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lui, le foin de tout homme sage doit se borner à exister Seite des Tao-ffé, fans douleur & fans chagrin, à couler mollement fes jours

dans l'infouciance; & pour parvenir à cette quiétude heureuse, il prescrit de bannir tout retour sur le passé, & de s'interdire toute recherche vaine & inutile fur l'avenir. Former de vastes entreprises, s'agiter de foins pour les conduire avec fuccès, fe livrer aux foucis dévorans de l'ambition, rechercher l'or, & fe dévouer aux pénibles épargnes de l'avarice, c'eft, felon ce Philofophe, travailler moins pour foi-même que pour fes defcendans : & n'eft-il pas infenfé de facrifier fon propre repos, fa félicité perfonnelle, pour procurer le bonheur des autres, pour enrichir un fils, des neveux que nous laifferons après nous? Lorfqu'il s'agit même de notre propre bonheur, Lao-tfe recommande la modération, foit dans les défirs qui le font rechercher, foit dans les mouvemens qu'il faut fe donner pour y atteindre; parce qu'il ne regarde point comme un véritable bonheur celui qu'accompagnent les peines, les dégoûts, les inquiétudes.

Les Disciples de ce Philofophe altérerent dans la fuite la doctrine qu'il leur avoit laiffée. Comme l'état paffif, le calme parfait de l'ame, auquel ils vouloient parvenir, étoit fans ceffe troublé par la crainte de la mort, la crainte de la mort, ils publierent qu'il étoit poffible de trouver la composition d'un breuvrage qui rendît l'homme immortel. Cette idée folle les conduifit d'abord à l'étude de la Chimie, enfuite à la recherche de la pierre philofophale, & bientôt ils fe livrerent à toutes les extravagances de la magie.

Le défir & l'efpérance d'éviter la mort par la découverte du précieux breuvage, attirerent une foule de parti

fans à la nouvelle Secte; les Grands, les particuliers opulens, les femmes fur-tout, naturellement plus curieuses Seite des Tao-ffé. & plus attachées à la vie, furent les plus empreffés à s'inftruire de la doctrine des Difciples de Lao-tfé. La pratique des fortiléges, l'invocation des Efprits, l'art de prédire l'avenir en confultant les forts, firent des progrès rapides dans toutes les Provinces. Les Empereurs euxmêmes accréditerent l'erreur par leur crédulité, & bientôt la Cour fut remplie d'une foule innombrable de ces faux Docteurs, auxquels on avoit décerné le titre honorable de Tien-fe, Docteurs céleftes. L'Empereur Thin-chi-hoang-ti, l'Omar de la Chine, fi fameux par l'incendie des Livres, & fa haine pour les Gens de Lettres, se laissa perfuader qu'il exiftoit un breuvage qui rend les hommes immortels, & fit long-temps chercher cette ambroisie dans plufieurs ifles. Vou-ti, cinquieme Empereur de la dynastie des Han, montra la plus vive ardeur pour l'étude des Livres magiques. La mort avoit enlevé à ce Prince une de ses femmes qu'il aimoit éperdument, & dont la perte ne s'adoucifsoit point par le temps. Un de ces impofteurs Tao-fe trouva le moyen, par fes preftiges, de procurer encore une fois à l'Empereur la vue de cette femme fi tendrement aimée. Il la fit paroître aux yeux de ce Prince, & cette effrayante apparition l'attacha de plus en plus aux extravagances de la nouvelle Secte. Toutes les représentations de fes Miniftres furent infructeufes. Affligé d'un engouement auffi extraordinaire, un des Grands de l'Etat, fe trouvant un jour chez l'Empereur au moment où on lui apportoit le breuvage mystérieux, se faifit de la coupe & but toute la liqueur. Outré de cette hardieffe, le Monarque le fait auffi

Seite des Tao-fé.

tôt arrêter, & donne ordre de le mettre à mort. » Cet » ordre eft inutile, répond le Courtifan avec tranquillité ; » il n'est pas en votre puiffance de me faire mourir

puifque je viens de me rendre immortel. Cependant, fi » la mort a encore prife fur moi, Votre Majesté me doit » une récompenfe, puifqu'Elle fera convaincue que cette » liqueur n'a pas la vertu qu'on lui attribue, & que ces impofteurs la trompent «. Cette réponse lui fauva la vie, mais elle ne corrigea pointle Monarque. Quoiqu'il eût pris plufieurs fois le breuvage d'immortalité, bientôt le dépériffement de sa santé lui fit enfin connoître qu'il n'en étoit pas moins mortel. Il mourut en déplorant fa crédulité.

