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comme les dents d'une fcie, qui font les voyelles a, e,ï‚o, Tartarie Chinoife diftinguées l'une de l'autre par des points qui fe mettent à la droite de cette perpendiculaire. Si l'on met un point à l'oppofite d'une dent, c'eft la voyelle e; fi on l'omet, c'eft la voyelle a; fi l'on met un point à gauche du mot, près de la dent, ce point pour lors tient lieu de la lettre n, & il faut lire ne ; s'il y avoit un point appofé à droite, il faudroit lire na; de plus, fi à la droite du mot, au lieu d'un point on voit un o, c'est figne que la voyelle est afpirée, & qu'il faut lire ha he, en l'aspirant.

Or, un Écrivain qui veut s'exprimer poliment en Tartare, ne trouve pas d'abord le mot qu'il cherche : il rêve, il fe frotte le front, il s'échauffe l'imagination, & quand une fois il s'est mis en train, il voudroit répandre fa pensée fur le papier, fans prefque l'écrire.

Il forme donc la tête du caractere, & tire la perpendiculaire jusqu'en bas; c'est beaucoup s'il met un ou deux points. Il continue de même jufqu'à ce qu'il ait exprimé sa pensée. Si une autre pensée suit de près la premiere, il ne fe donne pas le temps de relire; il continue fes lignes jufqu'à ce qu'il arrive à une transition difficile; alors il s'arrête tout court, il relit fes perpendiculaires, & y ajoute quelques traits dans certains endroits.

Si en relifant il voit qu'il ait omis un mot, il l'ajoute à côté, en faisant un figne à l'endroit où il devoit être placé; s'il y en a un de trop, ou s'il eft mal placé, il ne l'efface pas, il l'enveloppe d'un trait oval; enfin, fi on lui fait remarquer, ou s'il juge lui-même que le mot est bon, il ajoute à côté deux oo; ce figne le fait revivre, & avertit le Lecteur de cette résurrection.

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Cette quatrieme façon d'écrire ne laiffe pas d'être lifible, quand on est au fait de la matiere qui fe traite, ou qu'on a quelque habileté dans la Langue. Celui qui tient le pinceau, jette sur le papier ce qu'il pense ou ce qu'on lui dicte, fans chercher autre chofe que la vérité & l'exactitude : après cette premiere opération, c'est à lui à travailler & à compofer l'ouvrage.

Quoique pendant ce temps-là d'autres s'entretiennent ensemble, fon travail n'en eft point interrompu, il n'entend même rien de ce qui fe dit: on l'accoutume dès fa jeunesse à cette application. Il compofe donc tranquillement au milieu du bruit, & cherche les expreffions propres de fon sujet. Ainsi il rêve, il cherche de nouveaux tours, il examine fcrupuleusement les termes, la précision, la netteté, l'ordre du discours, jusqu'à ce qu'il foit content: car dans la Langue Tartare, comme dans la plupart des autres, il n'est aucun fujet qu'on ne puiffe traiter d'un style clair, poli, élégant.

Quoiqu'on fe ferve communément du pinceau pour écrire, il y a cependant des Tartares qui emploient une espece de plume, faite de roseau de bambou, & taillée à peu près comme les plumes d'Europe; mais comme le papier de la Chine est sans alun & fort mince, le pinceau Chinois eft plus commode que la plume.

Les caracteres Tartares font de telle nature, qu'étant renversés, on les lit également; de forte que fi un Tartare vous préfente un livre ouvert dans le fens ordinaire, & fi vous le lifez lentement, lui, qui ne voit les lettres qu'à rebours, lira plus vîte que vous, & vous préviendra lorsque vous hésiterez. De là vient qu'on ne fauroit écrire en Tartare, fans que ceux qui fe trouvent dans la même falle, & dont la Р

Tartaric Chinoife

orientale.

Tartarie Chinoife orientale.

vue peut s'étendre jufque fur l'écriture, en quelque fens qu'elle foit, ne puiffent lire ce que vous écrivez, fur-tout fi l'on fe fert de grandes lettres.

Il n'y a point de Tartare qui ne préfere fa Langue naturelle à celles de toutes les autres Nations, & qui ne la regarde comme la plus riche, la plus belle, la plus harmonieuse qui foit parlée dans l'Univers. Le P. Parrenin eut un jour beaucoup de peine à guérir de cette prévention le fils aîné de l'Empereur. La conversation intéressante qu'il eut avec lui fur ce fujet, mérite d'être rapportée; elle fervira de développement aux notions que nous venons de donner fur la Langue Tartare.

