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Adminiftration de la Famille Impériale.

même apprécier, par anticipation, ce que l'Empereur leur accordera ou par faveur, ou même à titre de récompense.

Le titre de Prince ne donne à ceux qui le portent nul droit de fiéger dans aucun Tribunal. De leur côté, ils ne peuvent être jugés que par un Tribunal créé tout exprès pour eux, & qui ne peut être occupé que par eux. Leurs affaires criminelles, leurs affaires civiles ne peuvent reffortir qu'au Tfong-gin-fou, c'est-à-dire, au Tribunal des Princes. Nous avons décrit plus haut ses fonctions. Quiconque infulte un Prince de la famille Impériale, qui est décoré de fa ceinture jaune, n'eût-il d'ailleurs aucun autre titre, eft irrévocablement puni de mort. Il n'en eft pas de même fi le Prince a oublié ou négligé de porter fa ceinture; c'eft alors une affaire de citoyen à citoyen, & l'agreffeur en eft quitte pour la baftonnade. Le Prince n'y eft. jamais expofé, même après y avoir été condamné par fon Tribunal. Une fentence de mort, lancée contre lui, ne peut avoir d'exécution que du confentement de l'Empereur; & il peut s'affranchir de toute autre peine corporelle par une amende.

Les priviléges des Princes non titrés ont bien moins, d'étendue. La Police a prefque fur eux la même infpection que fur les autres citoyens; elle peut les admonester, les envoyer en prifon; & fi elle les renvoye à leur Tribunal pour être jugés, ils le font à toute rigueur,, fans pouvoir fe racheter d'aucune peine.

Difons plus, la distance, même entre les Princes titrés, eft fouvent très-grande. Ceux qui ne font pourvus d'aucune charge, d'aucune dignité, font, pour l'ordinaire, très-pauvres, fouvent même réduits à la haute paye de

fimples foldats des Bannieres Tartares. Cependant, lorfqu'ils fe marient, ou qu'ils marient un de leurs enfans, ou qu'ils enterrent quelqu'un de leur maison, l'Empereur leur fait préfent de cent onces d'argent. Il vient auffi à leur fecours, ou à celui de leurs orphelins & de leurs veuves, lorfqu'un befoin preffant l'exige; mais c'est toujours avec économie. Les Madarins font, à cet égard, mieux traités que les parens du Souverain. Il fait que les premiers font plus voifins du peuple, & il ne veut pas que le besoin les conduife à des vexations. Dès-lors, rien ne peut leur fervir d'excuse ni de prétexte; rien, s'ils font répréhensibles, ne peut les fouftraire à la punition prescrite par la Loi.

Adminiftration de la Famille Impériale.

CHAPITRE X V.

Code des Empereurs.

ROME
OME eut fes Tibere, fes Caligula, fes Néron, fes
Domitien, fes Héliogabale; & la Chine eut auffi les
fiens. Rome eut fes Titus, fes Trajan, fes Adrien, fes
Antonin, fes Marc-Aurele; & la Chine en eut un bien
plus grand nombre. Ce font les regles que ces derniers
se prescrivoient à eux-mêmes, qui vont fournir la ma-
tiere de ce Chapitre.

Yao fut un des plus anciens Monarques de la Chine, & l'un de ceux dont elle parle encore le plus fouvent. Tous fes Tribunaux lui doivent leur institution. Ce fut lui qui fe choifit un fucceffeur pris dans la claffe agricole, & qui

Code des Empe

reurs.

reurs.

précipita des degrés du trône fon propre fils, parce qu'il Code des Empe- le jugea peu digne de l'occuper. Yao tint ce discours au fucceffeur qu'il venoit d'adopter: » Gardez en tout » un jufte milieu; il confiste à n'excéder en rien, à ne "manquer en rien «. Chun, à qui cette maxime s'adreffoit, la tranfmit à Yu fon fucceffeur. Il l'avoit choisi, comme lui-même l'avoit été par Yao.

Ces trois anciens Monarques font regardés comme les Législateurs de la Chine. Les regles qu'ils s'étoient prefcrites font devenues des Loix pour tous les bons Empereurs. La plupart même ont invité leurs fujets éclairés à leur adresser les avis qu'ils croiroient effentiels au bien de l'Etat. Toute remontrance est admife, lorfqu'elle ne s'éloigne point des bornes du refpect, & que l'Em pereur en est le feul dépofitaire.

