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du Démon, ils invitent ce pere du menfonge à un grand

Du Tong king. feftin, qui fe donne aux dépens de la famille du malade; on lui réserve la place d'honneur, on le prie, on l'invoque, on lui fait des préfens; & fi le mal ne ceffe point, on l'accable d'injures, & on lai tire vingt ou trente coups de moufquet pour le chaffer de la maison. Si c'est le Dieu des mers qui a caufé la maladie, on se transporte au bord d'une riviere; là, on lui offre des facrifices pour l'appaiser; on le fupplie de quitter la chambre du malade, & de retourner dans les eaux. Cependant le malade ne guérit pas, & les Magiciens fortent de fa maison chargés d'or & de préfens.

Le Tong-king a fes Miao-tfé comme la Chine. Ce font des Montagnards groffiers & sauvages, qui ont secoué le joug de toute domination, & qui, retirés dans des montagnes inacceffibles, menent une vie affez femblable à celle des bêtes féroces, qui habitent avec eux les mêmes rochers. Ils forment une espece de république, dont leur Prêtre eft le Chef. Celui-ci a imaginé un systême particulier de religion, & des rites qui n'ont aucun rapport avec ceux des Tong-kinois. C'est ordinairement dans la maison du Prêtre que les Dieux rendent leurs oracles. Un grand bruit annonce leur arrivée. Ces Montagnards qui, en les attendant, paffent leur temps à boire & à danser, interrompent leurs plaisirs & poussent des cris de joie, qui reffemblent plutôt à des hurlemens qu'à des acclamations. Pere, s'écrient-ils en s'adresfant au principal de leurs Dieux, êtes-vous déjà venu? Ils entendent une voix qui leur répond: Enfans, courage, continuez à boire, mangez, divertissez-vous; c'est moi qui

vous procure les avantages dont vous jouiffez. Après cette réponse, qu'on écoute en filence, on continue à fe plonger dans les plaifirs. Cependant les Dieux ont foif à leur tour, & demandent à boire. Auffi-tôt on prépare des vafes ornés de fleurs, & le Prêtre les reçoit pour les porter aux Dieux; car il est le feul qui ait le droit de les approcher & de les entretenir.

On représente l'un de ces Dieux avec un visage pâle, une tête chauve, & une phyfionomie finiftre, qui inspire l'horreur. Celui-là ne se rend point comme les autres à l'affemblée, pour y recevoir les hommages de fes adorateurs, parce qu'il eft continuellement occupé à conduire les ames des morts dans l'autre monde. Il arrive quelquefois que ce Dieu empêche l'ame de fortir du pays, fur-tout fi c'est celle d'un jeune homme; alors il la plonge dans un lac, où elle reste jufqu'à ce qu'elle foit purifiée. Si cette ame n'eft pas docile & réfifte aux volontés du Dieu conducteur, il s'irrite, la met en pieces, & la jette dans un autre lac, où elle refte fans efpérance d'en fortir.

Le Paradis de ces Montagnards n'offre rien de bien féduifant. L'opinion commune eft qu'on y trouve une grande quantité de gros arbres qui diftillent une espece de gomme dont les ames heureuses fe nourriffent, du miel délicieux, & des poiffons d'une grandeur prodigieuse. On y place auffi beaucoup de finges, dont l'emploi eft d'amufer les morts; & un aigle fi grand, que fes ailes étendues mettent tout le Paradis à l'abri de l'ardeur du foleil.

Le Tong-king offre un fol fertile fous un climat sain & tempéré. Outre le riz ordinaire, commun au reste de l'Inde, les Tong-kinois en cultivent cinq autres efpeces,

Du Tong-king.

particulieres à leur pays. La premiere eft le petit riz, dont le Du Tong-king. grain eft menu, alongé, tranfparent. Il eft regardé comme le plus délicat, & c'est ordinairement le feul que les Médecins permettent aux malades. La feconde est le gros riz long, dont la forme est ronde. La troisieme, le riz rouge; on l'appelle ainfi, parce que fon grain eft recouvert d'une pellicule de couleur rougeâtre. Ces trois efpeces de riz demandent beaucoup d'eau, & ne levent que dans des terres fréquemment inondées. Le riz fec, qui est de deux fortes, croît dans des terres arides, & n'a befoin d'autre eau que celle qui tombe ciel. Ces deux dernieres efpeces donnent un grain blanc comme la neige, & font un grand objet de commerce pour la Chine. On ne les cultive que fur les côteaux & les montagnes, où on les feme, comme nous femons notre froment vers la fin de Décembre, ou dans les premiers jours de Janvier, temps auquel finit la faison des pluies. Le riz sec eft à peu près trois mois en terre, & il rapporte beaucoup.

