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Herbes & plantes médicinales de

feur Royal des plantes, fit naître quelques doutes qui pa-
rurent très-fondés à plusieurs Savans de cet illuftre Corps.
Toute la difficulté rouloit fur l'autorité qu'on devoit la Chine.
accorder au P. Jartoux. On lui oppofoit celle de Kæmp-
fer, qui, en 1712, avoit fait imprimer un Livre (*),
où, en parlant du Gin-feng, il donne une figure de cette
plante entiérement différente de celle du Miffionnaire.
Ainfi, autorité pour autorité, il paroiffoit raisonnable:
de fufpendre fon jugement.

pas

Kampfer n'est le feul d'ailleurs qu'on puiffe oppofer au P. Jartoux; Jean-Philippe Breynius a fait imprimer à Leyde, en 1700, une Differtation fur la racine du Gin-feng, & en a fait graver une figure, qui n'a aucun rapport ni avec celle de Kaempfer, ni avec celle du P. Jartoux. Il est vrai que cet Auteur ne propose ses idées que comme de fimples conjectures, ne fachant quel parti prendre, tant les Relations des Voyageurs different entre elles fur l'article du Gin-feng. Il croit même que cette variété de récits ne doit être attribuée qu'aux divers noms qu'on donne à cette racine. Il est probable, en effet, que ces différens noms font ceux de diverses plantes, qu'on aura mal à propos confondues avec le Gin-feng.

Il paroît donc vraisemblable que tous les Relateurs qui nous ont donné des descriptions différentes de cette plante, ne les ont faites que d'après des Mémoires infideles trompés eux-mêmes par d'autres, qui peut-être l'avoient

(*) Cet Ouvrage a pour titre: Amanitatum exoticarum Politico-Phifico-Me dicarum facifculi V, &c.

tes médicinales de

la Chine.

été avant eux par la reffemblance des noms. Il paroît Herbes & plan- plus naturel de s'en rapporter au P. Jartoux, qui a examiné la plante en Tartarie, endroit où tous les Savans conviennent qu'on la recueille, & qui s'y eft trouvé précifément avec cette armée de Tartares que l'Empereur de la Chine emploie chaque année à la ramaffer. Un témoin oculaire, dont on ne suspecte d'ailleurs ni la véracité ni les lumieres, est sans doute plus en état de nous donner une juste idée de cette plante que Kampfer & les autres Auteurs qui n'ont jamais mis le pied en Tartarie.

La figure du Gin-feng que le P. Jartoux a deffinée luimême, doit paroître d'autant plus exacte & moins suspecte, qu'elle fe trouve parfaitement conforme à la plante découverte au Canada. On peut même dire que le P. Lafiteau n'a trouvé celle-ci qu'à la faveur de cette figure, & que d'après les conjectures de fon Confrere, qui a raisonné avec beaucoup de justesse, en jugeant, d'après l'idée qu'on lui avoit donnée du Canada, que cette plante devoit s'y trouver plutôt qu'ailleurs, vu la ressemblance de fol & de climat qu'a cette partie de l'Amérique avec les forêts de la Tartarie.

Ces raifons déterminerent l'Académie des Sciences à croire que la plante du Canada & celle que décrit le P. Jartoux étoient le véritable Gin-feng. MM. de Juffieu & Vaillant écrivirent même au P. Lafiteau, qu'ils ne croyoient pas qu'on pût déformais en douter.

Le P. Lafiteau ne fit point au Canada un myftere de fa découverte. Chacun y connoît actuellement le Garentoguen, fur-tout à Montréal, où les Sauvages le viennent vendre au marché, & le vendent même assez chérement.

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Herbes & plan

tes médicinales de

Il ne s'en trouve point à Québec, & il en croît moins
du côté du nord de la riviere que du côté du fud. On
en trouve davantage en avançant vers le midi, comme la Chine.
à Montréal, aux Outaouacs, vers le lac Huron, & dans
le
pays des cinq Nations Iroquoises. On ne recueille pas
cette plante dans toutes fortes de bois: on la cherche-
roit inutilement dans les forêts touffues & embarraffées
de broussailles. Ce n'est que dans les bois de haute-fu-
taie, où les arbres font droits & dégagés par le bas, qu'on
la trouve au milieu d'une quantité prodigieuse d'herbes
médicinales qui croiffent au pied de ces arbres, entre les
racines & les pierres, d'où il est très-difficile de l'arracher.

