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bœufs ont une bride, une felle & la croupiere: un Chinois est tout auffi grave & auffi fier fur cette monture, que s'il étoit porté par le plus fin cheval d'Efpagne.

Des eaux potables & falubres font la feule chofe qui manque, à l'ifle de Formofe: il eft bien extraordinaire que 'toutes ces eaux foient, pour les étrangers, un poison contre lequel on n'a pu jufqu'ici trouver aucun remede. » Un domestique du Gouverneur que j'avois à ma suite, "dit le P. de Mailla, homme fort & robuste, se fiant sur

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la force de fa complexion, ne voulut point croire ce » qu'on lui difoit de ces eaux; il en but, & mourut en moins de cinq jours, fans qu'aucun cordial ni contrepoifon pût le tirer d'affaire. Il n'y a que les eaux de la capitale dont on puiffe boire; les Mandarins du lieu » eurent foin d'en faire voiturer fur des charrettes pour »notre usage «. Le P. de Mailla auroit bien dû nous apprendre fi ces eaux produifent le même effet sur les naturels du pays. Il ajoute, qu'au pied d'une montagne, diftante d'une lieue de Fong-kan-hien, on trouve une fource qui produit un ruiffeau, dont l'eau eft d'un bleu blanchâtre, & d'une infection qui n'eft pas fupportable.

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Il y a peu de mûriers dans l'isle de Formofe, & parconféquent peu de foieries fabriquées dans le pays; mais on ne tarderoit pas à y introduire de nombreuses manufactures, s'il étoit permis indiftinctement à tous les Chinois de se transporter dans cette ifle pour y former des établisfemens. Pour y paffer, il faut être muni de paffe-ports des Mandarins de la Chine, & ces paffe-ports fe vendent fort cher; de plus, on exige des cautions. Ce n'eft pas tout lorsqu'on arrive dans l'ifle, il faut encore donner

Autres Peuples

foumis à la domination Chinoise.

foumis à la domination Chinoife.

de l'argent au Mandarin qui eft chargé d'examiner ceux Autres Peuples qui entrent ou ceux qui fortent, fonction dont il s'acquitte avec une sévere exactitude. Si l'on n'offre rien, ou peu de chofe, on doit s'attendre à être impitoyablement renvoyé, nonobftant le meilleur paffe-port. La politique Chinoise favorife ces exactions, pour empêcher qu'un trop grand nombre de personnes ne passent dans cette isle, que sa proximité de la Chine rend un lieu très-important. On craint, avec raison, fur-tout depuis le regne des Empereurs Tartares, que fi quelque révolte venoit à éclater dans Formofe, il n'en réfultât de grands troubles pour tout l'Empire. Auffi les Tartares y tiennent-ils une garnifon de dix mille hommes, qu'on a foin de changer tous les trois ans, ou même plus fouvent, fi quelque raison l'exige.

Outre la capitale dont nous avons parlé, les Chinois ont encore deux autres villes & quelques bourgades où ils habitent feuls; car ils ne permettent point aux Indiens, leurs fujets, d'y demeurer parmi eux; ils ne fouffrent dans leurs habitations que ceux qui leur tiennent lieu d'efclaves & de domestiques. Ces Indiens font réunis en quarante-cinq villages, dont trente-fix font au nord, & neuf au midi. Les bourgades du nord font affez peuplées, & les maisons y font à peu près construites comme celles des Chinois. Les habitations des Infulaires méridionaux ne font qu'un amas de huttes & de cabanes de terre. Ils n'ont dans ces huttes, ni chaifes, ni bancs, ni table, ni lit, ni aucun meuble; le milieu eft occupé par une espece de cheminée ou fourneau, élevé de terre de deux pieds, fur lequel ils font leur cuifine. Leur nourriture ordinaire eft le riz, d'autres menus grains, & le gibier

