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Lundi 14 juillet 1854.

MARIE-ANTOINETTE.

(NOTICE DU COMTE DE LA MARCK.)

Parmi les écrits qui peuvent donner une juste idée de la reine Marie-Antoinette et de son caractère aux années de sa prospérité et de sa jeunesse, je n'en sais pas qui porte mieux la conviction dans l'esprit du lecteur que la simple Notice du comte de La Marck, insérée par M. de Bacourt dans l'Introduction de l'ouvrage récemment publié sur Mirabeau. Le comte de La Marck dessine l'intérieur de la reine en quelques pages d'une observation très-nette. On y voit une Marie-Antoinette réelle et naturelle, non exagérée. On y pressent les fautes auxquelles ses alentours ne manqueront pas de la pousser, celles qu'on lui prêtera, et les armes qu'elle va fournir, sans y songer, à la malignité. On regrette qu'un observateur aussi impartial et aussi supérieur n'ait pas tracé un pareil portrait de la reine aux divers moments de son existence, jusqu'à l'heure où elle devient une grande victime et où ses hautes qualités de cœur éclatent assez pour frapper et intéresser tout ce qui est humain.

Il est une manière d'envisager Marie-Antoinette qui me paraît la vraie, et que je voudrais bien définir, parce que c'est de ce côté que me paraît devoir être aussi le jugement définitif de l'histoire. On peut, dans un sentiment élevé de compassion, s'éprendre d'un intérêt idéal pour Marie-Antoinette, vouloir la défendre sur tous les points, se constituer son avocat, son chevalier envers et contre tous, s'indigner à la seule idée des

taches et des faiblesses que d'autres croient découvrir dans sa vie c'est là un rôle de défenseur qui est respectable s'il est sincère, qui se conçoit très-bien chez çeux qui avaient le culte de l'ancienne royauté, mais qui me touche bien moins chez les nouveaux-venus en qui ce ne serait qu'un parti pris. Un tel point de vue n'est pas le mien; il saurait être difficilement celui des hommes qui n'ont été élevés à aucun degré dans la religion de l'ancienne monarchie, et c'est là, on n'en saurait disconvenir, le cas de l'immense majorité dans les générations actuelles et dans celles qui se préparent. Ce qui me paraît plus sûr et plus souhaitable pour cette touchante mémoire de Marie-Antoinette, c'est qu'il puisse se dégager, de la multitude d'écrits et de témoignages dont elle a été l'objet, une figure belle, noble, gracieuse, avec ses faiblesses, ses frivolités, ses fragilités peut-être, mais avec les qualités essentielles, conservées et retrouvées dans leur intégrité, de femme, de mère et par instants de reine, avec la bonté de tout temps généreuse, et finalement avec les mérites de résignation, de courage et de douceur qui couronnent les grandes infortunes. C'est par là qu'une fois établie historiquement dans cette mesure qui est belle encore, elle continuera d'intéresser à travers les âges tous ceux qui, de plus en plus indifférents aux formes politiques du passé, garderont les sentiments délicats et humains qui font partie de la civilisation comme de la nature, de tous ceux qui pleurent aux malheurs d'Hécube et d'Andromaque, et qui, en lisant le récit de malheurs pareils et plus grands encore, s'attendriront aux siens.

Mais il y a ici cette différence que la poésie seule s'est chargée de la tradition d'Andromaque et d'Hécube, et qu'on n'a pas les Mémoires de la Cour de Priam, au lieu qu'on a ceux de la Cour de Louis XVI, et qu'il n'y a pas moyen de n'en pas tenir compte. Que disent ces Mémoires sur Marie-Antoinette, je parle des Mémoires véritables et non des libelles? Que dit le comte de La Marck qui résume très-bien l'esprit de cette première époque? Arrivée à quinze ans en France, la jeune Dauphine n'en avait pas dix-neuf lorsqu'elle se trouva reine à côté de Louis XVI. Ce prince, muni d'une instruction solide et doué de toutes les qualités morales qu'on sait, mais faible, timide, brusque, rude, et particulièrement disgracieux auprès des femmes, n'avait rien de ce qu'il fallait pour diriger sa jeune

