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mens ont pu former fucceffivement la totalité de ce golfe, dont l'existence ancienne paroît fi mal s'accorder avec la réfidence d'un Roi de Corée dans le territoire de Yong-ping-fou? Il est vrai que l'Hiftoire Chinoise ne fait point mention d'un bouleversement phyfique auffi confidérable; mais parle-t-elle davantage des cinq cents lys de terrein qu'occupe aujourd'hui la mer au delà de la montagne Kie-che-chan? D'ailleurs, de tous les changemens qu'éprouve la surface de notre globe, l'Histoire ne confacre dans fes Fastes que ceux qui fe font d'une maniere subite & éclatante: elle parlera, par exemple, d'un tremblement de terre extraordinaire, d'une ville engloutie, d'une montagne transportée; mais elle fe tait ordinairement fur ces déplacemens infenfibles qui s'operent avec lenteur & fans alarmer la Nature. Ces fortes de faits ne s'obfervent qu'après une longue fuite d'années, & ils échappent presque toujours à l'attention des Peuples comme à celle des Hiftoriens.

De la Corée.

ARTICLE II.
Du Tong-king.

LES Royaumes du Tong-king & de la Cochinchine formoient autrefois une des plus vaftes provinces de la Du Tong-king. Chine, qu'on nommoit Ngan-nan, repos auftral. Trois cents ans avant l'Ere chrétienne, ces pays étoient encore incultes, & n'étoient habités que par des peuples fauvages. Ils n'avoient ni livres ni caracteres, ne connoiffoient aucune forme de gouvernement, & n'observoient aucune

regle dans les mariages. Ce ne fut, dit-on, que l'an 214 Du Tong-king avant J. C., que ces contrées commencerent à changer

de face. Le fameux Ki-hoang-ti, Empereur de la Chine,
ayant récemment conquis le Tong-king & la Cochinchine,
fit raffembler des diverfes parties de fon Empire, plus
de cinq cent mille personnes, qu'il envoya dans les ex-
trémités méridionales des provinces de Quang-fi & de
Canton, & dans le Tong-king & la Cochinchine. L'ar-
rivée d'une fi nombreuse Colonie remplit ces deux
royaumes de familles Chinoifes qui s'y établirent, & c'est
par elles que les caracteres, le gouvernement & la reli-
gion des Chinois commencerent peu à peu à s'y introduire.
Mais les peuples du Tong - king se lafferent bientôt
d'avoir les Chinois
pour maîtres ; ils fe liguerent
avec les Cochinchinois, & réunirent leurs forces pour
fecouer ce joug étranger. Deux Dames Tonquinoises se
mirent à la tête des révoltés; elles étoient fœurs, &
avoient toutes deux les qualités guerrieres qui forment les
Héroïnes. Elles firent fortifier les frontieres, difciplinerent
des troupes nombreuses, & les animerent à la défense
de la Patrie. Le Général Mayven, qui fut envoyé contre
elles à la tête d'une armée formidable, eut befoin de
tout fon courage & de toute fon habileté dans l'art mili-
taire, pour attaquer avec fuccès l'armée Tong-kinoise.
Le terrein lui fut intrépidement difputé, & il ne put
avancer qu'en livrant fans ceffe de nouveaux combats.
Dans toutes les actions, les deux Héroïnes firent égale-
ment admirer leur intelligence & leur bravoure. Elles
périrent enfin, les armes à la main, dans une bataille
fanglante, qui fut livrée près du lac Sy-hou. Les troupes

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Tong-kinoises furent taillées en pieces, & le Tong-king
fut foumis. Cette bataille fut donnée vers l'an 50 de notre
Ere. Le Général Chinois fit élever deux colonnes d'airain,
fur les limites qui féparent le Tong-king de la province
de Quang-fi. Ces colonnes, qui subsistent encore, portent
cette infcription: Quand ces colonnes feront détruites
le Tong-king périra. Les Tong-kinois regardent aujour-
d'hui cette infcription comme une prophétie, & ces
colonnes comme un monument auquel eft attachée la
destinée de leur royaume; auffi ont-ils un foin extraor-
dinaire de les conferver en les mettant à l'abri des injures
de l'air. On prétend que le même Général fit élever de fem-
blables colonnes fur les confins du Tong-king & de la pro-
vince de Canton. Celles-ci ne fubfiftent plus; il faut ou
qu'elles aient été détruites, ou qu'on les ait transportées
ailleurs, puifqu'on a fait en différens temps d'inutiles
recherches pour les retrouver, en creufant la terre aux
environs du lieu où elles devoient être placées.

