Images de page
PDF
ePub

viroient qu'à l'embarrasser, à l'appauvrir, puifque leur produit feroit bien inférieur au produit de fon argent. Il eft vrai qu'à la Chine le patrimoine d'une famille en est rarement distrait. On ne voit point là, comme ailleurs, une partie de la Nation pofféder tout, & le refte réduit à rien.

Finances.

CHAPITRE XI.

Piété filiale.

CHAQUE Peuple policé a fes Loix civiles, fes Loix criminelles. Par les premieres, chaque citoyen apprend à connoître fes droits, à refpecter ceux d'autrui. Les secondes l'inftruisent des peines qu'il encoure s'il ne respecte pas les premieres, s'il manque à l'ordre public & à l'ordre naturel. En voici une troifieme qui tire fa force des mœurs, de l'usage, encore plus que de l'autorité. La piété filiale est tellement accréditée, respectée à la Chine, qu'on oublie que jamais aucun Légiflateur ait eu besoin de la prescrire. Ce n'est plus à la Chine une fimple regle de bienféance, un devoir purement naturel; c'est un point de religion, & un point de religion bien obfervé.

C'est, en même temps, un des plus grands refforts du Gouvernement Chinois; c'en eft l'ame, comme l'amour de la patrie fut celle des anciennes Républiques. L'objet de la piété filiale eft de ne laiffer voir au Souverain dans fes fujets que fes véritables enfans, & aux fujets dans leur Souverain que le pere commun de la Nation. Les An

Rrr

Piété filiale.

ciens l'appcloient même le pere & la mere de l'Empire: Piété filiale. expreffion Orientale, mais pleine d'énergie.

La piété filiale regle, à la Chine, & le droit des peres, & celui des enfans, & celui du Monarque, envifagé comme le pere, ou le Patriarche de tous. L'autorité dont il jouit correspond à ce titre, & jamais on ne s'avisa de l'ériger en problême. Il y eut quelques mauvais Empereurs dans le cours de quatre mille ans; il y eut auffi quelques révoltes: mais on les regarde comme ces phénomenes d'un moment qui femblent déroger à l'ordre de l'Univers. Le phénomene paffe, l'ordre se rétablit, & le fyftême du Monde n'en est point altéré.

Le respect filial, recommandé par les plus anciens Philofophes de l'Empire, & quelquefois oublié, fut remis en vigueur par les leçons du célebre Confucius ou Con-fou-tfée, qui n'écrivit jamais que fur la Morale, & qui eft regardé comme le Législateur de la Chine, quoiqu'il y en ait eu beaucoup d'autres. Voici quelles étoient fes idées fur cette vertu (la piété filiale), qu'il regarde comme la bafe de toutes les vertus.

le

Il lui attribue toutes celles des anciens Empereurs dont regne fut fi doux, fi pacifique, & fi floriffant. Il dit que fi l'Empereur & les Grands donnent aux Peuples l'exemple de leur refpect, de leur foumiffion pour leurs parens, perfonne dans l'Empire n'ofera marquer ni mépris ni aversion pour les fiens; que de proche en proche la fubordination fera établie dans un royaume, & que cette fubordination amene la tranquillité : car, ajoutet-il, quand la paix regne dans chaque famille, tous les sujets du Prince font amis de la paix intérieure de l'Etat.

Que l'Empereur donne l'exemple du refpect filial, il fera imité par les Grands de fa Cour; les Mandarins fe régle- Piété filiale. ront fur ceux-ci, le Peuple fur les Mandarins. De toutes les chofes produites rien n'eft plus noble que l'homme : ainfi la meilleure action de l'homme eft d'honorer ceux qui l'ont produit: or le pere eft, relativement à fon fils, ce qu'est le Ciel relativement aux chofes produites; le fils eft, à l'égard de fon pere, ce que le sujet est à l'égard de fon Roi.

Le Li-ki (c'est le quatrieme des Livres claffiques nommés les King) est aussi une espece de Code fur la piétè filiale. Nous difons Code, parce que ces Livres ont acquis force de Loi. Indiquons-en ici quelques paffages. Un fils, rempli de piété filiale, entend ses parens fans qu'ils lui parlent; il les voit fans être en leur présence. Un fils ne poffede rien en propre du vivant de fes parens. Il ne peut pas même exposer sa vie pour fauver celle d'un ami. — Ce précepte cadreroit mal avec nos mœurs; & nous y gagnons.

