émulation et de faire faire aux aspirans de plus grands efforts. Ce serait même l'occasion bien précieuse d'exiger des artistes deux choses importantes, plus de fini et de propreté dans leurs ouvrages, et plus de connaissances dans la théorie.

» La première qualité sans doute des instrumens de mathématiques et de physique est la justesse et la précision dans les proportions, dans les divisions, dans les mouvemens; mais il en est une seconde sur laquelle la plupart de nos artistes se négligent beaucoup; c'est la propreté dans l'exécution, c'est le fini des pièces. Leurs instrumens ne paraissent quelquefois que dégrossis. Ils y employent souvent sans goût et sans choix une matière défectueuse. Ils justifient par-là cette préférence accordée aux instrumens anglais dont le fini et la propreté d'exécution dans les plus petits détails, charment l'œil et séduisent l'acheteur. Le comité et l'Académie, en se montrant à l'avenir très-difficiles sur ce point vis-à-vis des aspirans, peuvent rendre le plus grand service à l'art et y opérer une heureuse révolution.

>> Le second vice, qu'il n'est pas moins important de réformer petit à petit chez le commun de nos artistes, c'est leur ignorance profonde dans la théorie de l'art qu'ils professent.

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Beaucoup d'entr'eux fabriquent leurs instrumens sans en MÉMOIRE. connaitre ni les principes, ni peut-être les

usages. Comment bien travailler des instrumens d'arpentage, d'astronomie, de physique, si l'on n'a soi-même opéré sur le terrain, observé, fait des expériences? On n'est pas étonné de la grande supériorité des Ramsden, des Dollond, des Nairne, lorsqu'on sait qu'ils étaient géomètres et physiciens. L'Académie pourrait donc exiger à l'avenir que les artistes qui solliciteraient son choix fussent instruits au moins des premiers élémens de la géométrie et des principes généraux de la physique; aucun ne serait admissible, s'il n'avait suivi les cours nécessaires, ou s'il n'avait été examiné par les commissaires sur ce point important.

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D'après ces considérations plus développées dans un Mémoire que je lus au comité, il fut arrêté que l'élection d'avril 1788 porterait sur huit membres. Le comité en proposa donc douze, entre lesquels l'Académie choisit MM. Erhet, Putois, Dumoutiez, Herbage, Tournant, Richer, Meynier le jeune, et Mossy.

L'année suivante, on sollicita vivement une nouvelle nomination; il y avait encore dix places vacantes. Les uns voulaient que sur ma dernière proposition on commençât à n'admettre que des artistes qui, à la pratique de leur art, joindraient des connaissances en théorie. D'autres pensaient que pour écarter toute incertitude dans les choix, il fallait exiger à l'avenir la présentation d'un chef-d'œuvre et un concours. Je ne pus m'empêcher d'observer qu'un tel moyen serait souvent impraticable dans l'état actuel des arts. Un commerce languissant et infiniment borné mettait rarement nos artistes dans le cas d'exécuter des instrumens de commande. L'aspirant aurait donc souvent été obligé, pour le concours, de faire, à ses risques, périls et fortune, un instrument qui exigerait une

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mise en avant au-dessus de ses forces. C'était retomber dans l'inconvénient qu'on reprochait aux maîtrises, qui exigeaient MÉMOIRE. de grands frais de réception et en écartaient les jeunes artistes

qui n'avaient pas le moyen d'en supporter la dépense.

pour

On se décida définitivement à une troisième élection de quatre sujets seulement. Elle eut lieu le 13 juin 1789. MM. Hautpoix, Rebours, Gouffé et Chiquet furent admis; et les six dernières places restantes ne durent plus êtrẻ, remplies que par des sujets dont les talens distingués feraient, ainsi dire, violence au comité et à l'Académie. Mais déjà l'on touchait à la grande révolution, à la fameuse époque du 14 juillet 1789. Bientôt il n'y eut plus lieu d'accorder des priviléges au mérite, car il devint inutile et même dangereux d'en avoir; bientôt la liberté, l'égalité, proclamées partout, inscrites sur tous les murs, donnèrent à tout le monde les mêmes droits, les mêmes pouvoirs, les mêmes ressources. Notre institution n'eut donc plus aucun but. Il n'y eut plus de jurandes, plus de corps de métiers, plus de comité des artistes, plus même d'Académie des Sciences. Fut artiste et savant qui voulut (1). Heureuse liberté ! Nous sommes encore trop près de ce mémorable évènement pour juger, avec l'impartialité et la justice requises, tout l'effet que la révolution doit produire un jour sur les sciences et sur les arts (2).