épouse. Celle-ci, fille d'une mère illustre, n'avait pu être élevée par Marie-Thérèse trop occupée des affaires d'État, et sa première éducation à Vienne avait été très-négligée. On ne lui avait jamais donné le goût ni l'idée d'une lecture sérieuse. Son esprit, assez juste et prompt, «< saisissait et comprenait rapidement les choses dont on lui parlait, » mais n'avait ni une grande étendue ni une grande portée, rien en un mot de ce qui répare le défaut d'éducation ou de ce qui supplée à l'expérience. Aimable, gaie et innocemment railleuse, elle avait avant tout << une grande bonté de cœur et un désir persévérant d'obliger les personnes qui s'adressaient à elle. » Elle avait un grand besoin d'amitié et d'intimité, et elle chercha aussitôt quelque personne avec qui elle pût se lier comme il n'est point d'usage à la Cour. Son idéal de bonheur évidemment (chacun a le sien) était, au sortir des scènes de cérémonie qui l'ennuyaient, de trouver un monde aimable, riant, dévoué, choisi, au sein duquel elle parût oublier qu'elle était reine, tout en s'en ressouvenant bien au fond. Elle aimait, si l'on peut dire, à se donner le plaisir de cet oubli, et à ne se rappeler tout à coup ce qu'elle était que pour répandre les bonnes grâces autour d'elle. On a vu, dans les opéras-comiques et dans les pastorales, de ces reines déguisées qui font ainsi la joie et le charme de ce qui les entoure. Marie-Antoinette avait cet idéal de vie heureuse qu'elle eût pu réaliser sans inconvénients si elle fût restée simple archiduchesse à Vienne, ou si elle eût simplement régné en quelque Toscane ou en quelque Lorraine. Mais, en France, elle ne put l'essayer de même impunément, et son petit Trianon avec ses laiteries, ses bergeries et ses comédies, était trop près de Versailles. L'envie rôdait autour de ces lieux trop préférés, l'envie faisant signe à la bêtise et à la calomnie.

M. de La Marck a très-bien montré les inconvénients qu'il y eut pour la reine à se restreindre d'abord si exclusivement dans le cercle de la comtesse Jules de Polignac, à donner à celle-ci, avec la qualité d'une amie, l'attitude d'une favorite, et à tous les hommes de cette coterie (les Vaudreuil, les Besenval, les Adhémar), des prétentions et des droits dont ils abusèrent si vite, chacun dans le sens de son humeur et de son ambition. Bien qu'elle ne vît jamais toute l'étendue de ces inconvénients, elle en aperçut pourtant quelque chose; elle

sentait que là où elle cherchait le repos et le délassement du rang suprême, elle retrouvait encore une obsession intéressée, et, quand on lui faisait remarquer qu'elle témoignait souvent trop de préférence à des étrangers de distinction qui passaient en France, et que cela pouvait lui nuire auprès des Français : << Vous avez raison, répondait-elle avec tristesse, mais ceux-là du moins ne me demandent rien. >>

Quelques-uns des hommes qui, admis dans cette intimité et cette faveur de la reine, étaient obligés à plus de reconnaissance et de respect, furent les premiers à parler d'elle avec légèreté, parce qu'ils ne la trouvaient pas assez docile à leurs vues. Comme elle parut, à un certain moment, s'éloigner un peu du cercle Polignac et s'habituer dans le salon de Mme d'Ossun, sa dame d'atour, « un habitué du salon Polignac (que M. de La Marck ne nomme pas, mais qui paraît avoir été un des plus considérables de ce cercle) fit contre la reine un couplet très-méchant, et ce couplet, fondé sur un infâme mensonge, alla circuler dans Paris. » C'est ainsi que la Cour même et l'intimité de la reine fournissaient le premier levain qui allait se mêler aux grossièretés et aux infamies du dehors. Pour elle, elle ignorait tout cela, et ne se doutait pas de ce qui indisposait contre elle à Versailles, pas plus que de ce qui aliénait d'elle à Paris.