» Ce Prince, dit-il, qui avoit alors trente-cinq ans, » s'étoit perfuadé qu'on ne pouvoit bien rendre le fens de » fa Langue naturelle, & encore moins la majesté de son style, en aucune des Langues d'Europe, qu'il appeloir » barbares il voulut en faire l'épreuve, & pour s'en convaincre, il me fit venir un jour chez lui.

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» J'ai à écrire au P. Suarez, me dit-il, pour lui recon"mander une affaire importante; mais comme il n'entend point le Tartare, je vous dicterai ce que j'ai à lui mander, » & vous le traduirez en Latin, qui eft, comme vous me » l'avez dit, une Langue commune en Europe à tous les » Gens de Lettres.

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» Rien de plus aifé, lui répondis-je en prenant la plume, car le papier étoit déjà préparé fur la table. Le » Prince commença d'abord par une longue période qu'il » n'acheva pas tout-à-fait, & me dit de traduire. Je le priai de dire tout de fuite ce qu'il vouloit mander, après quoi je le mettrois en latin. Il le fit en fouriant,

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» comme s'il eût cru que je cherchois à éluder la diffi» culté.

» La traduction fut bientôt faite; je lui demandai quellé » fufcription il vouloit que je miffe à la lettre ; metteż » celle-ci, me répondit-il: Paroles du fils aîné de l'Empereur, » à Sou-lin ( c'étoit le nom Chinois du P. Suarez.) Je le » fis, & je lui présentai la lettre, affectant de ne la pas » relire.

» Que fais-je, me dit-il, ce que vous avez écrit ? est-ce ma pensée? eft-ce la vôtre? n'avez-vous rien » oublié, changé, ajouté? N'est-ce pas quelque piece que » la mémoire vous a fournie? car j'ai remarqué qu'en » écrivant vous n'avez fait aucune rature, & que vous ne » transcriviez pas comme nous faisons nous autres. » Une fi petite lettre, lui dis-je, ne demande pas qu'on » fe donne tant de peine; la premiere main fuffit quand » on fait la Langue.

» Bon! me dit-il, vous voulez me prouver que vous » favez le Latin, & moi je veux m'affurer que votre tra» duction eft fidele. Dites-moi donc en Chinois ce que je vous ai dicté en Tartare, & que vous dites avoir mis » en Latin: je le fis auffi-tôt, & il en fut furpris.

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» Cela n'est pas mal; ajouta-t-il, & fi la réponse qui » viendra eft conforme à ce que vous venez de dire, je » ferai détrompé; mais il faut que le P. Suarez me réponde » en Chinois : car s'il répondoit en Langue Européenne, → vous pourriez me donner une réponse de votre façon: » Je l'affurai qu'il feroit obéi, & que la réponse feroit » conforme à fa lettre.

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» Je vous avoue, répliqua le Prince, que je vous ai

Tartarie Chinoife

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Tartarie Chinoife

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» fait appeler, plutôt dans le deffein d'éprouver ce que » vous faviez faire, que par le befoin que j'eusse d'écrire » à Pe-king. Quand je confidere vos livres d'Europe, je » trouve que la couverture en eft bien travaillée, & que » les figures en font bien gravées; mais les caracteres me déplaisent fort; ils font petits, & en petit nombre, » mal distingués les uns des autres, & font une efpece de » chaîne, dont les anneaux feroient un peu tortillés, ou plutôt ils font semblables aux vestiges que les mouches » laiffent fur des tables de vernis, couvertes de pouffiere. » Comment peut-on avec cela exprimer tant de pensées » & d'actions différentes, tant de chofes mortes & » vivantes? Au contraire, nos caracteres, & même ceux » des Chinois, font beaux, nets, bien diftingués; ils font » en grand nombre, & l'on peut choifir; ils fe préfentent » bien aux Lecteurs, & réjouiffent la vue. Enfin, notre Langue eft ferme & majeftueuse, les mots frappent agréablement l'oreille, au lieu que quand vous parlez les » uns avec les autres, je n'entends qu'un gazouillement perpétuel, assez semblable au jargon de la province de "Fo-kien.

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» Ce Prince ne trouve pas mauvais qu'on le contredife: » auffi je faifis l'occafion qu'il me présentoit de défendre » nos Langues Européennes. Je commençai cependant, » felon la coutume du pays, par avouer qu'il avoit raison; » ce mot plaît aux Princes Orientaux, & les difpofe à » écouter les raisons par lefquelles on leur prouve invin » ciblement qu'ils ont tort.

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"J'accordai donc au Prince que la Langue Tartare étoit » affez majestueufe; qu'elle étoit propre à décrire les hauts

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