Le P. Horta croit que la culture de ces deux dernieres especes de riz pourroit aifément réuffir en France. » En 1765, dit-il, j'ai traversé plufieurs fois les mon»tagnes de Tong-king où l'on feme le riz; elles font

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très-élevées, & la température de l'air y eft froide. J'y » obfervai, au mois de Janvier, que le riz étoit très-verd, » & avoit plus de trois pouces de hauteur, quoique la liqueur du thermometre de M. de Réaumur ne fût » fur le lieu qu'à quatre degrés au dessus du point de con» gélation. J'ai fait femer de ce grain depuis que je fuis » à l'Ile de France, & il a rapporté plus qu'aucune » espece du pays. Les Colons ont reçu mon présent avec

" d'autant plus de reconnoiffance, que ce riz, qui eft plus

» fécond & de meilleur goût, n'a pas befoin d'inonda- Du Tong-king. tion, & qu'étant fur la terre quinze ou vingt jours

» de moins les autres, il
que
peut être cueilli & ferré
» dans les granges avant la faifon des ouragans, qui
» enlevent très-fouvent les moiffons des autres efpeces de
» riz. Il y avoit lieu d'efpérer que ces avantages enga-
"geroient les Colons à cultiver le riz fec avec foin;
» mais ils l'ont abandonné à la mal-adresse des esclaves
qui l'ont mêlé à d'autres efpeces de riz; de forte que
» celui du Tong-king étant mûr beaucoup plus tôt que les
» autres, fon grain est tombé avant la moisson, & peu
peu l'espece s'en eft perdue dans l'Ifle «.

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Les Tong-kinois cultivent le riz ordinaire à peu près de la même maniere qu'on le cultive à la côte de Coromandel. Ils couvrent de quelques lignes d'eau la fuperficie de leurs champs, & dès que le riz a cinq ou fix pouces de hauteur, ils l'arrachent, & le transplantent dans de grandes terres, par petits paquets de quatre cinq brins, & à fix pouces de distance les uns des autres. Ce font ordinairement les femmes & les enfans qui sont chargés de cette opération.

Les Tong-kinois n'emploient que des buffles à leur labour. Ces animaux, dont l'efpece eft très-grande, font plus vigoureux que les bœufs dans les pays chauds, & ils fe tirent plus aisément des boues. On les attele de la même maniere que nous attelons nos chevaux. Ces Peuples n'ont befoin d'aucune machine pour inonder leurs champs: leurs plaines font dominées, d'un bout du royaume à l'autre, par une chaîne de montagnes où fe trouvent

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Du Tong-king.

quantité de fources & de ruiffeaux qui tombent & viennent naturellement arrofer les terres.

Après le riz, la culture la plus importante au Tong king, eft celle de la canne à fucre. On y en trouve de deux fortes : l'une eft très-groffe & très-haute; elle a les nœuds fort féparés les uns des autres, une couleur toujours verte, & contient une grande abondance de fuc. L'autre a la tige plus mince, plus petite, & dont les nœuds sont plus ferrés; lorfqu'elle mûrit, elle prend une couleur jaune; elle donne moins d'eau que la premiere, mais cette eau eft plus chargée de sel.

Quand les Tong-kinois veulent cultiver la canne à fucre, ils commencent par remuer la terre à deux pieds de profondeur; enfuite ils plantent deux ou trois brins de canne dans un fens incliné, à peu près comme on plante la vigne dans plufieurs cantons d'Italie. Ces boutures font enfoncées environ à dix-huit pouces en terre, & plantées en échiquier à fix pieds de distance les unes des autres. On choifit, pour cette opération, la fin de la faifon des pluies.

Douze ou quinze mois après que la canne est plantée, arrive le temps de fa récolte. Quand le fuc en est exprimé, on le fait bouillir pendant quelques heures, pour qu'une partie de fon eau s'évapore; puis on le transporte au marché le plus voifin, pour le vendre en cet état. C'est là

que se terminent le travail & les profits du Cultivateur Tong-kinois. Des Marchands achetent ce fucre, qui ne ressemble encore qu'à de l'eau pure. Ils le font cuire de nouveau, & jettent dans les chaudieres quelques matieres alkalines, telles que la cendre des feuilles de Mufa,

&

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