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La perte de ce Protecteur ne ralentit point les progrès de la Secte. Des temples, confacrés aux Efprits, s'éleverent de tous côtés dans l'Empire, & deux des plus célebres Tao-ffe furent autorisés à y maintenir le culte public qui leur avoit été décerné. En même temps ils distribuoient & vendoient chérement aux peuples de petites images, fur lesquelles étoient représentés cette foule d'hommes & d'esprits dont ils avoient peuplé le Ciel, & qu'ils nommoient Sien-gin, Immortels. Ils les faifoient révérer comme autant de Divinités particulieres, indépendantes de l'Etre Suprême : plufieurs anciens Rois furent pareillement métamorphofés en Dieux qu'on invoqua.

fa

La superstition se foutint fous les Tang. Le Fondateur de cette dynastie éleva & confacra un fuperbe temple à Laotse lui-même; & un autre Empereur de cette même mille fit placer avec pompe la statue de ce Philofophe dans fon palais.

Les Docteurs Tao-ffè fe multiplierent & devinrent plus

puiffans encore fous la dynastie des Song. Il n'eft point de rufes qu'ils n'employerent pour accréditer leur doc- Seite des Tao fé. trine & captiver de plus en plus la confiance des Princes. Ces Impofteurs, pendant une nuit obfcure, avoient fufpendu à une des portes de la ville Impériale un Livre rempli de caracteres & de formules magiques. Dès la pointe du jour, ils firent donner avis à l'Empereur de l'apparition fubite de ce Livre, & publierent qu'il étoit tombé du Ciel. Le Monarque crédule, fuivi d'un nombreux cortège, fe rendit auffi-tôt à pied fur le lieu, pour recueillir le précieux volume; & l'ayant reçu avec respect. dans fes mains, il le porta, comme en triomphe, dans fon palais, où il l'enferma dans un coffre d'or. Le huitieme Empereur de cette dynastie des Song pouffa sa superstitieuse vénération pour un Tao-fé célebre, jufqu'à lui décerner publiquement le nom de Chang-ti. Jufqu'à cette époque, les partisans eux-mêmes de Lao-fé avoient réservé ce nom pour le feul Dieu fuprême, auquel ils étoient loin de comparer les Divinités nouvelles qu'ils s'étoient fabriquées. Cette impiété révolta tous les Sages de la Nation, & leur fit annoncer la ruine prochaine de cette dynastie, comme un châtiment mérité de cette odieuse profanation. C'est en ce fens que s'exprime un favant Colao, en parlant de la chute de cette famille : » En ce temps-là, dit-il, l'Empereur Hoei-tfong donna, » contre toute forte de raisons, la qualité de Dieu Sou» verain à un homme. Ce Dieu, le plus grand & le plus » vénérable de tous les Efprits céleftes, fut fenfible à » cette injure; il punit très-févérement l'impiété de ce » Prince, & éteignit entiérement fa famille «.

Secte des Tao-fé.

Le temps, qui diffipe ordinairement l'illufion & l'imposture, ne fit qu'affermir cette méprifable Secte; de fiecle en fiecle, on la vit recevoir de nouveaux accroissemens: la protection des Princes, la faveur des Grands, les scenes d'admiration ou de terreur dont le prestige & l'adreffe frappoient l'esprit des peuples, tout concourut à la répandre & à la perpétuer, malgré les conftantes réclamations des Sages, & les courageufes remontrances qu'ils se permettoient de faire aux Empereurs. Voici celles que quatre Miniftres d'Etat adreffoient encore, en 1496, Hiao-tfong de la dynastie des Ming, Prince entiérement livré au Tao-ffe. » Depuis le Fondateur de votre auguste » dynastie, lui dirent-ils, jusque vers la fin du regne de

à

Yng-tfong, vos prédéceffeurs se sont appliqués à n'ad» mettre auprès de leurs perfonnes que des Sages imbus » de la faine doctrine; aujourd'hui on ne refpecte plus » le Tien, l'erreur triomphe, & l'audace fe joint à la

fuperftition. Si le Prince, au lieu de s'occuper du gou» vernement, se laiffe entraîner à d'autres objets, s'il » s'écarte de la véritable doctrine, l'erreur le féduit, & » il donne un exemple dangereux, ainsi que l'expérience

& l'Hiftoire l'atteftent. Rechercher le fecret 'de faire de » l'or & de l'argent, de compofer un breuvage qui pro» cure à l'homme l'immortalité, c'eft une erreur con» damnée par nos Sages, & une fcience défendue fous » de grieves peines par tous nos anciens Princes les plus » éclairés. La fin malheureuse de Hien-tfong des Tang doit » être attribuée au breuvage qu'il prit pour se rendre im» mortel. Tout récemment, le feu vient de réduire en » çendres le temple des Idoles que Votre Majesté honore;

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