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fur les rochers les plus efcarpés, & marchent avec une vîteffe incroyable fur les terreins les plus pierreux, fans qu'ils en reçoivent la moindre incommodité.

La coiffure de leurs femmes eft finguliere. Elles se posent transversalement fur la tête une petite planche légere, longue de plus d'un pied, & large de cinq à fix pouces; elles recouvrent cette planche de leurs cheveux, & les y attachent avec de la cire. Le beau fexe Miao-tfé trouve cette coiffure charmante, & ne femble point s'appercevoir de la gêne à laquelle elle affujettit celles qui la portent; car elles ne peuvent fe coucher qu'en se foutenant fur le col, & elles font obligées de détourner continuellement la tête le long des chemins, pour éviter les brouffailles dont leur pays eft couvert. La difficulté devient encore plus grande, lorsqu'elles veulent fe peigner, ce qui leur arrive trois ou quatre fois par an. Il faut qu'elles paffent des heures entieres auprès d'un grand feu, pour fondre & faire couler la cire. Dès qu'elles ont nettoyé leurs cheveux, elles les arrangent de nouveau, & fe recoiffent de la même maniere. Cette efpece de chapeau de cheveux n'eft en ufage que pour les jeunes femmes; car les plus agées donnent moins de foins à leur coiffure; elles se contentent de relever leurs cheveux, & de les nouer fur le haut de la tête.

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La plus grande partie des Miao-tfé font indépendans; mais il en est quelques-uns de foumis à la domination Chinoise tels font ceux qui fe trouvent vers le milieu & au midi de la province de Koei-tcheou. On distingue parmi eux deux fortes de Gouvernemens. Les uns obéissent aux Mandarins de la province, & font partie du peuple

Autres Peuples foumis à la domination Chinoift.

foumis à la domi

nation Chinoife.

Chinois, dont ils ont adopté les ufages : une coiffure Autres Peuples particuliere, & différente du bonnet ordinaire que portent les Chinois, est la feule marque diftinctive qu'ils aient confervée. Les autres font foumis à des Mandarins héréditaires, & qui font cenfès nationaux, quoiqu'ils foient Chinois d'origine, puifque les premiers étoient de petits Officiers de l'armée de Hong-vou, à qui, pour récompenfe de leurs fervices, on conféra le gouvernement d'un certain nombre de villages Miao-tfé conquis. Ces petits Seigneurs jugent en premiere inftance les caufes de leurs vaffaux; ils ont le droit de les châtier, mais non de les condamner à mort. On appelle immédiatement de leur tribunal à celui du Tchi-fou, & ils ne jouiffent que des droits du Tchi-hien (*).

Les Chinois marquent le plus fouverain mépris pour toute la nation Miao-tfé. Ce font, difent ils, des peuples volages & encore barbares; des hommes fans foi, fans probité, & fur-tout d'infignes brigands. Mais le P. Regis & les autres Miffionnaires qui ont dreffé la Carte de leur pays, n'en rendent pas le même témoignage. Ils affurent au contraire qu'ils ont trouvé les Miao-tfé actifs, laborieux, obligeans, & très- fideles à leur remettre les hardes & les autres effets qu'ils leur avoient confiés. Ces Montagnards, de leur côté, ne déteftent pas moins les Chinois, qu'ils regardent comme des maîtres durs & intraitables, qui, dans l'impuiffance de les affujettir & de les réduire au rang de leurs efclaves, les tiennent

(*) Tchi-fou, Gouverneur d'une ville du premier ordre. Tchi-hien, Gouverneur d'une ville du troifieme ordre.

bloqués dans leur pays, & leur ôtent toute communica

Autres Peuples

foumis à la domi

tion avec les peuples voisins. L'existence libre & indépendante de ces Montagnards nation Chinoife. au sein d'un Empire auffi puiffant que la Chine, paroîtra fans doute extraordinaire aux Politiques d'Europe. Comment, diront-ils, des Empereurs, dont on exalte la pu laiffer fageffe & le zele pour le bien public, ont-ils fubfifter depuis fi long-temps cette nation de brigands? Comment n'ont-ils pas encore pensé à fe fervir du peuple innombrable qui furcharge la Chine, pour exterminer ou affujertir ces ennemis domestiques, qui portent tous les jours le ravage dans les provinces ? Cette réflexion, qui a déjà été faite plufieurs fois, paroît naturelle: Mais ce qui convient à nos Gouvernemens d'Europe, dit le P. Parennin, n'est pas toujours applicable à celui de la Chine. Outre les dépenfes énormes qu'entraîneroit une pareille entreprise, elle ne pourroit avoir que des fuites funeftes.

