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Piété filiale.

paroît avoir été adoptée dans tout l'Empire; mais il est rare qu'on foit réduit à la faire exécuter. Ting-kong s'impofa à lui-même une forte de châtiment, pour n'avoir point prévu un crime de cette nature, ou plutôt pour expier la honte qui en rejailliffoit fur fon regne: il se condamna à s'abftenir de vin durant une lune entiere.

Le fils en deuil de fon pere ou de fa mere (deuil qui dure trois ans) eft exempt de tout fervice public. Il en est de même du fils unique d'un vieillard de quatrevingts ans; de toute la famille d'un vieillard de quatrevingt-dix; & enfin de quiconque est seul pour fervir un malade.

Quelle morale ! quelle politique relative! & quelle leçon d'humanité ! En voici d'une autre efpece, & qui donneront matiere à certaines réflexions.

Le meurtrier de votre pere ne doit pas rester sous le ciel avec vous. Il ne faut pas mettre les armes bas tandis que celui de votre frere vit encore; & vous ne pouvez pas habiter un même royaume avec celui de votre ami.

On demandoit à Confucius comment un fils devoit fe comporter envers l'ennemi de fon pere. Ce Philofophe répondit: » Il doit fe coucher en habit de deuil, & » n'avoir que fes armes pour chevet".

Ces deux articles femblent contrarier la Loi qui punit de mort tout meurtrier, ne l'eût-il été même qu'à fon corps défendant. Il faut croire qu'elle renferme une exception en faveur de celui qui a défendu ou vengé son pere.

On a vu que l'Empereur de la Chine eft regardé comme le pere commun de la Nation; la piété filiale remonte

jusqu'à lui; & lui-même en a donné l'exemple avant de fuccéder à fon pere. Il ne le remplace même réellement, Piété filiale. qu'après fon deuil expiré; & ce deuil dure trois ans. C'est

un Corps de Mandarins qui dirige le timon des affaires durant cet intervalle.

Le refpect pour les morts égale celui qu'on porte à ses parens d'un âge fupérieur, tant qu'ils vivent. Qu'un convoi s'offre fur la route de l'Empereur, ce Prince ne manque jamais d'envoyer faire un compliment de condoléance aux parens du mort.

du

On enseigne à l'héritier du trône les devoirs réciproques pere & du fils, ceux du Prince & du sujet. On lui répete qu'un fils, qui connoît fes devoirs & qui les observe, remplira également bien les obligations d'un pere; qu'un Prince, pour le trône, fe forme aux fonctions de Souverain, lorfqu'il apprend à bien connoître celles de fujet; & qu'enfin, pour , pour favoir commander, il faut avoir su obéir. L'Administration & les Loix font venues au fecours des Moralistes pour le maintien du respect filial. On l'enfeigne dans toutes les écoles publiques de l'Empire; c'est même ce qu'on y enfeigne d'abord, & avec le plus de foin. Les Loix ont auffi réglé, dans le plus grand détail, les obligations réciproques des parens & des enfans; des freres aînés & des freres cadets; des maris & des femmes; des oncles & des neveux, &c. Quelques châtimens modérés, quelques récompenfes flatteuses, retiennent les uns, & encouragent les autres.

Un des plus puiffans moyens, employés par les Souverains de la Chine pour maintenir la piété filiale, fur toujours de n'accorder qu'aux peres, foit vivans, foit

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Piété filiale.

morts, les diftinctions que
leurs fils avoient pu mériter
par eux-mêmes. L'exemple que nous allons en rapporter
est ancien; mais nous le citerons, parce qu'il est frap-
pant. Le fils de Chouantzée avoit été premier Miniftre
du Prince de Ouei. Son pere mourut, & il demanda
pour lui un titre d'honneur. Le Prince lui répondit :
» La famine défoloit le royaume de Ouei; votre pere donna
» du riz à ceux qui en fouffroient davantage. Quelle bien-

faifance! Le royaume de Ouei toucha prefque au moment » de fa ruine; votre pere en défendit les intérêts au péril » de fa vie. Quelle fidélité ! Le gouvernement du royaume » de Ouei ayant été confié aux foins de votre pere, » il fit beaucoup d'excellentes Loix, entretint la paix & » l'union avec tous les Princes voisins, & conferva les » droits & les prééminences de ma couronne. Quelle sageffe! Ainfi, le titre d'honneur que je lui décerne, est » celui de Tchin-ouei-oven, bienfaisant, fage, & fidele « Le fils étoit l'auteur de tout ce qu'on attribue ici au pere; mais, à la Chine, le pere a le mérite de tout ce que fon fils peut faire de mieux.