qu'ils

Autres Peuples

qu'ils prennent à la course, ou qu'ils tuent avec leurs armes. Ces Infulaires courent avec une légèreté furpre- foumis à la dominante; ils pourroient difputer de vîtesse avec le lévrier le nation Chinoise. plus agile. Les Chinois attribuent cette légèreté à la précaution qu'ils prennent de fe ferrer fortement les genoux & les reins jufqu'à l'âge de quatorze ou quinze ans. Leur arme favorite eft le javelot, qu'ils lancent à la distance de soixante ou quatre-vingts pieds avec une extrême précision. Ils fe fervent de l'arc & des fleches, & percent au vol un faisan auffi sûrement qu'on le tue en Europe avec le fufil. Ces peuples font très-mal-propres dans leurs repas; ils n'ont ni plats, ni affiettes, ni cuillers, ni fourchettes, ni les bâtonnets dont on fait usage à la Chine; les alimens qu'ils ont préparés fe mettent fur une fimple planche ou fur une natte, & ils fe fervent de leurs doigts pour les porter à la bouche. Ils mangent la chair demi-crue; & pourvu qu'elle ait été présentée au feu, elle leur paroît excellente; des feuilles fraîchement cueillies forment leur lit. Ils vont presque nus, & ne portent qu'une fimple toile, qui leur tombe depuis la ceinture jufqu'aux genoux. Ceux d'entre eux qui, au jugement des notables de la bourgade, ont remporté le prix de l'agilité à la course ou de l'adreffe à la chaffe, obtiennent l'honorable privilége de pouvoir se faire graver fur la peau, par une opération trèsdouloureuse, plusieurs figures bizarres de fleurs, d'arbres, d'animaux. Tous ont le droit de fe noircir les dents, & de composer leur parure de bracelets & de couronnes de coquillages ou de cristal.

Les Infulaires qui habitent la partie du nord, où le climat eft un peu moins chaud, s'habillent de la peau

Y

des cerfs qu'ils tuent à la chaffe; ils s'en font une espece Autres Peuples d'habit fans manche, affez femblable à une dalmatique. foumis à la domi- Ils portent un bonnet en cylindre, formé de feuilles de palmier, orné de plufieurs couronnes pofées les unes fur

nation Chinoife.

les autres, & furmontées d'une aigrette de plumes de coq ou de faifan.

Les mariages des habitans de Formofe ne s'éloignent pas des loix de la fimple Nature: on n'achete point parmi eux, comme à la Chine, les femmes qu'on épouse, & l'intérêt ne préside jamais à ces unions. Les peres & les meres ne font prefque pas confultés. Un jeune homme veut-il se marier, & a-t-il enfin fixé fes vûes fur quelque fille? il fe rend plufieurs jours de fuite à fa porte avec ün instrument de musique. Si la fille eft fatisfaite de la tournure de fon amant, elle fort & va le joindre ; ils ftipulent & reglent entre eux leurs conventions matrimoniales enfuite ils en donnent avis à leurs : peres & meres. Ceux-ci préparent le feftin de noces, qui fe fait toujours dans la maison de la fille, où le jeune homme demeure fans retourner jamais chez fun pere. Dès-lors, le jeune époux regarde la maison de fon beau pere comme la fienne propre il en devient déformais le foutien ; & la maison de fon véritable pere n'eft plus pour lui que ce qu'elle est à l'égard des filles en Europe, qui quittent la maison paternelle pour aller demeurer avec leurs époux. Auffi ces Infulaires ne forment-ils point de vœux pour obtenir des enfans mâles : ils préferent les filles, parce qu'elles leur procurent des gendres qui deviennent l'appui de leur vieilleffe.

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Quoique ces Infulaires foient entiérement foumis aux

Autres Peuples foumis à la domi

Chinois, ils confervent encore quelques reftes de leur ancien gouvernement. Chaque bourgade fe choifit trois ou quatre anciens parmi ceux qui jouiffent de la plus nation Chinoife. grande réputation de probité. Ils deviennent, par ce choix, les Chefs & les Juges du refte de l'habitation. Ce font eux qui terminent en dernier reffort tous les différends; & fi quelqu'un refufoit de s'en tenir à leur jugement, il feroit chaffé à l'instant de la bourgade, fans espérance de pouvoir jamais y rentrer, & fans qu'aucune autre bourgade ofe le recevoir.

Les naturels de Formofe payent en grains le tribut auquel ils font affujettis par les Chinois. Pour régler tout ce qui concerne l'impofition & la perception de ce tribut, le Gouvernement a établi dans chaque bourgade un Chinois, qui doit en apprendre la Langue & fervir d'Interprete auprès des Mandarins. Ces Interpretes font les plus cruels exacteurs de ce peuple, dont ils devroient protéger la misere ; rien ne peut fatisfaire l'avidité de ces infatiables fang-sues. Cette tyrannie journaliere & domestique a déjà caufé la défection de trois bourgades dans la partie du fud de l'ifle, où elles étoient autrefois au nombre de douze : les habitans de ces villages fe font révoltés, ont chaffé leurs Interpretes, ne payent plus de tribut à la Chine, & se font unis à la nation indépendante qui habite la partie de l'eft.

C'est dans l'isle de Formofe que Jean Struys affure avoir vu de fes propres yeux un homme qui avoit une queue longue de plus d'un pied, recouverte d'un poil roux, & fort femblable à celle d'un bœuf. Cet homme à queue difoit que ce défaut, fi c'en étoit un, venoit du climat,

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