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Du Thibet.

Jéfuite, qui fe trouvoit, en 1624, à la Cour de ce Prince,
affure qu'il étoit un zélé protecteur de la Loi Chrétienne,
& qu'il montroit une grande difpofition à l'embrasser.
L'Hiftoire Tartare de ce même temps vient à l'appui de ce
fait; car
car elle rapporte que ce Prince méprifoit les Lamas,
qu'il avoit abandonné la Loi du Dieu Fo, & qu'il
cherchoit toutes les occafions de la détruire. Le Dalaï-
Lama, vivement piqué de ne plus recevoir les hommages
de Tfang-pa-han, s'unit avec les Tartares du Kokonor:
leur Prince, nommé Kouchi, entra dans le Thibet, à
la tête d'une puiffante armée, attaqua Tfang-pa-han, le
défit, le prit lui-même prisonnier, & le fit mettre à
mort quelque temps après. C'est à ce Prince Tartare que
le Dalai-Lama fut redevable de fa fouveraineté sur tout
le Thibet. Loin de s'approprier le fruit de fa victoire,
Kouchi fe déclara vaffal du Chef fuprême dé fa religion,
& fe contenta de recevoir de lui le titre de Han, qu'il
n'avoit jamais porté. Ce Prince, pour continuer de pro-
téger le Dalai Lama, & lui affurer la tranquille poffef
fion de fes nouvelles conquêtes, s'établit avec toutes les
troupes dans le voisinage de Lafa. Ses fils ne fe mirent
pas en peine de retourner dans un pays que leur pere
avoit abandonné. Ils refterent, à fon exemple, dans le
Thibet.

En 1642, le Dalaï-Lama envoya des Ambaffadeurs à
Tfong-te, pere du premier Empereur de la dynastie régnante
des Tartares Mantchoux. Il fe mit fous fa protection, &
lui
paya tribut. Dix ans après, le Dalaï-Lama se rendit
lui-même à Pe-king, pour faire hommage à l'Empereur.
On s'empreffa de le combler d'honneurs : il reçut de

l'Empereur

l'Empereur un fceau d'or, & de magnifiques préfens, & fut confirmé dans fon titre de Dalaï-Lama.

Kang-hi voulant honorer le Tipa, ou premier Ministre du Dalaï-Lama, le déclara Regulo en 1693, & lui accorda le sceau d'or. Il s'en falloit cependant beaucoup que ce Miniftre fût attaché aux intérêts de l'Empereur. C'étoit au contraire un perfide qui le trahiffoit, & qui fecondoit fecrétement les vûes ambitieufes de Kaldan, Roi des Eleuthes, ennemi déclaré des Tartares Mantcheoux. Il n'avoit pas même dépendu de lui que le Grand Lama n'entreprît point le voyage de Pe-king, où Kang-hi l'avoit appelé; & lorfque ce Dalaï-Lama fut mort, il tint cet événement fi fecret, qu'il vint à bout de le cacher à l'Empereur. Mais toutes fes intrigues furent enfin découvertes en 1705. Latfa-han, Prince des Tartares du Kokonor, fit mettre à mort ce perfide Ministre. Kang-hi, inftruit des crimes dont il s'étoit rendu coupable, approuva le châtiment qui les avoit fuivi, & envoya des Grands de fa Cour au Thibet, pour le gouverner de concert avec le Prince Tartare, qu'il combla de préfens. Il nomma enfuite un Dalaï-Lama, qui fut le fixieme de

ce titre.

Le Tchong-kar, ou principal Roi des Eleuthes, fit, en 1714, une irruption dans le Thibet, & Y commit de grands ravages. Le Prince Tartare, qui voulut s'opposer à ce torrent, fut tué dans un combat, & la célebre Pagode de Poutala fut préfque réduite en cendres. Le Roi des Eleuthes enleva de cette Pagode & de toutes celles du pays des richeffes immenfes en or, argent, cuivre, pierreries, étoffes, &c. Il fit faire main-basse

G

Du Thibet.

Du Thibet.

fur un grand nombre de Lamas, & en envoya plufieurs en Tartarie, enfermés dans des facs qu'on chargeoit fur des chameaux. Ce Prince prétendoit être le feul & véritable Souverain du Thibet; il vouloit que les Lamas fuffent dépouillés de toute autorité fur les peuples, & que, renfermés dans leurs monafteres, ils ne s'occupaffent que du foin de réciter des prieres.

