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LIVRE TROISIEME.

ÉTATS TRIBUTAIRES DE LA CHINE.

ARTICLE PREMIER.

De la Corée.

LA Corée, que les Chinois appellent Kao-li, & les Tartares Mantcheoux Solho, est une grande péninfule De la Corée. qui s'étend entre la Chine & le Japon. Elle eft terminée au nord par la Tartarie Chinoise, à l'orient par la mer & les ifles du Japon, au midi par l'Océan, & par le golfe & la province de Leao-tong à l'occident. On donne communément à ce royaume deux cents lieues de longueur du sud au nord, fur cent de largeur d'occident en orient. Le grand nombre d'écueils & de bancs de fable qui environnent les côtes de cette péninfule, en rendent l'abord par mer auffi difficile que dangereux. Sa moindre distance au Japon n'est que de vingt-cinq lieues.

L'origine des Coréens eft fort obscure: il paroît que cette péninfule a été d'abord habitée par différens peuples, dont les principaux étoient les Mé, les Kao-kiouli, & les Han; ces derniers fe fubdivifoient en trois hordes, les Ma-han, les Pien-han & les Chin-han. Ces premiers habitans de la Corée compofoient plufieurs Etats, tels qu'étoient celui de Tchaoffien & celui de Kaoli. Dans la fuite ils furent réunis fous une même dénomination, &

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De la Corée.

ne formerent plus qu'un feul royaume, qui fut appelé Kaoli.

Les Coréens ne font pas difficulté de regarder leurs anciens Chefs comme autant de Héros iffus de quelque Divinité. Voici ce qu'ils racontent d'un de leurs premiers » Rois. Le Prince des Kao-kiouli, difent-ils, avoit fous » sa puissance une fille du fleuve Hoang-ho, qu'il tenoit » enfermée dans une maison. Un jour qu'elle fut frappée » des rayons du foleil, elle conçut, & accoucha quelque » temps après d'un œuf gros comme un boiffeau; on » le rompit, & l'on y trouva un enfant mâle. Quand il » fut grand, on lui donna le nom de Chu-mony, qui

fignifie bon Archer. Le Roi le fit Intendant de fes » haras. Chu-mony laiffa maigrir les bons chevaux, & »eut au contraire grand foin d'engraiffer les mauvais. » Le Roi retenoit les gras pour lui, & abandonnoit les » maigres à l'Intendant. Un jour fe trouvant à la chaffe, » le Roi lui donna la liberté de tirer fur le gibier qui » fe préfenteroit à lui: il tua un grand nombre de bêtes » fauves; ce qui infpira de la jaloufie au Roi, & lui fit » naître la pensée de s'en défaire. Chu-mony, qui s'ap» perçut du deffein du Roi, prit la fuite. Il trouva une » riviere dont le trajet étoit difficile; cependant on le pourfuivoit vivement: Hé quoi! dit-il, moi qui fuis fils du Soleil, & petit-fils du Dieu Hoang-ho, je me » verrai arrêter fur le bord de cette riviere, fans pouvoir franchir cet obftacle qui fe préfente à ma retraite? A peine eut-il achevé ces mots, que les poiffons, se » ferrant les uns contre les autres, lui firent un pont de

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» leurs corps, fur lequel il paffa. Quand il fut arrivé à

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» l'autre bord, il vit trois perfonnes, dont l'une étoit » vêtue de toile de chanvre, l'autre portoit un habit piqué, & la troifieme étoit couverte d'herbes aquatiques. Elles l'accompagnerent à la ville de Kii-ching» kou, où il prit le nom de Kao, afin de marquer qu'il étoit de la race des Kao-kiouli «.

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Telle est l'Hiftoire fabuleufe du commencement des Coréens, que nous croyons être Tartares d'origine.

Ce royaume eft gouverné par un Souverain qui exerce une autorité absolue fur fes Sujets, quoiqu'il foit luimême vassal & tributaire de l'Empereur de la Chine. Auffi-tôt que ce Prince eft mort, l'Empereur députe vers fon fils deux Grands de fa Cour, pour lui conférer le titre de Koué-vang, c'est-à-dire, de Roi. Lorsque le Roi de Corée craint que fa fucceffion ne caufe des troubles après fa mort, il nomme de fon vivant un Prince héritier, & il prie l'Empereur de le confirmer. Le Prince reçoit genoux l'inveftiture de fes Etats, & fait diftribuer aux Envoyés de l'Empereur une fomme de 800 taëls, & plufieurs préfens déterminés par l'usage. Le Miniftre de Corée vient ensuite à Pe-king se profterner devant l'Empereur, & lui offrir le tribut. La Princeffe, épouse du Roi, ne peut prendre elle-même le titre de Reine, qu'après l'avoir reçu de la Cour de Pe-king.