Un fils bien né évite également ce qui le cache & ce qui l'expofe, parce que fa réputation n'eft pas à lui, elle eft à fes parens.

Un fils ne doit s'affeoir nulle part fur la même natte que fon pere.

Lorsqu'un pere ou une mere ont quelque fujet de chagrin, on ne rend & on ne reçoit point de visites. Sont ils malades? on eft négligé dans fa coiffure, embarrassé dans son maintien, distrait dans fes paroles; on ne touche à aucun instrument de musique, & l'on évite fur-tout de fe mettre en colere,

Piété filiale. filial) a soin

Un fils qui refpecte le Li (c'est à-dire la regle du refpect filial) a foin que fon pere & fa mere foient chaudement en hiver, & fraîchement en été; il vient foir & matin dans leur chambre, pour s'affurer, par lui-même, que rien ne leur manque.

Un fils bien né ne fort jamais fans en prévenir fon pere, & ne rentre jamais fans venir le faluer.

Il ne parle point de vieillesse, ni d'âge avancé, en présence des auteurs de ses jours.

Un fils ne s'affied nulle part fur la même natte que fon pere; &, dans la maison paternelle, il n'occupe jamais l'appartement du milieu, il ne passe point par le milieu de la porte.

Un fils doit tout quitter, & fans nul délai, pour fe rendre à la voix de fon pere, quand celui-ci l'appelle.

Le fils qui a perdu fon pere & fa mere renonce pour toujours, dans fes habits, aux couleurs gaies & brillantes. Son deuil eft long & rigoureux; le jeûne en fait partie. Il ne peut, durant cet intervalle, manger de viande que lorfqu'il eft malade. C'est auffi le feul cas où, durant fon deuil, il lui eft permis de boire du vin.

Un fils bien né n'aborde l'ami de fon pere, que quand il y eft invité par lui; il ne fe retire que quand il le lui permet, & ne lui parle que pour lui répondre.

Lorsqu'on marche de compagnie avec son ancien, on ne fe détourne pas pour parler à un autre. Honorez comme votre pere, ajoute le Li-ki, celui qui a le double de votre âge, & comme votre frere aîné, celui qui a dix ans plus que vous.

Le fils, âgé de cinquante ans, n'est point obligé

de pouffer l'abstinence, prefcrite par le deuil, jufqu'à fe laiffer maigrir; elle fera encore moindre s'il a foixante ans : à foixante & dix, le deuil eft reftreint à la couleur des habits.

Quand un Lettré voudra quitter fa patrie, on tâchera de l'en détourner en lui difant: Quoi ! vous abandonneriez les tombeaux de vos ancêtres ?

Si vous faites élever un palais, conftruisez d'abord la falle des ancêtres. Les vafes des cérémonies funéraires feront achetés avant tout autre vase: on ne les vendra point, on ne coupera point les arbres des fépultures, fi pauvre qu'on puiffe être.

Il faut revenir encore fur les devoirs du fils envers fon pere & fa mere auffi long-temps qu'ils exiftent. Ce fils doit les honorer fans faire attention à leurs mauvaises. qualités, cacher avec foin leurs défauts, & leur dérober à eux-mêmes la connoiffance qu'il en a. Il peut cependant, à toute rigueur, leur faire quelques représentations, les renouveler même jusqu'à trois fois. N'eft-il point écouté? il gémit; mais il fe tait, & continue à les fervir.

Un fils qui marchera avec fon pere ne fera que le fuivre, & se tiendra en arriere à la distance d'un pas. Un cadet aura la même attention envers fon aîné.

On ne rompt jamais avec un parent, ni avec un an

cien ami..

Si un fils attente aux jours de fon pere ou de fa mere, tout Officier, tout domeftique de la maison eft autorisé. à tuer ce fils parricide. La maison sera abattue ́, rasée, & le terrein qu'elle occupoit changé en égout.

Cette Loi, publiée par Ting-kong, Roi de Tchou,

Piété filiale.

« PrécédentContinuer »