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Suppofons, en effet, continue ce célebre Miffionnaire, que l'Empereur veuille faire marcher cent mille hommes de bas peuple; il ne pourra pas les tirer tous du voifinage des Miao-tfé, fans faire abandonner la culture des terres & fans troubler, dans plufieurs provinces, la tranquillité du commerce. Il faudra donc les faire venir de loin, raffembler les gens oififs des villes, la canaille, les Manœuvres qui vont prefque nus, les habiller, les habiller, les armer, leur donner des Officiers pour les conduire, les mêler parmi des foldats difciplinés qui puiffent les contenir : fans cette derniere précaution, cette multitude fe répandroit bientôt de tous côtés, pilleroit & ravageroit le plat

pays.

nation Chinoife.

Suppofons encore que cette canaille armée ait le couAutres Peuples rage de grimper fur ces affreufes montagnes; il eft certain foumis à la domi- d'abord qu'un très-grand nombre y périra. S'il arrive que les affaillans reculent, on aura manqué l'entreprise. Mais que deviendront ces fuyards? Quelle désolation ne porteront-ils pas dans toutes les contrées voifines? S'ils font au contraire affez braves pour forcer les Miao-tfé à leur céder le pays, charmés d'y trouver des cabanes prêtes à les recevoir, des terres défrichées, des troupeaux & toutes les chofes néceffaires à la vie, ils s'y établiront, & deviendront eux-mêmes des Miao-tfé plus dangereux & plus redoutables que ceux dont ils auront pris la place.

D'ailleurs, quelque incommodes voifins que foient les Miao-tfé, peut-être ne feroit-il pas avantageux à la Chine de parvenir à les exterminer. Les montagnes qu'ils habitent font remplies d'ours, de tigres, de léopards, qu'ils détruifent dans leurs chaffes fréquentes. Si ces montagnes étoient désertes, bientôt ces animaux féroces s'y multiplieroient, & fe jetteroient enfuite fur tous les pays circonvoifins, où ils exerceroient mille ravages. Il eft donc nécessaire que toutes ces gorges foient habitées; mais par quelque nation qu'elles le foient, les peuples y deviendront bientôt fauvages & indépendans, à la faveur de la vaste étendue de terrein qu'enferment ces montagnes, & de la difficulté qu'il y a d'y pénétrer.

Quelque jufteffe & quelque folidité que paroiffent avoir ces réflexions du P. Parennin, il n'en eft pas moins vrai que l'impoffibilité prétendue où l'on nous représentoit les Chinois de foumettre les Miao-tfé, vient d'être démentie

par

nation Chinoife.

par l'événement. Ces redoutables Montagnards, libres & indépendans depuis deux mille ans, font enfin afsujettis; Autres Peuples & ce fait éclatant doit, au jugement des Chinois, former foumis à la domi l'une des plus mémorables époques de leur Histoire. Le nom de KIEN-LONG fera placé par eux parmi les noms de leurs plus célebres Empereurs : c'est à son génie actif, fécond en reffources, ferme & perfévérant dans fes plans, qu'eft due cette heureuse révolution. Les plus puiffans comme les plus indociles des Miao-tfe étoient ceux qui formoient, fur les frontieres de Se-tchuen & du Koei-tcheou, deux petits Etats, dont l'un s'appeloit le grand Kintchouen, & l'autre le petit Kin- tchouen. Chacun de ces Etats étoit gouverné par un Prince particulier. Il y a environ vingt-cinq ans (*) que les Miao-tfé firent quelques dégâts fur les terres de l'Empire; on arma contre eux. Le premier Général qui alla les attaquer, ne méritoit pas de réuffir; il eut la tête tranchée. Son fucceffeur, plus adroit, compofa avec ces demi-fauvages; il leur fit diftribuer de grands préfens, avec lefquels ils rentrerent dans leurs montagnes. On eut foin de dire à l'Empereur, que les Miao-tfé étoient rentrés dans leur devoir, qu'ils avoient mis bas les armes, & le reconnoiffoient pour maître. Cependant les hoftilités recommencerent, il y a cinq ou fix ans. L'Empereur en fut extrêmement irrité, & prit dèslors la réfolution d'exterminer ces fujets turbulens: il fit envelopper leurs montagnes par trois armées, compofées chacune d'environ quarante mille combattans. Le Général Ou-en-fou eut ordre de grimper fur ces affreufes montagnes.

(*) Ces détails font extraits d'une Lettre écrite de Pe-king en 1777

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