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Les Japonois avoient fait la conquête de ce royaume vers la fin du XVIe fiecle; mais les Coréens, aidés par les Tartares conquérans de la Chine, les chafferent de leur pays. Les Mantcheoux, maîtres de la Corée, voulurent enfuite forcer leurs nouveaux Sujets à fe rafer la tête comme eux, & à fe vêtir à la Tartare. Cette innovation

De la Corée.

De la Corée.

irrita les efprits, & produifit dans toute la Corée une révolte générale, qui fut enfin calmée par les foins de la famille régnante.

Quoique l'intérieur de ce royaume foit encore assez peu connu, on fait qu'il fe divife en huit provinces, qui, toutes ensemble, contiennent quarante districts, trentetrois villes du premier ordre, cinquante-huit du fecond, & foixante-dix du troisieme. King-kitao, fituée dans la province de King-ki, est la capitale de tout le royaume, & la réfidence ordinaire du Souverain. Ce Prince eft le maître absolu de tous les biens de fes Sujets, dont il hérite après leur mort. Il exerce sur ses peuples une justice févere : le meurtre, le vol & l'adultere y font punis par des fupplices particuliers. Chaque feptieme année, toutes les Provinces font obligées d'envoyer fucceffivement à sa Cour tous les hommes libres qu'elles contiennent, pour y faire, pendant deux mois, la garde auprès de fa perfonne de forte que, durant cette année, toute la Corée eft en mouvement & fous les armes.

Les Coréens font bien faits, adroits, braves, & dociles. Ils aiment la danfe, la mufique, & montrent d'heureuses difpofitions pour les Sciences, auxquelles ils s'appliquent avec ardeur, & qu'ils honorent d'une maniere particuliere. Les Gens de Lettres fe diftinguent du peuple par deux plumes qu'ils portent au bonnet. Lorsque des Marchands préfentent aux Coréens des Livres qu'ils veulent vendre, ceux-ci, par refpect, fe parent de leurs plus beaux habits, & brûlent des parfums avant que de traiter du prix.

Les Coréens feptentrionaux font plus grands & plus robuftes que ceux du midi; ils ont du goût pour les

armes, & deviennent d'excellens foldats. Ils fe fervent, dans les combats, d'arbaletes & de fabres fort longs.

Les Coréens n'enterrent les morts que trois ans après leur décès; ils portent le deuil de leur pere & de leur mere durant trois ans, & celui de leurs freres pendant trois mois. Lorsqu'ils ont fait la cérémonie de l'inhumation, ils placent autour du tombeau les habits, les chars, les chevaux, & tout ce que le mort a le plus aimé; il est d'usage que tout cela foit abandonné à ceux qui ont affifté aux funérailles.

Leurs maisons n'ont qu'un feul étage, & font affez mal bâties; elles font de terre à la campagne, & communément de brique dans les villes, mais couvertes de chaume. Les murailles de leurs villes font conftruites à la Chinoise, avec des tours carrées, des creneaux & des portes voûtées.

Ces Peuples ont emprunté des Chinois la plupart de leurs ufages, leur écriture, la forme de leur habillement, leur culte & leurs cérémonies religieufes, la croyance de la tranfmigration des ames. Leurs femmes font moins refferrées qu'à la Chine, & ont la liberté de paroître dans les affemblées des hommes; ce qui leur attire souvent, de la part de leurs voifins, des farcasmes & des plaifanteries. Les Coréens different encore des Chinois par la forme de leurs mariages. Ce font les peres & meres à la Chine qui marient leurs enfans, fouvent à leur infçu; dans le royaume de Corée, ce font les parties contractantes qui fe choififfent ellesmêmes, fans avoir égard aux difpofitions de leurs parens, & fans que ceux-ci puissent mettre obstacle à leur union. Les principales productions de la Corée font le froment,

De la Corée.

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