Les Lamas prirent la fuite, & fe difperferent de tous côtés. Le Dalaï-Lama s'empressa de réclamer la protection de l'Empereur Kang-hi, & les Princes Tartares du Kokonor, dont le pays étoit également ravagé, joignirent leurs prieres aux fiennes. L'Empereur fe rendit à leurs vives instances; il assembla sur le champ un grand nombre de troupes, commandées par d'anciens Officiers Tartares & Chinois, & mit à leur tête un de fes fils & un de fes petits-fils. Cette armée fe rendit dans le Kokonor, en chaffa celle du Roi des Eleuthes, & entra dans le Thibet, tandis qu'un autre corps de troupes Chinoifes y pénétroit par la province de Se-tchuen. Le Dalaï-Lama fut rétabli, & les autres Lamas remis en poffeffion de leurs Pagodes. Ce qui reftoit des troupes Eleuthes s'échappa par les défilés des montagnes. Quoique l'ordre & la tranquillité paruffent rétablis dans le Thibet, cependant l'Empereur ordonna à quelques Seigneurs Tartares de refter à Lafa & dans le Kokonor , pour y gouverner en fon nom & veiller fur les démarches du Tchong kar. Le même plan de conduite fut adopté & suivi par l'Empereur Yong-tching, fils & fucceffeur de Kang-hi. Il continua d'entretenir de fortes armées, toujours prêtes à s'opposer aux courfes du Roi des Eleuthes. Cependant

quelques Seigneurs du Thibet fe révolterent en 1727:
l'un d'eux prit même le titre de Gouverneur général du
pays, & fit mettre à mort un Prince Tartare du qua-
trieme ordre. Mais ces légers troubles furent aisément
réprimés. L'Empereur Kien-long, actuellement régnant,
éleva, en 1739, à la qualité de Prince du fecond ordre,
celui que l'Empereur Yong-tching, fon
pere, avoit nommé
Vice-Roi du Thibet. La paix s'y eft maintenue, & elle
y paroît d'autant mieux établie, que les Thibétains ne
craindront plus déformais les incurfions des Tartares
Eleuthes, devenus, depuis 1759, sujets de l'Empire.

Le tribut que le Souverain du Thibet envoie aux Empereurs Chinois, confifte ordinairement en ftatues d'or & de cuivre du Dieu Fo, en odeurs, en ambre & corail, en quelques pierres précieuses, en étoffes de laine & en lames d'épées. Les Empereurs ont auffi exigé du DalaïLama certain nombre de vafes ou petites cruches, pleines de l'eau du Gange. Depuis les dernieres années du regne de Kang-hi, l'Empereur a toujours de cette eau dans fon palais, & il en porte jufque dans les voyages.

On trouve confacrée au Thibet une coutume fort extraordinaire : elle permet aux femmes d'avoir à la fois plufieurs maris. Les degrés de confanguinité entre les époux ne font point un obstacle à ces unions: une femme peut épouser tous les freres d'une famille; les enfans se partagent; on accorde à l'aîné le premier enfant qui voit le jour, & aux cadets ceux qui naissent ensuite. Quand on reproche aux Lamas de permettre & d'autorifer cet usage indécent, ils s'excufent fur le petit nombre de femmes qui naiffent au Thibet & en Tartarie.

Du Thibet.

Du Thibet.

Il eft vrai qu'on compte dans les familles beaucoup plus de garçons que de filles; mais on ne voit pas que les Tartares prétextent cette difette pour permettre à leurs. femmes d'épouser plufieurs hommes.

Le Dalaï-Lama ne réfide pas dans la ville même de Lafa, mais fur une montagne voifine, appelée Poutala; il habite le plus fomptueux des Pagodes qui fe trouvent en grand nombre fur cette montagne. Il pafse une grande partie de fa vie placé fur une efpece d'autel, affis fur un large & magnifique couffin, les jambes croisées. C'est là qu'il reçoit, dans une grave immobilité, les adorations, non feulement des Thibétains, mais encore d'une multitude prodigieufe d'Etrangers & de pieux Pélerins, qui entreprennent les plus longs. & les plus pénibles voyages pour venir lui offrir, à deux genoux, leurs hommages, & recevoir fa bénédiction. Le Grand Lama ne rend le falut à perfonne, il ne fe découvre ni ne se leve jamais pour qui que ce foit; il voit du même œil à fes pieds les Princes & l'homme du peuple.. Il se contente de mettre la main fur la tête de fes adorateurs, qui croient obtenir, par cette feule imposition, la rémisfion de tous leurs péchés.

Après les Thibétains, les Tartares font les plus fervens adorateurs du Grand Lama; ils arrivent en foule à Poutala, & s'y rendent des climats les plus éloignés ; le fexe même le plus foible n'eft pas effrayé par les fatigues attachées à ces longs voyages. Lorfque l'armée des Eleuthes ravageoit les terres du Thibet, il fe trouvoit dans le nombre des Pélerines qui s'étoient rendues à Lafa, une Princeffe Tartare, qui faifoit fon féjour ordinaire au nord de la mer

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