(1) Depuis la destruction des trois Académies, on a vu s'élever de tout côté, des Lycées, des Athénées, des Sociétés littéraires, des Sociétés savantes de tout genre, de tout degré, de toute dénomination. Celui qui voulut en être, et n'y est point entré, fut sans doute bien dépourvu de moyens.

(2) On peut assurer que l'institution du nouveau corps d'ingénieurs, nommé par l'Académie des Sciences, donna un mouvement aux arts et excita parmi les artistes une émulation qui aurait eu les suites les plus avantageuses, si elle eût subsisté plus long-tems, et si, dès sa naissance, elle n'eût été anéantie par cette révolution dont il m'est d'autant plus permis de gémir, qu'elle m'a privé des moyens que j'avais auparavant d'être utile aux sciences et aux arts, et ne m'a

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Bornons-nous à souhaiter qu'il soit le plus heureux possible. MÉMOIRE. Nous n'avons prétendu, dans ces Mémoires, que constater et raconter des faits relatifs à la position où se trouvaient les arts et les sciences à l'époque de 1789.

laissé que le stérile honneur du désir et de la bonne intention. J'ai vu tous mes établissemens à l'Observatoire renversés; l'atelier et les divers instrumens que j'avais commencés ont été dispersés; ma fonderie a été détruite après avoir servi à fondre le manteau royal de la statue équestre de Henri IV; mes cabinets souterrains ont été culbutés; mon imprimerie et mon dépôt de la carte de France m'ont été enlevés. Les dénonciations, les visites et les menaces des révolutionnaires m'ont poursuivi pendant quatre années entières, au bout desquelles j'ai été privé pendant près de sept mois de ma liberté. Le degré de découragement et de fatigues que peuvent causer de tels évènemens, ne pourra être apprécié que par ceux-là seuls qui en ont éprouvé de pareils ou de plus grands.

De l'entreprise et de l'exécution de la carte générale de la France.

TROIS grandes entreprises, exécutées en France dans le cours du dix-huitième siècle, l'Encyclopédie, la description des arts et métiers, la carte générale de la France (1), attesteront à la postérité le goût des Français à cette époque pour les lettres, les arts et les sciences; le zèle et le courage des savans et des littérateurs pour élever des monumens durables non moins utiles que glorieux à la patrie. Sur quoi donc sera désormais fondé ce reproche de légèreté qu'on fait aux Français, lorsque l'on considérera qu'aucune autre nation n'a su former autant de grandes et de belles entreprises, n'a montré autant d'ardeur à commencer de longs ouvrages, n'a mist autant d'opiniâtreté à les exécuter et à les amener à leur fin ? Que d'immenses dépenses, que de longs travaux, que de voyages lointains et dans toutes les parties du monde (2) vérifier les montres marines, pour observer les passages de Vénus sur le Soleil, pour déterminer la figure de la terre, pour mesurer les degrés du méridien, et pour établir cette

pour

MÉMOIRE.

(1) L'Encyclopédie et la carte de France sont entièrement achevées. La description des arts et métiers a été suspendue par la destruction de l'Académie royale des Sciences, qui avait entrepris et fort avancé cet ouvrage. L'Institut, qui a succédé à l'Académie, et qui met toute sa gloire à dédommager la France de la perte de ce corps illustre, se fera sans doute un devoir d'achever ce qu'il avait

commencé.

(2) On peut compter en ce moment quatorze voyages de mer entrepris par des Français pour la solution du problème des longitudes et la perfection de la géographie.

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