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Nous reviendrons fur cet article dans celui des mœurs & usages; car, dans ce fingulier Empire, la piété filiale tient autant aux ufages & aux mœurs qu'à la Loi même. Ce qui le prouve, c'eft que l'Empereur ne s'en éloigne pas plus que le dernier de ses sujets. Il feroit, en paroissant y manquer, la plus grande faute contre la politique. Le respect filial commence dans les familles, & remonte, par degrés, jusqu'au pere commun, qui enchérit luimême fur le dernier de fes fujets, foit dans l'efpece de culte qu'il rend à fes ancêtres, foit dans fa conduite

envers

envers l'Impératrice mere, fi elle a furvécu à fon époux. Aucune mere, dans le monde entier, de quelque rang qu'elle puiffe être, ne jouit d'un hommage auffi marqué, auffi éclatant, auffi public. C'eft fur-tout le premier jour de chaque année qu'il fe renouvelle dans tous fes détails, & d'une maniere bien impofante. Nous en tracerons ici l'esquisse, d'après le récit de quelques témoins oculaires.

cour,

A peine le foleil paroît fur l'horizon, que les Mandarins de tous les Tribunaux fe rendent au palais, & s'alignent, felon leur rang, dans la cour qui fépare la falle du trône d'avec la porte intérieure du palais : ils font tous en habit de cérémonie. Les Princes, les Comtes de la famille Royale, revêtus des décorations particulieres qui les diftinguent, font placés en ligne dans la même felon le rang qu'ils occupent dans l'Empire. L'Empereur fort de fon appartement pour aller chez sa mere. Il est porté dans fa chaise de cérémonie, quoique la course ne foit pas longue. L'appartement de l'Impératrice est fitué dans l'enceinte du palais, & n'eft féparé que par quelques cours de celui de l'Empereur. » Ceux qui por» tent le Infignia de l'Empire, c'est-à-dire, les masses, piques, drapeaux, étendards, &c. ont à peine fait quelques pas, quoiqu'ils fe touchent presque les uns les » autres, qu'ils font arrivés dans la premiere cour du palais » de l'Impératrice mere, où ils se rangent fur deux lignes. » Les Mandarins fe rangent de même fur deux lignes, » & les Princes du Sang, les Comtes de la famille Royale dans la troifieme, qui eft vis-à-vis la falle du » trône de l'Impératrice mere. L'Empereur defcend de fa chaife dans le veftibule de cette cour, & la traverfe

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Piété filiale.

Piété filiale.

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» à pied. Ce n'est pas par l'efcalier du milieu, c'est par » celui de l'Orient que l'Empereur monte fur la plate» forme qui mene à la falle du trône de l'Impératrice. Lorsqu'il eft arrivé dans la galerie couverte qui en forme » la façade, un Mandarin du Li-pou (ou Tribunal des » Rits) fe met à genoux, & présente le placet de l'Em» pereur, pour prier Sa Majesté l'Impératrice de vouloir » bien monter fur fon trône pour recevoir fes humbles » prosternations. L'Eunuque Mandarin, à qui on a remis » le placet, le porte dans l'intérieur. L'Impératrice mere fort, en habit de cérémonie, de fon appartement, » fuivie de toute fa Cour, & monte fur fon trône. L'Eu» nuque Mandarin en avertit le Mandarin du Li-pou, » qui en est, pour l'ordinaire, le Préfident. Celui-ci fe » met à genoux devant l'Empereur, & le prie de faire » fa cérémonie filiale à fa très-augufte mere. L'Empereur » s'avance dans la galerie vis-à-vis du trône de fa mere, » & se tient debout, les manches abattues, les bras

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pendans. Les Princes qui font au fond de la cour, & » les Mandarins qui font dans la cour fuivante, en font » autant. La mufique de l'Empereur, celle de l'Impéra» trice, jouent enfemble l'air Ping, qui eft très-doux » & très-tendre. Un Mandarin crie à haute voix : Met» tez-vous à genoux; & dans l'instant, l'Empereur, les Princes, tous les Mandarins tombent à genoux. Un » moment après, il crie: Profternez-vous ; & tout le monde » fe profterne, la face contre terre. Il crie: Redreffez» vous; & tout le monde fe redreffe. Il crie de nouveau, » après trois profternations : Relevez-vous; alors l'Em" pereur, les Princes, tous les Mandarins fe remettent

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