Aujourd'hui encore, lorsqu'on veut citer quelque témoignage qui donne à penser contre Marie-Antoinette, le témoignage de quelqu'un qui compte, c'est dans les Mémoires du baron de Besenval qu'on le va chercher. Mandé auprès d'elle en 1778, lors du duel du comte d'Artois et du duc de Bourbon, M. de Besenval est introduit par Campan (secrétaire du cabinet) dans une chambre particulière qu'il ne connaissait pas, «< simplement, mais commodément meublée. — Je fus étonné, ajoute-til en passant, non pas que la reine eût désiré tant de facilités, mais qu'elle eût osé se les procurer. » Cette simple phrase, jetée en courant, est pleine d'insinuations, et les ennemis n'ont pas manqué de la relever.

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Ici je n'affecterai pas plus de sous-entendus qu'il n'en faut, et je ne craindrai pas de toucher le point le plus délicat. Il est des personnes dont la préoccupation consiste à nier absolument toute légèreté et toute faiblesse de cœur de Marie-Antoinette (supposé qu'il s'en rencontre quelqu'une à cette épo

que de sa vie). Pour moi, je pense hardiment que l'intérêt qui s'attache à sa mémoire, que la pitié qu'excitent son malheur et la façon généreuse dont elle l'a porté, que l'exécration que méritent ses juges et ses bourreaux, ne sauraient en rien dépendre de quelque découverte antérieure, tenant à une fragilité de femme, ni s'en trouver le moins du monde infirmés. Or, maintenant, dans l'état actuel des renseignements historiques sur Marie-Antoinette, en se rendant compte des vrais témoignages, et en se souvenant aussi de ce qu'on a ouï raconter à des contemporains assez bien informés, il est très-permis de penser qu'en effet cette personne affectueuse et vive, tout entière à ses impressions, amie des manières élégantes et des formes chevaleresques, ayant besoin tout simplement aussi d'épanchement et de protection, a pu avoir durant ces quinze années de sa jeunesse quelque préférence de cœur : ce serait plutôt le contraire qui serait bien étrange. Beaucoup d'ambitieux, beaucoup de fats, cependant, furent sur les rangs et échouèrent; il y eut des tentatives, des commencements sans nombre. Nous avons entendu Lauzun l'autre jour expliquer son aventure à sa manière : le fait est que, d'une manière ou d'une autre, il échoua. Le prince de Ligne en ce temps-là venait souvent en France, et c'était un de ces étrangers tout français et tout aimables avec lesquels se plaisait particulièrement la reine. Il avait l'honneur de l'accompagner le matin à la promenade : « C'était, dit-il, à de semblables promenades à cheval, tout seul avec la reine, quoique entouré de son fastueux cortége royal, qu'elle m'apprenait mille anecdotes intéressantes qui la regardaient et tous les piéges qu'on lui avait tendus pour lui donner des amants. Tantôt c'était la maison de Noailles qui voulait qu'elle en prît le vicomte, tantôt la cabale Choiseul qui lui destinait Biron (Lauzun), qui depuis!... mais alors il était vertueux. La duchesse de Duras, quand elle était de semaine, nous accompagnait à cheval; mais nous la laissions avec les écuyers, et c'était une des étourderies de la reine et l'un de ses plus grands crimes, puisqu'elle n'en faisait point d'autre que de négligence à l'égard des ennuyeux et ennuyeuses qui sont toujours implacables. » Ainsi, voilà la contre-partie du récit de Lauzun et la version de la reine à son tour. Je ferai toutefois remarquer qu'il n'était nullement probable que Lauzun agît pour le compte de la cabale Choiseul, avec qui il

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