Il est peu de pays où les révolutions aient été plus
fréquentes qu'au Tong-king: tantôt paisiblement soumis
à la domination Chinoife; tantôt livré à la révolte, &
gouverné par des ufurpateurs ardens à s'entre-détruire;
tantôt déchiré par des guerres inteftines ou étrangeres;
tantôt dans l'abaiffement ou donnant des loix à ses voisins,
cet Etat, pendant plufieurs fiecles, paroît avoir été en
butte à toutes les convulfions politiques.

La Chine, ennuyée des guerres qu'elle avoit déjà foutenues, & fatiguée de l'humeur inquiete & turbulente de ce peuple, exceffivement jaloux de fa liberté, abandonna le projet de s'affervir ce royaume. Elle confentit enfin

Du Tong-king.

qu'il fût gouverné par fes Rois particuliers, pourvu qu'ils Du Tong king fe déclaraffent fes tributaires; ce qui fut accordé. On dit que le premier tribut que payerent les Tong-kinois, consistoit en trois statues d'or & trois d'argent, qu'ils étoient tenus d'envoyer tous les fept ans à l'Empereur.

Le trône du Tong-king fut fucceffivement occupé, pendant 222 ans, par huit Princes d'une famille appelée Ly; mais cette famille ayant fini en 1230, l'autorité fouveraine passa dans la famille Tchin, qui ne subsista que jufqu'en 1406. Cette feconde race royale étant éteinte, l'Empereur de la Chine, Yong-lo, fuivit l'avis de fes Généraux & de plufieurs Grands Tong-kinois, qui lui confeilloient de réduire le Tong-king en province Chinoise. Il nomma en conféquence un Gouver→ neur Général de cette province, un Tréforier, un grand Juge pour le criminel; des Mandarins de divers Tribunaux pour les affaires, des Gouverneurs des provinces, des villes du premier, fecond & troisieme ordre; des Mandarins pour les tributs ou redevances, des Commandans pour les troupes & les villes de guerre, des Intendans pour le commerce, les grands chemins, les bâtimens publics & la marine; un Tribunal pour les colléges & les écoles. On porta à la Cour & l'on offrit à l'Empereur une carte géo⚫ graphique du Tong-king, le rôle de ces habitans, & un inventaire des principaux effets qui s'y trouvoient. Selon ces états, le nombre des habitans montoit à plus de 312 ouans de familles. Un ouan vaut dix mille; ainsi 312 ouans de familles en font trois millions cent vingt mille; & en fuppofant que l'on compte fix perfonnes pour chaque famille, ce feroit dix-huit millions fept cent vingt mille

perfonnes. On trouva dans ce temps au Tong-king deux cent trente-cinq mille neuf cents bœufs, chevaux ou éléphans; treize millions fix cent mille tan de riz (le tan, fous le regne de l'Empereur Yong-lo, faifoit le poids de cent vingt livres Chinoises); huit mille fix cent foixantedix barques, & deux millions cinq cent trente-neuf mille huit cents armes. On ne dit point ce qui fut trouvé en or, en argent, en fer, en cuivre, en foie, toiles, meubles, pierreries, raretés, &c. Peut-être ce détail étoit-il configné dans quelque autre Mémoire, qu'on n'a pas publié.

Le Tong-king, où l'Empereur avoit négligé de mettre de fortes garnifons, ne tarda pas à donner de nouvelles preuves de fon indocilité ordinaire. On y reprit les armes, & un habile Officier, nommé Lyli, se mit à la tête des rebelles. Après un grand nombre de combats, dont le fuccès fut varié, Lyli entreprit de perfuader à l'Empereur, qu'un certain Tchin-hao étoit un rejeton de la famille royale Tchin. L'Empereur, qui ne cherchoit qu'un prétexte pour terminer une guerre onéreuse, fut charmé de le trouver. Tchin-hao fut proclamé Roi, & les troupes Chinoises eurent ordre d'évacuer le Tong-king. Lyli se trouva dès-lors maître absolu; & Tchin-hao, qui n'étoit qu'un fantôme de Roi, étant mort fans poftérité l'an 1428, l'Empereur, après qu'on l'eut affuré que la famille royale étoit entiérement éteinte, déclara Lyli Gouverneur héréditaire du Tong-king, & reçut fes députés, fes préfens, & un acte folennel par lequel il fe reconnoiffoit tributaire & vassal de l'Empire. Son fils, qui lui fuccéda, obtint le titre de Roi.

Cette famille occupa paisiblement le trône jufqu'au

Du Tong-king.

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