Le Gin-feng du Canada aime l'ombre, aussi bien que les plantes dont ces bois font remplis. Quand les terres font nouvellement défrichées, il en reparoît encore quelques racines qu'on n'avoit pas arrachées en défrichant, mais il ne s'y en reproduit jamais d'autres. Le temps de cueillir cette plante eft celui de fa maturité, c'est-àdire, depuis le mois de Septembre jufqu'aux neiges. Ceux qui veulent en faire sécher la feuille pour s'en servir au lieu de thé, doivent la prendre fur la fin d'Août, avant qu'elle jaunisse.

La racine vaut mieux, étant feche, que lorfqu'on la tire de terre; elle est alors imprégnée d'une humeur qui lui ôte de fa bonté, mais qui s'évapore à mesure qu'elle fe deffeche. La différence eft même fenfible au goût, qui eft beaucoup plus fort, lorfqu'elle est seche, que lorfqu'elle eft nouvelle.

Dès que le P. Lafiteau eut fait la découverte du Garentoguen, il s'imagina que cette plante pouvoit être une

Fff

Herbes & plan

la Chine.

efpece de mandragore. Il fut confirmé dans cette idée tes médicinales de par un paffage du P. Martini, qui, en parlant du Gınfeng, affure qu'il ne peut mieux représenter cette racine, qu'en difant qu'elle eft prefque femblable à notre mandragore, excepté que celle-ci eft un peu plus grande; & qu'il ne doute point qu'elle n'ait les mêmes propriétés & la même vertu.

Mais fi ce Miffionnaire a eu raifon d'appeler le Ginfeng une espece de mandragore, à cause de sa figure; il s'eft trompé, s'il a cru que ce nom lui convenoit également par la reffemblance des propriétés. Nos especes de mandragores font narcotiques, rafraîchiffantes, & ftupéfiantes, & ces qualités ne conviennent nullement au Gin-feng. Cependant l'idée du P. Martini engagea le P.Lafiteau à pouffer fes recherches plus loin. Comme il favoit que tous les Botaniftes conviennent unanimement aujourd'hui que notre mandragore moderne n'eft pas la mandragore des Anciens, il crut qu'en cherchant un peu, & qu'en comparant le Gin-feng avec ce que les Anciens ont dit de leur mandragore, on trouveroit peut-être que c'est l'avegooμoppos de Pythagore, & la mandragore défignée par Théophraste. Il ne donne point au refte fes conjectures pour des certitudes; il les foumet avec modeftie aux lumieres & à la décifion des Savans.

Voici quels font fes raifonnemens. Théophrafte est le premier des Anciens qui ait écrit fur les plantes. Cet Auteur nous fait la description d'une mandragore qui ne nous pas connue; il eft certain qu'il ne connoiffoit point celle que nous connoiffons aujourd'hui, du moins fous le nom de mandragore: d'où on peut conclure que celle dont

est

Herbes & plantes médicinales dè

parle Théophrafte s'eft perdue, & qu'une autre lui a été
fubftituée. Il eft aifé d'expliquer comment la mandragore
des Anciens a pu s'être perdue: 1°. elle aura été fans doute la Chine.
fort recherchée dans les premiers temps, à cause de ses
propriétés fingulieres, dont parlent tous les Livres anciens :
2o. la difficulté que cette plante avoit à fe multiplier
l'aura rendue rare, & il eft probable qu'elle ne fe trouvoit
que dans les forêts. Le pays s'étant dans la fuite décou-
vert, & les racines de mandragore ayant été arrachées
avant la maturité de leurs fruits, la plante aura été en peu de
temps épuisée. On peut conjecturer, avant l'événement, qu'il
en fera ainfi du Gin-feng, cette racine étant fort précieuse,
produifant peu, & ne croiffant qu'à l'ombre des forêts.
La mandragore des Anciens s'étant ainsi perdue, on
lui en aura, dans la fuite, fubftitué une autre, à raison
de quelques rapports, communs à l'une & à l'autre plante.
Nos mandragores ont des racines qui ont quelque ref-
semblance avec le corps de l'homme, depuis la ceinture
jufqu'en bas; leurs femences font blanches, & ont la
figure d'un petit rein: c'eft probablement ce qu'elles ont
de commun avec la mandragore perdue des Anciens. Or,
toutes ces propriétés extérieures fe trouvent parfaitement
dans le Gin-feng.

Mais la mandragore ancienne avoit des propriétés particulieres qui la diftinguoient de toute autre plante. Pour juger fi elles conviennent au Gin-feng, il faut recueillir ce qu'en a dit Théophraste.

Premiérement, Théophrafte reconnoît une tige à la mandragore, & il établit une ressemblance, par la tige, entre elle & la férule, à laquelle il donne ces deux

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