Kia-chan, fimple Lettré, n'avoit point attendu cette invitation. Il fut le premier qui ofa, de son chef, donner des confeils à fon Souverain; ce fut à l'Empereur Ven-ti, autrement dit Hiao - ouen. Il rappelle à ce Prince les fautes, les écarts, & jufqu'aux crimes de fes prédéceffeurs. Par exemple: » Chi-hoang, Prince de Tfin, de» venu Empereur, & par-là maître de tous les revenus » ordinaires de tout l'Empire, au lieu de se borner là, mit » auffi-tôt de nouveaux impôts, chargea les Peuples de cor» vées, & les rendit fi miférables, que fon extrême rigueur » ne pouvant faire craindre pis, ou plutôt ne fe réfervant plus rien à faire, les montagnes étoient couvertes de » brigands attroupés, & les chemins remplis de criminels » qu'on traînoit en prifon ou au fupplice...... On n'at

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» tendoit qu'un fignal pour secouer un joug fi pesant...... » Tchin-chin le donna, vous le favez, grand Prince, & » vous n'en ignorez pas les fuites «.......

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Ici Kia-chan détaille certaines déprédations de Chihoang. Dans une marche qu'il fit depuis Kien-yeng jufqu'à Yong, il changea de palais jufqu'à trois cents » fois, & il les trouva tous garnis, fans qu'on portât » rien de l'un à l'autre, pas même fes cloches & ses » tambours. Plufieurs des palais qu'il habitoit étoient » fi fuperbement élevés, qu'ils fembloient plutôt des mon» tagnes que des maifons. Les bâtimens étoient hauts » de quelques dixaines de gin (le gin équivaut à quatrevingts pieds de France). Ils avoient du nord au fud » mille pas, & de l'eft à l'oueft une demi-lieue «. Chi-hoang choifit le mont Li pour fa fépulture; il fit travailler durant dix ans plusieurs centaines de mille hommes. L'intérieur & l'extérieur étoient décorés avec une magnificence qui étonne l'imagination. Plus haut régnoient de vastes galeries, & par- derriere s'élevoit une montagne faite de main d'homme, couverte d'arbres plantés avec art. » Voilà, poursuit Kia-chan, bien » de la dépense pour la fépulture d'un feul homme; car, » fes defcendans, leur , pour propre fépulture, furent obligés de mendier quelques pieds de terre, & n'eu"rent pas même pour la couvrir un petit toit de ro» seaux. Voilà auffi, grand Empereur, ce que j'ofe vous rappeler. Je vous prie d'y faire attention, & de le » mettre à profit «.

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Kia-chan rappelle en même temps à l'Empereur un ufage de ses plus anciens prédéceffeurs. » Ils avoient or

Code des Empe

reurs.

Code des Empe

reurs.

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» dinairement en leur présence un homme dont le de-
voir & l'emploi étoit de marquer leurs fautes, & d'en
» tenir un Mémoire exact. Ils avoient, de plus, deux
» Officiers, dont l'un étoit chargé de lire au Prince ce
qui fe faifoit en profe dans tout l'Empire touchant le
» Gouvernement; l'autre avoit foin de recueillir les vers
» & les chanfons qui couroient «. Cette méthode étoit
bonne, fur-tout chez les Chinois, Nation modérée, &
qui ne blâme point seulement pour montrer de l'efprit,
mais pour faire ceffer la caufe du blâme. La France ne
peut citer qu'un feul Ministre (le Cardinal Mazarin) qui ait
paru jaloux de connoître les couplets fabriqués contre lui.
Revenons encore une fois à Kia-chan. Il détaille,
il loue, fans restriction, dans ce difcours, tout ce
que Ven-ti a fait de louable; mais il ajoute : » · Ne
» vous relâcherez-vous point? Je l'appréhende. Je vois
» les Miniftres que vous avez le plus diftingués admis
» à tous vos plaisirs; je vois que vous-même vous ne
» vous y livrez que trop «. Il eft vrai que Ven-ti avoit
contracté un goût très-vif pour la chaffe, & qu'il y menoit
avec lui ses Miniftres. Ce n'est point au milieu d'un fem-
blable exercice qu'un Empereur peut affembler le Con-
feil, ni
que des Miniftres
peuvent expédier beaucoup d'af-
faires. Quoi qu'il en foit, l'Empereur accueillit la remon-
trance, créa son Auteur Héou (dignité qui est la premiere
après celle de Roi), & ne supprima point cette fupplique
hasardeuse. Elle fait aujourd'hui partie du Recueil Impé-
rial, collection formée par les foins & fous les yeux de
l'Empereur Kang-hi, mort en 1722; collection qui, avec

les

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